Chaque année, dès le printemps, il suffit de lever les yeux pour les apercevoir. Ils pénètrent notre espace aérien en provenance des pays du Sud, par petits groupes plus ou moins discrets. On peut les reconnaitre à leur fameuse formation en chevron (ou en « V ») : bernaches nonnettes, fauvettes à tête noire, pouillots véloces et autres tourtes voyageuses, les migrants sont de retour.
C'est souvent épuisés, au terme d'un périple aussi éprouvant que dangereux, que ces candidats-réfugiés arrivent dans nos régions. « La plupart d'entre eux fuient des conditions de vie très pénibles », nous explique Jacques Perrin, auteur du documentaire Le Peuple migrateur qu'il a consacré à ces populations. « Le réchauffement climatique, la déforestation et la désertification de leur habitat d'origine les poussent inexorablement, chaque année plus nombreux, à chercher en Europe un climat plus agréable. » Les migrants fuient aussi des régions en guerre et des dictatures où l'existence parait parfois aussi légère qu'une plume. Colombe, gardée en cage pendant 5 ans dans son pays d'origine, nous livre un témoignage poignant: « Parqués par douzaines dans des volières minuscules, nous étions soumis à des interrogatoires interminables : de longues heures passées sur le grill, parfois même à la broche. Nos geôliers, de jeunes coqs fiers comme des paons, bien que juste sortis de l'œuf, étaient des triple-buses bornés et violents, particulièrement quand ils avaient un coup dans l'aile. J'ai vu des camarades de détention, parfois très jeunes, de vraies oies blanches, se faire plumer vifs, désosser, farcir, réduire en escalope, pocher, paner, poëler, rôtir, confire... Et même si certains ont pu s'envoler de cet enfer, c'est souvent diminués, devenus des manchots ou des canards boiteux ; c'est en tout cas toujours en y laissant des plumes. Nombreux aussi sont les détenus qui ne reviendront jamais... Mais les circonstances exactes de leur disparition restent floues car le plus souvent, les oiseaux se cachent pour mourir. »
Ça vit d'air pur et d'eau fraîche
« Le voyage est un enfer », poursuit Perrin: « Il s'agit d'abord de trouver un passereau. Mais ceux-ci profitent souvent du désarroi de leurs clients pour les plumer comme des pigeons. Les passereaux demandent jusqu'à 3 ou 4 œufs frais pour le voyage, ils ne se mouchent pas du bec, c'est du vol ! Ensuite, même si un guide honnête prend une famille sous son aile, il faudra encore affronter les vents contraires, les erreurs de direction, les tirs de chasseurs et les accidents de drones. Puis, c'est l'arrivée en Belgique et les difficultés continuent. »
Une plateforme ornithologique a été constituée pour venir en aide à ces voyageurs épuisés et déboussolés qui arrivent en nombre chez nous. Son président, Pierre Perret, fervent défenseur de la cause aviaire, nous explique : « Il faut voir dans quelles conditions ces pauvres êtres sont logés. Le camp de réfugiés du Zwin, par exemple, est si surchargé et délabré qu'on le surnomme désormais ‘la jungle de Knokke-Heist' ! On ne peut plus accepter cette situation : inégalités, préjugés, enfermements abusifs, ça suffit ! Ouvrez ouvrez la cage aux oiseaux ! » Le chanteur a organisé cet été un concert de soutien aux volatiles, concert qui a remporté un vif succès. En tête d'affiche : Corneille, Emily Loizeau, les Birds et les Eagles... Les stars ont entonné de nombreux airs évocateurs jusque tard dans la nuit. Notamment : I believe I can fly, El condor Pasa, L'Aigle Noir, Alouette gentille alouette et Papa Pingouin. Il y eut aussi quelques belles reprises d'Edith Piaf. C'était vraiment chouette!
