Le Sénat a donc rejeté la rustine qu'il s'apprêtait à apposer sur la loi de finances rectificative pour 2011. Une rustine visant à combler une faille dans laquelle Free s'est engouffré début 2011 : reléguer la partie TV de l'abonnement triple play à une simple option proposée 1,99 euro.
La stratégie de Free a des effets acidulés : d'un, en isolant ainsi la partie TV, Free peut revendiquer une TVA à taux réduit. Depuis la loi de finances 2011, le taux réduit de TVA « n'est pas applicable lorsque la distribution de services de télévision est comprise dans une offre unique qui comporte pour un prix forfaitaire l'accès à un réseau de communications électroniques ». Mieux : auparavant, la contribution des acteurs de l'internet au Centre National du Cinéma avait pour assiette 50% de l'abonnement, évaluation forfaitaire de la partie audiovisuelle. En réduisant la partie TV à une option proposée moins de 2 euros, Free diminue donc d'autant la zone de frappe de la taxe dédiée au CNC.
Après le retrait de l'amendement Marini visant à combler cette astuce, le ministère de la Culture a fait savoir hier aux acteurs du cinéma qu'une nouvelle taxe serait instituée sur les FAI dès la prochaine loi de finances cet automne. « On ne peut pas laisser [les FAI] jouer à ce jeu-là, d'autant que c'est tout à fait injuste pour les autres opérateurs: ils doivent tous être au même régime » a assuré le ministre à l'AFP. Celui-ci chiffre le manque à gagner à 20 millions d'euros pour le CNC, CNC que le rapporteur de la Commission des finances du Sénat juge en surfinancement.
« Il s'agit avant toute chose de garantir que les ressources du Centre national du Cinéma (CNC) seront préservées ». Selon Frédéric Mitterrand, la nouvelle mesure « évitera que Free puisse contourner ses obligations, sans les surtaxer indéfiniment, tout en stabilisant cette taxe à des niveaux convenables pour le CNC, lui permettant de mener à bien ses travaux sur la numérisation ».
Seul hic : cette astuce « injuste » qui « contourne la loi » est, répétons-le, parfaitement légale.
À l'Assemblée, p. 189 du rapport accompagnant le projet de loi de finances pour 2011, on peut lire : « S'agissant d'optimisation fiscale des offres composites, les mots « offre unique » pourraient ainsi, en théorie, ouvrir aux FAI la possibilité de contourner l'application du taux normal ». Et les députés de fournir le How To : « Avec cette rédaction, le taux normal ne s'appliquerait qu'aux offres incluant simultanément des services de télévision, l'accès à Internet et la téléphonie VOIP. Mais n'est-il pas possible d'imaginer que les FAI, confrontés à ce changement des règles fiscales auquel ils s'opposent vigoureusement, scindent leurs offres triple play entre, d'une part, l'accès à Internet et la téléphonie VOIP et, d'autre part, les services de télévision ? »
Le rapport anticipait un autre effet : « la possibilité existe donc que les FAI n'appliquent la « taxe COSIP » qu'aux services de télévision effectivement souscrits par leurs abonnés, c'est-à-dire à la seule fraction de leurs abonnés qui, outre l'offre triple play, disposent du décodeur TV ou de la connexion nécessaire pour les recevoir. »
En clair, c'est le rapport de la Commission des finances de l'Assemblée Nationale qui a fourni à Free sa stratégie d'optimisation fiscale. Un document public qui fut distribué aux services compétents du gouvernement et donc du ministère de la Culture.
Si l'on veut vraiment « contourner » le droit, il existe de nombreuses solutions. Par exemple, imaginons un ministère contraindre des FAI à travailler pour une Autorité indépendante sans indemniser leurs efforts. Une compensation pourtant prévue dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.