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La tentation sécuritaire en matière numérique


Qu'est-ce que produit ce sentiment d'insécurité ? Qu'est-ce que produit ce mélange des dangers ? Eh bien, des tentatives de politiques sécuritaires.

Dans le champ du numérique, cela prend une forme particulière : la tentation des gouvernements successifs à déléguer l'application des lois à des autorités administratives. Pour le dire autrement, la sécurité numérique ne relèverait pas de la Justice, mais d'un droit dérogatoire, où des autorités administratives indépendantes pourraient filtrer les contenus, en bloquer certains, faire fermer des sites, priver des particuliers de leur accès à Internet, tout cela sans passer devant un juge, sans procédure contradictoire. Symbole de cette tentation : en 2011, était lancée par un ancien ministre UMP l'idée de créer une Haute autorité du Net qui pour lutter contre les escroqueries, le téléchargement illégal, la pédophilie ou même l'incitation à la haine aurait eu le pouvoir de fermer un site sans aucune procédure judiciaire. Folie vous direz-vous. Je vous rappelle qu'à l'origine, l'Hadopi, c'était cela appliqué au respect du droit d'auteur. On pouvait après quelques avertissements priver quelqu'un s'étant livré au téléchargement illégal de l'accès à Internet - accès considéré comme un droit par l'ONU - et cela sans que la Justice n'ait rien à dire. Dans les faits, et grâce à des mobilisations fortes, l'HADOPI n'a jamais pris ces mesures. Mais la tentation est grande et ne se limite pas aux gouvernements de droite. Tout dernièrement, un article du projet de loi pour l'égalité homme-femme s'inscrivait encore dans cette logique, il a été voté au Sénat, puis retiré. Et l'idée du gouvernement consistant à transférer les objectifs et compétences de l'HADOPI au CSA (le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, une autre autorité administrative donc) n'est pas complètement étrangère à tout cela.

Vous me direz que ce n'est pas très grave, que dans une démocratie, on n'a rien à craindre d'une autorité administrative indépendante. Peut-être. Ce qu'on à craindre, me semble-t-il, c'est d'accepter que nos vies numériques soient soumises à un régime de droit à part, comme si, parce que c'est technique, parce que c'est compliqué, le pouvoir politique pouvait se passer de la justice en ces matières. Ce n'est jamais bon quand le pouvoir politique pense pouvoir se passer de la justice.

http://www.franceculture.fr/emission-ce … 2014-02-03