D'un peu de chasse et de pêche
Pourtant, tout le monde ne montre pas la même sympathie à l'égard de l'avifaune. Pour beaucoup de nos compatriotes, les migrants constituent une nuisance, voire un danger d'envergure ! Bâtiments saccagés de fientes et souillures, nids-de-poule sur nos routes, amas de plumes et duvets jonchant nos trottoirs, nids envahis de coucous squatteurs,... Ces désagréments hérissent les plumes de certains qui n'hésitent pas à ouvrir un large bec pour faire entendre leur voix. En témoignent les nombreuses lettres (parfois anonymes, œuvres de « corbeaux ») envoyés par nos lecteurs. Ainsi, Donald, qui perche à Couvain : « Ces gens-là ne sont pas comme nous ! Leurs coutumes sont choquantes ! Ça commence dès l'aube avec l'appel à la prière, cet insupportable cocorico vite rejoint par des centaines de jacasseries, pépiements et autres hululements. Et puis regardez-les roucouler lors de leurs parades amoureuses, c'est dégoûtant ! Et leurs femmes ! Ces grues ! Ces dindes ! Ces bécasses qui puent du bec, ces cocottes sapées comme des poules de luxe ! Si ça ne tenait qu'à moi, je ferais canarder tous ces blancs-becs ! » Titi, de Seraing, va plus loin : « Il faut prendre les devants. Désolé de jouer les oiseaux de mauvais augure mais le gouvernement bat de l'aile. Notre Premier Ministre, ce crâne d'œuf, va sans doute poursuivre sa politique de l'autruche et nous pondre une énième réforme de poule mouillée, encore une coquille vide... Mais ne nous y fions pas, attention au miroir aux alouettes ! Il est temps de nous lisser les plumes et de nous défendre bec et ongle afin de voler de nos propres ailes ! Cessons d'être les dindons de la farce !»
Mais jamais rien ne l'empêche
Plus grave, les risques pour notre royaume semblent bien réels et l'OCAM a même dû relever le niveau d'alerte à 4 suite aux éléments découverts récemment par nos services de renseignement. Tout le monde se souvient de l'attentat dont a été victime la statue de Léopold II à Bruxelles, attentat jusqu'ici non revendiqué. Des tests ADN effectués à partir du guano prélevé sur les lieux nous livrent des informations troublantes : l'auteur de cette attaque crapuleuse ne serait autre que Calimero, une pie voleuse qui avait été écrouée au centre fermé de Pairi-Daiza en 2012. En liberté conditionnelle depuis le début de cet été, il portait une bague électronique et faisait l'objet d'une surveillance continue de la part de la police. Une source proche de l'enquête, Pingu, nous révèle cependant : « Les poulets, ces cervelles de moineaux, ont foiré, c'est tout. L'oiseau s'est envolé, et on se retrouve le bec dans l'eau ! » Du côté de l'Intérieur, on marche sur des œufs. « Il faut clouer le bec aux idées reçues », déclare Jambon. « Je préfère étouffer dans l'œuf toutes les rumeurs qui circulent. Non ! Les faisans qui traversent nos routes ne sont pas des kamikazes, juste des pioupious en mal d'émotions fortes, qui ne trouvent pas les sensations recherchées dans la pratique du saut à l'élastique ou du vol en chute libre, rien d'autre ! Oui, nous sommes préparés à tous les scénarios. Je me suis ainsi personnellement assuré que de larges stocks de vaccin anti H1N1 et grippe aviaire soient disponibles si la menace d'attaque bactériologique devait se confirmer. »
Angry Birds
Ces déclarations n'ont pas convaincu l'opposition qui a immédiatement volé dans les plumes du Ministre : « Les Belges piaffent d'impatience et votre gouvernement a du plomb dans l'aile. Nous avons affaire ici à un véritable nid de terroristes. Hitchcock l'avait bien compris, lui ! Mais vous, Monsieur le Ministre ? Vous êtes là, coiffé de votre chapeau à plume et la cigarette au bec, mais que faites-vous ? On ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier et attendre sans rien faire ! Faute de grives, on mange du merle, Monsieur le Ministre. Alors, si votre ramage se rapporte à votre plumage, agissez s'il vous plait ! Souvenez-vous que qui vole un œuf vole un bœuf et bougez avant qu'il ne soit trop tard, peu importent les conséquences : on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. » Ce à quoi, M. Jambon aurait répondu : « Va te faire cuire un œuf ! » S'en sont suivis les habituels échanges de noms d'oiseaux et autres prises de becs.
On le voit une nouvelle fois, il est ardu de déterminer si les migrants sont des nuisibles ou des victimes. C'est comme pour la poule et l'œuf, difficile de se prononcer.