Stanley Kubrick est parfois désigné comme le véritable réalisateur du film de l'alunissage américain de 1969. Les détracteurs de l'histoire officielle dissèquent les images des diverses missions lunaires de la NASA, en quête d'indices démontrant la supercherie. Mais cherchent-ils au bon endroit ? Présenté fin janvier au festival de Sundance, Room 237 rapporte quelques-unes des interprétations les plus folles du seul film d'horreur du "maître", The Shining. Or l'explication la plus déroutante propose une extension fascinante à la théorie du complot classique : Shining est un message codé de Kubrick pour révéler au public son implication dans le canular lunaire.
Le 29 janvier s'achevait le festival de Sundance. Son mot d'ordre, « Look Again » (« regardez à nouveau »), s'incarnait tout particulièrement dans le documentaire Room 237 de Rodney Ascher. En neuf tableaux, le film décrit les théories développées par cinq personnalités différentes pour rendre compte du sens caché de Shining, le long-métrage de Kubrick adapté d'un roman de Stephen King.
Réputé pour son souci méticuleux du détail, le réalisateur inspire en effet les analyses les plus imaginatives. Puisque, selon la légende, il ne laissait rien au hasard, c'est donc que tout doit avoir une signification : éléments de décor, objets, costumes, dialogues, architecture ou même durée exacte des plans sont autant de signes d'une intention à dévoiler.
Ainsi des grilles de lecture déroutantes sont-elles proposées pour comprendre Shining : de la métaphore du génocide des Indiens d'Amérique à la tentative de mettre en images la tragédie de l'Holocauste, du labyrinthe du Minotaure au symbolisme du nombre 42, l'œuvre se prête à des explications plutôt osées. Mais la plus troublante fait de Kubrick un Léonard de Vinci moderne - du moins, de la façon dont Dan Brown nous le représente ! -, un artiste génial prêt à dissimuler dans ses créations des messages codés, offerts à la vue de ceux qui auront des yeux pour voir.
Car depuis son article de 2009, qui a depuis donné lieu au premier épisode d'une trilogie documentaire (Kubrick's Odyssey), Jay Weidner l'affirme : Shining n'est pas tant la retranscription cinématographique d'un livre de Stephen King que l'aveu par Kubrick de sa participation au tournage des vidéos d'Apollo 11.
Un adepte des théories alternatives
Qui est Jay Weidner ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, aucune page Wikipedia ne semble lui être consacrée. Il faut se contenter de la biographie officielle proposée sur un site portant son nom. Ancien animateur et directeur des affaires publiques de la radio KCMU-FM à Seattle, Jay s'est spécialisé dans la recherche sur les théories scientifiques et historiques alternatives : du mayanisme à la théorie des Archons, il professe un regard décalé sur le monde. De fait, son site recense des dizaines d'articles exposant des thèses foisonnantes touchant au mysticisme, à l'occulte et à l'ésotérisme.
En plus de s'exprimer par ses propres productions, Weidner renoue avec son passé d'homme des ondes en accordant de longs entretiens à l'antenne de radios alternatives, spiritualistes ou carrément conspirationnistes (Veritas, Red Ice Radio...). Son parcours y est systématiquement rappelé dans les termes de sa biographie officielle. Au passage, Weidner ne manque d'insister sur deux faits d'armes censés témoigner de son sérieux et de son professionnalisme :
sa participation au film The Lost Book of Nostradamus produit par History Channel
la description de "chasseur de conspirations érudit" dont il s'est vu qualifier dans un article de Wired sur le mystère des Georgia Guidestones
Kubrick et l'imposture de la NASA
Dans son documentaire précédemment cité, Weidner remet au goût du jour la thèse de la réalisation par Kubrick des vidéos de l'alunissage de 1969. Thèse pourtant déjà bien attaquée sur ce site de référence, par exemple, et lourdement tournée en ridicule dans le fameux documenteur de William Karel (parfois pris au sérieux par certains conspirationnistes...). A en croire Weidner :
Le Pentagone a choisi Kubrick parce que sa reconstitution fidèle d'un avion B-52 dans son Dr Folamour les a impressionnés
Stanley est vraisemblablement contacté fin 1963-début 1964 pour se voir proposer « une offre qu'il ne pourra pas refuser » (dans le sens ou son refus pourrait entraîner sa disparition prématurée) : en échange d'un budget illimité pour son 2001, l'Odyssée de l'espace, et de la liberté totale de tourner ce qu'il veut à l'avenir, il doit réaliser un film mettant en scène les premiers pas de l'homme sur la lune
Stanley accepte ; pour les 5 années à venir, il travaillera donc sur les deux films en parallèle, la fiction et le "direct", recevant des visites régulières de Frederick Ordway, consultant pour la NASA
En 1969, c'est la version de l'alunissage filmée par Kubrick qui sera diffusée sur les chaînes télévisées
Les théories du complot ne rejettent pas forcément la thèse d'un alunissage américain. En revanche, elles contestent toutes l'idée que les images disponibles nous offrent une représentation fidèle de ce qui s'est passé. Weidner soutient que des Américains sont bel et bien allés sur la lune, mais que ce ne sont pas les véritables vidéos de l'alunissage qui nous ont été montrées : ce sont celles tournées par Kubrick.
