Au sein d'une tumeur, les cellules sont comme des espèces animales, elles s'adaptent et évoluent. En biologie, l'évolution est visible par les différences génétiques et morphologiques qui distinguent les individus d'une même descendance. C'est le reflet de l'adaptation d'un organisme à son environnement. D'une génération à l'autre, les individus ne sont jamais identiques, sauf en cas de clonage. Comprendre le principe de l'évolution pourrait nous aider à combattre le cancer.
En France, même si le taux de cancers tend à diminuer, cette pathologie est devenue la première cause de mortalité. Dans le monde, son taux ne cesse d'augmenter. La question que nous nous posons alors est celle-ci : pourquoi cette maladie devient-elle de plus en plus courante ?
Une cellule cancéreuse
Peut-être parce que le cancer dérive de l'évolution. Les grands animaux compliqués comme l'Homme sont plus susceptibles d'en être affectés précisément parce qu'ils sont grands et compliqués. Mais après tout, si l'évolution est à l'origine de cette pathologie, elle est aussi à l'origine du cerveau humain qui nous permet d'innover pour la combattre.
Pour comprendre l'apparition du cancer, il faut comprendre le processus fondamental de la vie : la division cellulaire. La formation de l'être humain commence par la fusion d'un ovule et d'un spermatozoïde. Le produit résultant se divise des centaines et des milliards de fois, formant ainsi toutes les cellules du corps humain.
La division cellulaire
Seulement, cette division cellulaire est complètement incontrôlée dans le cas des cancers. D'après Timothy Weil de l'université de Cambridge, « c'est comme un organisme étranger », les cellules cancéreuses entrent en compétition avec leurs voisines pour se nourrir et pour se diviser plus rapidement. Plus elles gagneront plus elles pourront survivre et proliférer.
La division cellulaire est très surveillée par l'organisme. L'apoptose est la mort cellulaire qui contrôle et limite la prolifération des cellules. Elle permet, par exemple, l'individualisation des doigts du fœtus en supprimant les cellules des palmes.
Embryon humain
La division cellulaire normale est caractérisée par son contrôle et sa répression, tandis que la division cellulaire cancéreuse est une prolifération hors de contrôle. Certains gènes sont à l'origine de cancers lorsqu'ils sont mutés, comme le gène p53, protéine qui, dans son état normal, contrôle la division.
Cependant, l'organisme est généralement assez affûté pour identifier ces mutations délétères. Il existe des systèmes biologiques de destruction des cellules mutées. D'après Charles Swanton, de l'Institut Francis Crick au Royaume-Uni, plusieurs gènes correcteurs envoient des instructions pour tuer ces cellules. C'est un système qui a évolué pendant des millions d'années mais qui n'est pas toujours parfait.
L'ADN
La menace vient donc du petit nombre de cellules corrompues qui ne sont pas repérées par l'organisme. Il peut arriver qu'une de ces cellules se divise, prolifère et forme une tumeur. Le défi de la thérapie est de se débarrasser du cancer jusqu'à la dernière cellule touchée.
À chaque division, il est possible qu'une nouvelle mutation apparaisse et affecte le comportement de la cellule. La diversité génétique est à la base de l'évolution, c'est la sélection naturelle, explique Charles Swanton, inspiré de la théorie de Darwin. D'après Swanton, les tumeurs évoluent de la même façon que les espèces animales : en formant des arbres phylogénétiques. En d'autres termes, les cellules cancéreuses évoluent génétiquement pour résister aux thérapies.
Charles Darwin photographié par Herbert Rose Barraud en 1881
C'est pourquoi Swanton et d'autres chercheurs dans ce domaine utilisent l'approche évolutive pour combattre le cancer. Si l'on voit l'évolution du cancer comme un arbre, à la base de celui-ci, il y a les mutations d'origine qui ont contribué à l'apparition de la tumeur : elles devraient donc être présentes dans toutes les cellules de la tumeur.
En théorie, une thérapie ciblant les mutations d'origine devrait donc détruire toutes les cellules cancéreuses. Seulement, ces traitements ne fonctionnent pas aussi bien que l'on aurait pu espérer. Certaines cellules ont acquis des mutations leur permettant de résister aux attaques envers les mutations d'origine, elles esquivent ainsi la thérapie.
Swanton et ses collègues ont donc pensé à cibler plusieurs mutations d'origine simultanément. Ainsi parmi les millions de cellules d'une tumeur, peu auront l'occasion d'évoluer vers un profil résistant. Pour assurer la destruction de la totalité des cellules tumorales, il faudrait cibler trois mutations.
Le premier inconvénient de cette approche est son coût. Il faudrait étudier le cancer d'une personne spécifique et établir ses mutations tumorales d'origine et ainsi appliquer un cocktail thérapeutique personnalisé.
Des médicaments anticancéreux
Alberto Bardelli est chercheur sur le cancer colorectal à l'université de Turin en Italie. Il a lui aussi utilisé la théorie de l'évolution pour contrer la résistance. Ayant fait le même constat que Swanton, il a décidé d'utiliser cette résistance dans une nouvelle thérapie.
Il a d'abord identifié les cellules cancéreuses résistantes qu'il appelle « clones ». Il a traité les patients avec un médicament adapté et a surveillé la tumeur pour voir si un clone spécifique allait commencer à prendre le dessus. Ensuite Bardelli a stoppé le traitement avec le médicament et ainsi, a enlevé la pression de sélection qui permettait aux clones résistants de proliférer. Ce faisant, d'autres types de cellules cancéreuses (nouveaux clones) sont entrées en compétition avec les anciens clones. En fait, le cancer a commencé à se retourner contre lui-même. Quand les nouveaux clones ont gagné du terrain, le médicament de départ (pour lequel ces clones n'ont pas eu le temps de développer une résistance) a été ré-administré. Ce médicament a ainsi terrassé une grande partie de la tumeur. Le Dr Bardelli a appelé cette stratégie « la guerre des clones ».
Des médicaments en essai clinique
Utiliser l'évolution contre le cancer ressemble à un coup de génie ! Cette méthode paraît pleine d'avenir, mais pour l'instant, son efficacité n'a pas été confirmée. Des essais cliniques prometteurs sont actuellement en cours cet été 2016.