La France avait finalement décidé de participer aux JO de Berlin de 1936, sous la houlette d'Adolf Hitler. La foule, bras tendus, salue les sportifs tricolores qui eux aussi ont défilé bras tendus. Salut olympique ou salut nazi, le débat court toujours.
1er août 1936. Adolf Hitler triomphe. Dans le stade de Berlin, le Führer déclare ouverts les 11e Jeux Olympiques de l'ère moderne. Une mise en scène grandiose qui a mis en valeur le IIIe Reich sans susciter, à l'époque, d'oppositions majeures, si ce n'est aux Etats-Unis. Avant l'olympiade de Rio en 2016, retour sur ces jeux qui restent une tache dans l'histoire olympique.
Quand, en 1931, le CIO (Comité Olympique International) attribue les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin, il pense faire revenir l'Allemagne dans le concert des nations après la guerre de 14-18 et ne peut imaginer l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Mais quand le chef du parti nazi deveint le chancelier du Reich et commence la mise en œuvre de sa politique raciale (sans parler de la répression ou de la suspension des libertés), ils sont très peu à vouloir remettre en cause ces jeux.
L'olympisme commence alors à devenir un phénomène populaire. Les médias suivent de plus en plus les épreuves.
«L'Allemagne organisa habilement la promotion des Jeux olympiques avec des affiches colorées et des pages entières dans les magazines. L'imagerie sportive établissait un lien entre l'Allemagne nazie et la Grèce antique. La civilisation allemande supérieure se présentait comme l'héritière légitime de la culture "aryenne" de l'Antiquité classique. Cette vision de l'antiquité classique insistait sur l'idéal du type racial "aryen": héroïque, blond aux yeux bleus et aux traits fins», note le site du Mémorial de l'Holocauste.
https://www.youtube.com/watch?v=dVlaIJVAUq4
Sur ces images, on voit clairement la délégation française, et certaines autres, faire le «salut olympique», le bras tendu, devant une foule enthousiaste, alors qu'Adolf Hitler ouvre les jeux (sonore en allemand).
Propagande et travaux
Le ministère de la Propagande du Dr Goebbels diffusa avant les Jeux, dans toute l'Europe, des cartes postales, badges, bulletins d'information édités dans 14 langues, sans oublier les 200.000 posters traduits en 19 langues (dont un millier en japonais) et les 4 millions de brochures diffusées par la compagnie allemande de chemin de fer. Pour la première fois, un véritable tourisme sportif se développe avec 75.000 visiteurs, dont 15.000 Américains.
Rien n'est assez beau pour valoriser l'image de l'Allemagne et du national-socialisme. Des grands travaux sont engagés pour faire la démonstration de la puissance technologique et industrielle allemande. L'Olympiastadion, un stade de 100.000 places et des équipements extérieurs pouvant accueillir 250.000 spectateurs, deux nouvelles stations de métro, une voie triomphale pour le défilé motorisé du Führer, un village olympique ultramoderne pour héberger les 4400 sportifs et les 360 sportives sélectionnés. 2800 journalistes ont fait le déplacement.
Affiche des Jeux de Olympiques de Berlin en 1936. L'imaginaire nazi se mèle à la mythologie grecque revue et corrigée par la propagande allemande de l'époque. © Archives Snark / Photo12
Echec des tentatives de boycott
En Europe, l'opposition aux jeux de Berlin a très peu concerné le mouvement sportif à l'exception des deux Internationales sportives ouvrières, socialiste et communiste, associées à la Ligue internationale contre l'antisémitisme et au Comité mondial de la jeunesse. Le mouvement de boycott connaît son apogée à Paris avec l'organisation de la «Conférence internationale pour le respect de l'Idée olympique» par les organisations communistes (6 et 7 juin 1936). Il échoue le 19 juin lorsque Léon Blum et Léo Lagrange autorisent et soutiennent financièrement la venue des athlètes français à Berlin.
