L'année 2013 touche à sa fin et son flot de dérives de la propriété intellectuelle aussi. A cette occasion, nous vous avons concocté une compilation regroupant le meilleur du pire. Nous nous sommes replongés dans une année de folie pour vous offrir la crème de la crème de la dérive ou plutôt la lie de la propriété intellectuelle. Cette rétrospective rappelle que l'année 2013 a été au moins aussi carabinée que l'année 2012. L'accumulation de dérapages en matière de droit d'auteur, de droit des marques ou de brevets, est réellement sidérante. Avec à la clé, cette question : peut-on décemment continuer à parler seulement de dérives isolées ou n'est-ce pas plutôt le signe que la "propriété" intellectuelle est profondément malade ? A vous de vous faire une opinion...
Ha, que la guerre au partage est jolie !
Cette année, les titulaires de droits se sont particulièrement distingués dans la guerre au partage. La maxime « la fin justifie les moyens » n'aura jamais été aussi juste. Petit florilège des pires idées que nous avons rencontrées.
Hardcore Gamer. C'est la période des fêtes et vous avez commandé une console dernière génération au père Noël. Sachez que les fabricants de consoles ont pensé à vous et n'ont eu de cesse en 2013 de chercher à limiter le caractère social du gaming en vous empêchant de prêter un jeu à vos amis. Microsoft avait annoncé que sa prochaine console ne pourrait pas lire les jeux d'occasion. De son côté Sony avait imaginé un brevet qui détecte les jeux piratés en fonction de la longueur du temps de chargement. Enfin, on voit que les développeurs de jeux sont parfois très pervers. En cas de piratage, ils n'hésitent à modifier le jeu pour le rendre injouable, pour faire en sorte que vous perdiez systématiquement..
Lecture. La guerre au partage ne concerne pas que l'industrie du jeu vidéo. Les maximalistes de la propriété intellectuelle s'attaquent à tous les secteurs culturels. Le livre numérique aura été particulièrement malmené cette année. Il y a eu le projet SiDIM qui vise à modifier le texte d'un ouvrage en introduisant des fautes après chaque copie pour repérer les versions pirates. Pour empêcher un livre d'être partagé, certains n'hésitent donc plus à s'attaquer à l'intégrité de l'œuvre et au droit moral de l'auteur ! Rappelons-nous de cette dérive dantesque d'Adobe qui interdit la lecture à voix haute de ses epubs...
Vidéo. Après les jeux vidéo et les livres, on ne peut pas ne pas aborder la situation des films. On s'est rendu compte que les ayants droit sont parfois prêts à employer des méthodes peu morales pour lutter contre le partage. Il y a eu cette année la mise en place d'un « faux » site pirate dont l'objectif était de collecter des informations sur les vilains pirates. Il faut aussi se rappeler des intimidations, notamment à l'égard des internautes qui préfèrent payer une amende plutôt que d'assumer publiquement d'avoir regarder quelques vidéos à caractère pornographique. Enfin, certains comme Apple continuent la quête du Graal du DRM ultime, en tentant de rendre les vidéos complètement incopiables. La meilleure solution est peut-être de couper l'internet...
2) Toujours plus loin dans la spirale répressive...
Tout comme on ne peut pas dissocier le fond et la forme, on ne peut pas parler de la guerre au partage sans évoquer les sanctions qui vont avec ! Impuissants à enrayer le partage en ligne, les lobbies des industries culturelles font pression pour obtenir des sanctions toujours lourdes. Au point que l'on se demande jusqu'où cette spirale répressive pourra aller...
Couteau suisse. Les titulaires de droits ont plusieurs cordes à leur arc pour pouvoir expurger les crimes des vilains internautes. Ils peuvent tout simplement s'appuyer sur une législation qui est de plus en plus intraitable. En 2013, l'Espagne a décidé de condamner jusqu'à 6 ans de prison pour téléchargement illégal. On imagine les discussions de co-détenus dans les prisons:
- J'ai pris 6 ans pour harcèlement sexuel. Et toi ?
- Oh bah moi pareil, 6 ans pour homicide involontaire. Et toi le nouveau ?
- Moi ? 6 ans pour avoir monté un site de téléchargement illégal.