L'un des points forts de la thèse de Weidner tient à la description du procédé par lequel Kubrick aurait filmé les séquences lunaires : il s'agirait de projection frontale, la méthode utilisée par le metteur en scène pour nous offrir certains arrière-plans grandioses de 2001, notamment lors des premières séquences (l'Aube de l'humanité), puis sur la lune.
Shining, message codé de Kubrick ?
Pour l'auteur, Shining raconte l'histoire du pacte signé par Stanley avec les puissances dirigeantes des Etats-Unis pour orchestrer la supercherie d'Apollo 11, les désillusions auxquelles la folle entreprise l'a conduit, et les conséquences terribles découlant de sa décision irrévocable. Le long-métrage regorgerait de preuves soutenant cette analyse. En particulier, les différences avec le livre de King prendraient sens à l'aune de l'extraordinaire théorie.
Sans souci d'exhaustivité, voici les principales idées exposées par Weidner :
Les personnages de Jack (l'écrivain) et Danny (son fils) représentent les deux facettes de Stanley Kubrick : d'un côté, Jack, le pragmatique, prêt à faire des sacrifices pour réussir à percer grâce à son art ; de l'autre, Danny, l'intuitif, le véritable artiste, qui voit plus loin que les autres et ne sait pas se taire
La responsabilité de Jack de s'occuper de l'hôtel Overlook (construit sur un cimetière indien) au cours d'un hiver rigoureux symbolise l'accord passé par Kubrick pour protéger les Etats-Unis (nés du massacre d'Indiens...) pendant la Guerre froide (les différentes images d'ours apparaissant dans le film renvoient à l'URSS)
Jack accepte la transaction non seulement pour pouvoir s'adonner à son art sans contrainte, mais aussi parce qu'il espère intégrer les rangs de l'élite, la société des grands de ce monde (tout comme son prédécesseur, Mr. Grady, dont on découvrira bientôt que, malgré les sacrifices consentis, il reste le serviteur des puissants)
La chambre 237 (soit, à peu de choses près, la distance moyenne, en milliers de miles, entre la Terre et la lune), dont il nous est dit qu'elle n' "existe pas", illustre le mensonge de la mission Apollo 11 (les sœurs jumelles fantômes, assassinées dans les couloirs de l'hôtel, sont l'image du programme Gemini - les Gémeaux - abandonné par la NASA au profit d'Apollo !)
Jack travaille justement sur ce projet Apollo : le texte qu'il tape indéfiniment sur sa machine à écrire n'est pas à lire "All work and no play make Jack a dull boy" ("trop de travail et pas de plaisir font de Jack un triste sire") mais, en prenant en compte la police de caractères utilisée, "A11 (Apollo 11) and no play make Jack a dull boy"
Kubrick, serviteur des Illuminati ?
Pour finir, il faut noter combien Kubrick nourrit les réflexions des conspirationnistes. Du rituel orgiaque de la société secrète d'Eyes Wide Shut à l'esquisse de programmation Monarque figurée dans Orange mécanique, des plans de l'élite du Dr. Folamour à la pédophilie latente qui transparait dans Lolita ou A.I. Intelligence artificielle (dont Kubrick avait signé le scénario), chacun des films du réalisateur semble décliner un thème cher aux détracteurs de la mythologie illuminati.
D'ailleurs, dans plusieurs de ses films (Barry Lyndon, Eyes Wide Shut...), le metteur en scène narre l'histoire d'un personnage désireux d'ascension sociale, mais qui finit invariablement par échouer à intégrer un monde plus élitiste que le sien. Stanley a-t-il passé sa vie à travailler pour une caste dirigeante attachée aux pouvoirs de l'occulte, sans jamais réussir à en devenir membre à part entière ? A-t-il essayé de nous en informer, et de nous mettre en garde contre le pari perdant auquel consentent ceux qui signent un pacte avec le Diable ? Ou les images qu'il a manipulées n'étaient-elles, justement, que des images - et non une manipulation ?