La couverture du prochain numéro de Playboy.
Le premier numéro du nouveau Playboy, garanti entièrement vêtu, vient de paraître. Et annonce clairement le basculement du magazine vers un nouveau public.
Dans un futur lointain, quand des explorateurs descendants de colons spatiaux reviendront fouiller les vestiges de leur Terre originelle, peut-être tomberont-ils sur cette photo. Une jeune fille en sous-vêtements, la pose lascive et la bouche en cœur, tenant à bout de bras un appareil photographique pour s'immortaliser.
Au milieu, une légende, comme une invitation, ponctuée d'un smiley mutin - “heyyy ” (ou, en français : “ je ne sais pas trop comment débuter une conversation, alors voilà à quoi je ressemble en petite tenue“). Voilà comment, dans quelques siècles, les archéologues du futur verront la seconde décennie du troisième millénaire. Snapchat, emojis, perches à selfie et sexe démystifié représenteront les points cardinaux de l'esthétique contemporaine à notre génération. Et Playboy l'a bien compris.
Quatre mois après avoir admis sa défaite face à l'océan de pornographie disponible gratuitement en ligne sous toutes ses formes et décidé de vêtir tous ses modèles, le vénérable magazine de charme américain a donc tenu sa promesse. Et pointe ostensiblement du doigt sa nouvelle cible marketing : les jeunes, qui redéfinissent le rapport à l'image au fil des photos Snapchat échangées quotidiennement sur leurs téléphones. Pour les séduire, le mythique magazine de Hugh Hefner a donc été contraint de s'octroyer une séance de chirurgie esthétique.
Moins de nus, plus de vues.
Au-delà de la nudité désormais (plus ou moins) absente de ses pages, Playboy a également supprimé son adage “Entertainment for Men” qui figurait au frontispice de sa une depuis un demi-siècle. Le logo, plus transparent et moins épais, s'adapte aux codes esthétiques modernes. Enfin, comme le note le New York Times, qui a eu droit à une avant-première, “le magazine a adopté l'esthétique simpliste et sans fard rendue célèbre par les publicités American Apparel et le photographe Terry Richardson“.
Finies donc les compositions grandiloquentes et rococo, adieu playmates intemporelles enveloppées de boas (l'animal, le vrai) dans des salons richement ornés, place aux jeunes filles, au fond blanc et au flash dans la tronche. La page centrale a survécu au grand ménage ; ce mois-ci, elle met la mannequin Dree Hemingway, petite-fille d'Ernest, à l'honneur. Une plastique, d'accord, mais avec une caution intello, quand même.
Avant que le magazine ne subisse l'impitoyable loi du progrès sociétal, la stratégie marketing avait été testée sur le site. Cory Jones, chef du contenu du magazine, analyse les résultats :
”Il y a un an et demi, nous avons relancé Playboy.com en tant que site ‘safe-for-work', et le trafic a grimpé de 400 %. L'âge moyen de nos visiteurs est passé de 47 à 30 ans.”
Une franche réussite qui a poussé les dirigeants à généraliser la pudibonderie à leur version papier, faisant soudainement basculer Playboy dans le présent, à la stupéfaction des tenanciers de bar de routiers partout dans le monde. Si l'on ajoute à cela un contenu journalistique traditionnellement de qualité, il est tout à fait possible que d'ici quelques mois, voire quelques années, des néo-trentenaires urbains tendance CSP+ confessent leur abonnement annuel au magazine au lapin en soutenant, droit dans les yeux, qu'ils le lisent “pour les articles”.