Des sportifs juifs choisissent de boycotter les JO. Aux Etats-Unis, certains sportifs juifs et des organisations juives telles que le Congrès juif américain et le Comité juif du travail appellent au boycott. Cependant, après le vote de l'Union des Etats-Unis des athlètes amateurs en faveur de la participation, en décembre 1935, d'autres pays suivent et le mouvement en faveur du boycott échoue.
«C'est aux Etats-Unis que le mouvement contre les jeux de Berlin fut le plus fort, nous dit André Gounot, professeur d'histoire du sport à l'Université de Strasbourg. Mais un voyage en Allemagne en 1934 du dirigeant sportif américain Avery Brundage réussit à convaincre les Américains de finalement participer à cette olympiade.» Le dirigeant américain, qui devint plus tard patron du CIO, écrit dans la brochure du Comité olympique des Etats-Unis Esprit sportif pour les athlètes américains, que les athlètes de son pays ne devaient pas s'impliquer dans l'actuelle «altercation entre les juifs et les nazis». Plus tard, il a même parlé de «conspiration judéo-communiste» destinée à empêcher les Américains de participer aux jeux, rapporte le site américain sur la mémoire du génocide. Mais la discussion fut si rude qu'un membre du CIO (une rareté dans l'Histoire) fut exclu.
Dans d'autres pays aussi, des mouvements contre les jeux de Berlin tente de se développer. Les organisations sportives ouvrières, liées à la social-démocratie ou au PC, défendent alors les Olympiades populaires de Barcelone. L'URSS, qui ne participe pas au mouvement olympique à cette époque, est, quant à elle, absente. Les tentatives de boycott échouèrent partout. Résultat, Berlin accueille sans mal 49 équipes venant du monde entier. Un record pour l'époque.
Hitler, durant la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Berlin en 1936 © HO / AFP
Des jeux grandioses pour Hitler
Avant, il y a eu la propagande. Le 1er août, place à la mise en scène, grandiose et parfaite. Pour la façade, architecture, statuaire, graphisme, décorum mettent en avant le culte du corps cher à l'lympisme et au nazisme. «Le jeune Allemand doit être mince et élancé, agile comme un lévrier, résistant comme le cuir et dur comme l'acier de Krupp», affirmait Adolf Hitler en 1924 dans Mein Kampf.
Derrière, l'ordre nazi sait se faire relativement discret un peu avant les jeux et pendant l'olympiade pour ne pas choquer les bonnes consciences. «Pendant les jeux mêmes, le régime modéra sa rhétorique et ses actions antisémites. Il fit même enlever certaines pancartes placées dans des lieux publics où il était inscrit "Juifs indésirables"», rapporte le site américain sur la mémoire de la Shoah.
Tout est donc prêt pour qu'Hitler inaugure les Jeux et salue les délégations. Nombreuses sont celles qui saluèrent le Führer le bras tendu. Parmi celles-ci, la délégation française qui passe le bras levé devant Hitler. Salut nazi, salut olympique? «La question est toujours ouverte», explique André Gounot. En tout cas, ce salut «olympique» fut une première et une dernière...
Les jeux furent un succès pour Hitler et l'Allemagne. Sur son site officiel, le CIO tente de relativiser ce succès en écrivant: «Le monde se souvient des Jeux de Berlin comme d'un échec cinglant de la volonté d'Adolf Hitler de démontrer la supériorité de la race aryenne. Le héros de ces Jeux est un Afro-américain : l'athlète Jesse Owens, vainqueur de quatre médailles d'or.» Les historiens se montrent beaucoup plus prudents. «D'après des recherches allemandes, ces JO ont été plutôt un succès de la propagande nazie à l'étranger», relativise André Gounot. Deux ans plus tard, le succès de la propagande ne se dément pas avec le triomphe des Dieux du Stade, le film de Leni Riefenstahl.
Dès 1937, l'antisémitisme d'Etat revint en force. En novembre 1938, la nuit de Cristal montra le vrai visage du régime. Loin de l'image des dieux du stade.