En France, le degré de condamnation est déjà tellement disproportionné que des députés ont demandé à la ministre Aurélie Fillipetti s'il est normal que la contrefaçon soit aussi durement punie que la profanation de cimetières ou les coups et blessures. Le gouvernement britannique de son côté a mis en place cette année une police spéciale chargée de faire respecter la propriété intellectuelle sur le web.
Qui dit mieux ? Les peines de prison encourues sont particulièrement disproportionnées, mais cela est encore plus vrai pour les amendes. Les sommes rivalisent parfois avec l'€uromillion ! Le record de cette année est probablement détenu par l'Italie qui a condamnée l'administrateur d'un forum à 6,4 millions d'euros. Pourtant, le forum ne servait qu'à échanger des liens, il n'hébergeait pas les ,contenus ! Le montant de l'amende est un peu comme le cours de la bourse, il varie en fonction de l'inquiétude des investisseurs ayants-droit ou du nom de l'artiste qui a été piraté. Sur le marché de l'amende du CAC40, un album de Beyoncé c'est 180 000 euros, mais sur le marché américain de l'amende du Nasdaq , l'action peut atteindre 220 000 dollars pour 24 morceaux téléchargés et ne comptez pas sur une quelconque clémence de la part de l'administration Obama.
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On se rend compte que la spirale répressive touche tous les pays à des degrés divers. Même si chaque pays condamne à sa façon, on assiste à une harmonisation progressive des condamnations à l'échelle de la planète et surtout un renforcement des sanctions dans des processus qui impliquent de plus en plus les intermédiaires techniques.
Et ce renforcement de la répression n'est pas prêt de s'arrêter. On peut faire confiance par exemple au sénateur Richard Yung, qui a demandé cette année au Sénat d'appliquer pour la contrefaçon des peines prévues seulement en droit français pour les crimes contre l'Humanité et la traite humaine !
3) 22, v'la Robocopyright !
Durant l'année 2013, nous avons souvent évoqué des dérives liées aux dérapages du fameux Robocopyright. Le système ContentID de Youtube est parfois plus royaliste que le roi et censure des vidéos plus vite que son ombre...
Youtube. En 2012, ContentID avait demandé le retrait de chants d'oiseaux sur YouTube. En 2013, c'est une vidéo montrant la chute de météorites en Russie, qui a été censurée simplement parce que l'on entendait en fond sonore une chanson diffusé par l'autoradio d'une voiture ! Cette chasse aux contenus protégés a pris des tournures plus dramatiques avec la censure de la parodie du film Robocop réalisée par La Quadrature du Net pécisément pour dénoncer les risques d'une application automatisée du droit d'auteur. Comme si cela ne suffisait pas, YouTube a décidé à la fin de l'année 2013 de changer les règles du jeu sur Youtube et de renforcer encore le contrôle de ContentID. Les conséquences se sont rapidement faites sentir. Les utilisateurs de la plateforme ont reçu une vague sans précédent de notifications pour violation du droit d'auteur entraînant le reversement des recettes publicitaires générées par leurs vidéos aux titulaires de droits. Et ContentID semble être devenu complètement fou, puisqu'il a même laissé une major revendiquer des droits sur des chants de Noël du domaine public !
Mais la palme du Robocopyright 2013 revient à Facebook avec son brevet déposé sur un dispositif de profilage des utilisateurs destiné à anticiper leur capacité à échanger des fichiers piratés. Un mélange explosif de Big Brother et de Minority Report qui annonce le pire pour l'avenir !
Hara-kiri. Heureusement pour nous, Robocopyright nous a offert quelques moments inoubliables. Cela a été le cas en particulier avec Microsoft qui a plusieurs reprises cette année a soumis à Google des demandes de retrait particulièrement délirantes ! L'entreprise s'est illustrée en demandant à Google de retirer des liens du site Microsoft.com ! Puis elle a récidivé en voulant faire retirer un lien de téléchargement de la suite Open Office ! Et enfin, parce que jamais deux sans trois, Microsoft a exigé le déréférencement d'un article de Wikipédia portant sur la suite Office... Mais on vous voit venir, vous pensez que ce genre de dérives n'est arrivé qu'à Microsoft ! Pas du tout, l'entreprise a fait des émules :
Patchwork. Pour finir sur cette catégorie de Robocopyright kafkaïen, l'année 2013 a été aussi l'année où Jean-Louis Aubert est censuré par sa propre maison de disque, l'année où la FIFA s'interdit de diffuser ses propres vidéos sur son site et enfin l'année où YouTube a coupé le livetream d'une conférence parce que le public chantait Happy Birthday !
