Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a autorisé, jeudi 17 décembre, le passage sur la TNT gratuite de la chaîne LCI (groupe TF1), dont la diffusion pourrait débuter début 2016. Il a rejeté, en revanche, les demandes de Paris Première (groupe M6) et de Planète + (groupe Canal+), qui continueront donc d'être diffusées sur la TNT payante.
Cette décision constitue un revirement par rapport à celle de juillet 2014, quand le CSA avait éconduit les trois mêmes chaînes, pour ne pas affaiblir les autres acteurs de la TNT gratuite, forte de 25 chaînes. En juin 2015, le Conseil d'Etat avait retoqué cette décision, demandant au CSA de réexaminer les dossiers.
Or, et c'est le sens de la décision du CSA, le marché de la télévision a évolué en 18 mois. La crise des revenus publicitaires est moins profonde. Les concurrents de LCI, BFM-TV et i-Télé, sont moins fragiles. La première, sous l'ombrelle du groupe NextRadioTV, est désormais alliée au puissant groupe Altice de Patrick Drahi, le propriétaire de SFR. Au sein du groupe Canal+, la seconde profite des nouvelles ambitions de Vivendi et de son président, Vincent Bolloré. Selon le CSA, l'arrivée de LCI en gratuit pourrait prélever à chacune de ces chaînes 0,2 à 0,4 point d'audience.
« Plus d'avenir économique dans l'univers payant ».
Autre argument : le CSA « a estimé que la chaîne n'avait plus d'avenir économique dans l'univers de la télévision payante, et que son accès gratuit contribuera au pluralisme et à l'intérêt du public », deux critères mis en avant par le Conseil d'Etat, qui a affiné les conditions selon lesquelles une chaîne peut voir son mode de diffusion modifié par une décision simple du CSA.
Le fait que LCI n'ait pas de contrat de distribution sur la TNT payante au-delà du 31 décembre a fortement pesé, tout comme l'habileté du groupe TF1 à proposer, cette fois, un projet qui ne soit pas frontal envers BFM-TV ou i-Télé. La nouvelle LCI ne proposera ainsi pas plus de 30 % de journaux télévisés au sein de sa grille, au profit de formats plus « magazine ». TF1 s'est également engagé à ne pas faire de couplages publicitaires ni de promotions croisées.
Colère à BFM-TV.
Mais cette décision du CSA a suscité la colère de NextRadioTV. Dans la minute qui a suivi l'annonce du CSA, le groupe propriétaire de BFM-TV a estimé, dans un communiqué cinglant, qu'« aucun argument juridique ou économique nouveau ne justifie ce revirement ». En juillet 2014, les écrans de TF1 avaient montré la fureur de son PDG, Nonce Paolini, tandis qu'Alain Weill, patron de NextRadioTV, savourait. Ce jeudi soir, les rôles étaient inversés.
« Le régulateur, en cédant aux nombreuses pressions extérieures, a choisi de renforcer un acteur historique dominant [le groupe TF1] au détriment d'un nouvel entrant et de l'intérêt pour le téléspectateur », accuse le groupe d'Alain Weill. Celui-ci n'hésite pas à parler d'une « dimension politique », sous-entendant qu'on cherche à réduire l'influence de sa chaîne leader, à un an et demi d'une présidentielle risquée pour la gauche au pouvoir. « C'est incompréhensible ou, hélas, trop lisible, lâche M. Weill. Le CSA a cassé ce soir une chaîne qui marche. »
L'affaire n'est pas terminée, puisque le groupe NextRadioTV indique qu'il « va examiner les voies de droit qu'il va engager devant les juridictions compétentes » et « présentera, dès le début de l'année, aux représentants du personnel, les mesures qui vont s'imposer, tant en termes d'organisation que d'emplois. » M. Weill avait menacé de supprimer cent postes à BFM-TV en cas de passage en gratuit de LCI. Interrogé sur ce point jeudi soir, il tempère toutefois son discours : « On va regarder avec nos partenaires sociaux comment préparer cette période difficile, durant laquelle nos charges vont devoir baisser. »
Recours de M6.
Autre mécontent : Nicolas de Tavernost, président du groupe M6. Contacté par Le Monde après le refus du CSA d'autoriser le passage en gratuit de Paris Première, celui-ci parle d'une décision « injuste et non fondée ». Le CSA a estimé que « les situations particulières de Paris Première et Planète + ne justifiaient pas de déroger à l'exigence générale d'un appel à candidatures ouvert ». C'est-à-dire qu'elles n'allaient pas mourir en cas de maintien en payant, et que l'apport en termes de pluralisme était plus discutable que dans le cas de LCI.
M. de Tavernost réfute cette analyse, constatant que « le groupe Canal+ va arrêter de distribuer la TNT payante » et que celle-ci, moribonde, risque d'emporter Paris Première dans son déclin. Lui aussi annonce un recours devant le Conseil d'Etat.
Nouveau paysage.
Malgré la menace de ces deux recours, c'est un nouveau paysage de l'information télévisée que les Français vont découvrir. LCI sera la troisième chaîne d'information sur la TNT gratuite, après i-Télé et BFM-TV, en attendant le possible lancement d'une chaîne publique par France Télévisions, en septembre 2016.
Ce sont donc potentiellement quatre chaînes d'information qui pourraient cohabiter dès l'automne prochain, quand commencera la campagne présidentielle. N'est-ce pas trop ? Alain Weill estime que l'intensité concurrentielle sera trop forte et que ces chaînes auront des moyens réduits, affaiblissant in fine le pluralisme.
Le CSA, de son côté, se protège en rappelant que pour la chaîne publique, « il n'existe à ce jour qu'une déclaration d'intention ». « Nous n'avons ni calendrier, ni projet précis, ni option claire sur l'utilisation d'un canal hertzien d'entrée ou dans une seconde étape », rappelle-t-on. Si le gouvernement fait le choix de préempter un canal pour cette future chaîne, le CSA aura à se prononcer sur l'intérêt de cette réservation pour le public. Mais l'argument du pluralisme devrait encore l'emporter.