INTERVIEW Fred Dewilde raconte dans un livre sa soirée au Bataclan le 13 novembre 2015 et ses conséquences...
Cela aura pris neuf mois. Fred Dewilde* publie ce vendredi Mon Bataclan (Ed. Lemieux), mi-bande dessinée, mi-livre. Ce graphiste de 49 ans, passionné par le dessin, y raconte en dessin sa soirée du 13 novembre 2015 dans la salle de spectacle où 90 personnes ont été tuées, avant de raconter par les mots l'après attentat et sa lutte pour la reconstruction. 20 Minutes l'a rencontré.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
C'était un besoin viscéral. Dessiner les images, c'est une façon de me les sortir de la tête. Cela a toujours été comme ça, quelle que soit l'image. Je l'ai en tête tant que je ne l'ai pas dessinée. J'avais le film du Bataclan qui passait en permanence dans ma tête. J'ai essayé de le repousser en regardant beaucoup de films. Je ne pouvais pas lire parce que j'ai toujours des problèmes de concentration. Lorsque j'ai commencé à dessiner la BD, ça a été vraiment très violent parce que je revivais tout. Mais au fur et à mesure que j'avançais, j'allais de mieux en mieux. Je me réappropriais tout ça. Ça devenait réellement mon Bataclan, ma manière de retranscrire les choses.
Pourtant, vous avez d'abord couché cela par écrit, avant de le dessiner ?
J'avais besoin de poser mes idées d'une manière ou d'une autre car je ne pouvais pas dessiner au départ. J'étais physiquement incapable de le faire. Le premier dessin que j'ai réalisé du Bataclan était vraiment très violent graphiquement. J'avais la main très nerveuse. Le trait s'est assoupli au fur et à mesure. Je suis sorti du Bataclan grâce à mes dessins, mais j'ai effectivement commencé par écrire. Certaines choses sont sorties comme ça. J'ai beaucoup réfléchi à d'autres pour essayer de dire tout ce que j'avais à dire.
Vous n'avez pas dessiné certaines images, pourquoi ?
Ces images sont enfouies en moi. Je ne doute pas un seul instant qu'elles ressortent à un moment donné dans mes rêves, mes cauchemars. Je pense qu'elles sont revenues dans certains dessins, malgré tout. Je ne serai pas étonné d'apprendre que ce que j'ai dessiné correspond à une certaine réalité, que des gens se retrouvent dans ce que j'ai dessiné, alors que je l'ai fait de mémoire. Cela fait partie du processus de guérison. Mais dans tous les cas, dessiner des gens qui se font tuer, ça ne m'intéresse pas. Je travaille davantage sur le ressenti, l'émotion. Il n'est pas nécessaire de montrer des scènes d'horreur pour retranscrire l'horreur. Pour moi c'est un respect de l'humain.
Avez-vous gardé contact avec les personnes que vous avez rencontrées ce soir-là ?
Bien sûr. Ils font partie de ma vie maintenant, comme je pense faire partie de la leur. Quand nous nous sommes rencontrés, nous étions complètement à nu intellectuellement, démunis. Nous avions besoin de l'autre. C'est quelque chose qui est resté gravé. C'est une amitié à l'envers en quelque sorte. Je sais qui ils sont au plus profond d'eux-mêmes et inversement. Aujourd'hui, nous sommes en train de nous découvrir en tant que personne.
Quels retours avez-vous de la part de victimes ?
Je suis extrêmement touché parce que les retours que j'ai eus jusqu'à présent sont très positifs. Quand je suis arrivé à la moitié de la BD, je me suis dit qu'il fallait que j'aille jusqu'au bout du projet parce que ça pouvait aider d'autres personnes. Maintenant, c'est en train de devenir leur Bataclan et chaque personne qui le lit me dit « merci, c'est exactement ce que j'ai ressenti ». Alors je me dis que, tout le bien que moi ça m'a fait, tout ce à quoi ça m'a servi, ça leur sert à leur tour. C'est le plus beau compliment que je puisse avoir. Que les survivants se disent « c'est ça, que j'ai vécu ». J'espère qu'ils vont y trouver un apaisement.
Comment appréhendez-vous les commémorations qui arrivent bientôt ?
C'est très ambigu. Le symbole de l'année passée signifie un avancement dans le temps, pour nous aussi. Mais on s'attend au pire de la part des médias : du voyeurisme, de la sensiblerie mal placée, un rappel qui n'a pas besoin d'être fait, pas quelque chose d'axé sur l'humain mais sur l'émotion. Je pense que la totalité des gens qui ont vécu ça, à quelque endroit que ce soit ce soir-là, ont envie que les gens comprennent l'horreur que ça a été, et l'horreur que c'est après pour eux au quotidien sans que ce soit forcément « regardez-nous, on est des victimes ». C'est compliqué parce qu'on est des victimes, donc on veut être pris en charge en tant que telles. Et en même temps, c'est « ne nous prenez pas QUE pour des victimes, nous sommes des êtres humains en reconstruction ».