4) Ayants droit, votre univers impitoyable...
A force de faire l'inventaire des dérives de la propriété intellectuelle, on s'est aperçu qu'une expression à propos des ayants-droit revenait assez régulièrement : les ayants-droit ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît (Merci Michel) ! En effet, ils semblent prêts à tout pour contrôler l'usage des oeuvres et protéger leur pactole...
Mon préciiieeeeeux. Un des cas les plus remarquables dans la musique a été la publication d'un album de Bob Dylan en tirage très limité, dans le seul objectif de prolonger la durée des droits patrimoniaux. Le cynisme de Sony a été jusqu'à appeler l'album : The Copyright Extension Collection vol.1 On peut s'attendre à un volume deux...
Mais cette lutte pour reculer l'échéance du domaine public n'est pas propre à la musique. 2013 célébrait le cinquantenaire du discours de Martin Luther King « I have a dream ». Or la rapacité des héritiers a eu comme conséquence de rendre la vidéo de ce discours historique quasiment inaccessible légalement sur internet. Il faudra attendre 2038 pour le voir s'élever enfin dans le domaine public. Malheureusement, cette attitude de la part des ayants-droit n'est pas si anecdotique que cela. Ils dégainent rapidement quand on touche à leur grisbi ou tout simplement quand on veut rendre hommage à un auteur. Les descendants de l'écrivain Joseph Thomas réclament des sommes pharaoniques pour citer l'auteur dans le cadre d'une biographie. Ils ne font pas dans la demi-mesure, quitte à remettre en cause le principe du fair use.
Héros. Rien n'arrête les héritiers, quitte à tomber dans le copyfraud. En effet, dans leur lutte acharnée contre le domaine public, les ayants-droit en arrivent parfois à rajouter des couches de droits sur des œuvres qui théoriquement devraient être libérées. C'est le cas notamment avec Sherlock Holmes d'Artur Conan Doyle. Alors que la plupart des œuvres mettant en scène le célèbre détective sont de fait dans le domaine public, les ayants-droit font des pieds et des mains en justice pour garder le contrôle sur le personnage. C'est aussi la stratégie adoptée par le studio Zorro Productions Inc pour le cavalier qui surgit hors de la nuit sur lequel ils ont déposé une marque pour l'empêcher d'entrer dans le domaine public. Ces manoeuvres constituent un véritable obstacle pour les fans qui voudraient s'approprier l'œuvre en remixant ou créant une suite. D'ailleurs en termes de copyfraud, nous sommes obligés de féliciter la Warner Music qui arrive toujours en 2013 à s'arroger l'exclusivité sur la chanson Happy Birthday...
Tintin. Dans la catégorie héros ardemment défendus par les titulaires de droit, il y a bien évidemment le cas Tintin. La société Moulinsart mène une lutte acharnée contre celles et ceux qui oseraient utiliser le personnage sans leur autorisation. Rien que pour cette année, elle a fait supprimer le catalogue d'une exposition dans une bibliothèque qui ressemblait un peu trop à un album de Tintin. Nick Rodwell, le patron de Moulinsart, a déclaré vouloir publier un album de Tintin en 2053, juste pour éviter que Tintin ne tombe dans le domaine public en 2054. Le cynisme de Moulinsart a même été jusqu'à faire détruire des bouteilles décorées avec des collages de Tintin réalisées par un ancien ami d'Hergé, dont les produits de la vente étaient destinés à une œuvre caritative. Assurément, Moulinsart mérite sa place dans le Worst of Copyright Madness 2013.
En conclusion ==> La propriété intellectuelle devient appliquée de manière folle, folle, folle...
À lire, pour se rendre compte à quel point (si vous ne le saviez pas déjà).
Et dire qu'il y a quelques années, quand je disais à certains « tu verra, on tends vers ça », ils me considéraient comme un parano (« ils ne feraient jamais ça voyons »)... Alors que je sous-estimais largement leurs tentatives.