Les députés ont voté l'extension d'un vieil impôt sur les «vidéogrammes» aux plateformes vidéos gratuites comme YouTube et Dailymotion, contre l'avis du gouvernement. Le Sénat doit maintenant se pencher sur cette taxe dont le taux est fixé à 2%.
La «taxe YouTube» passe le cap de l'Assemblée nationale
La «taxe YouTube» franchit une étape. Contre l'avis du gouvernement, l'Assemblée nationale a voté mardi, dans le cadre du débat sur le projet de loi de finances rectificative pour 2016, un amendement instaurant de fait une imposition de la plateforme vidéo de Google. A l'initiative de députés socialistes, dont Karine Berger, Marcel Rogemont et la rapporteure générale de la commission des finances Valérie Rabault, ce texte élargit l'assiette d'une taxe existant depuis 1993 sur «les ventes et locations de vidéogrammes», qui vise à financer la création cinématographique et audiovisuelle et touche déjà la vidéo à la demande payante, aux «recettes publicitaires et de parrainage» des services gratuits de vidéo. Une façon de faire raquer YouTube, qui se rémunère grâce à la publicité et échappe pour l'instant à cette dîme.
D'après l'exposé de l'amendement, «la taxe sera due par tout opérateur, quel que soit son lieu d'établissement, proposant un service en France qui donne ou permet l'accès, à titre onéreux ou gratuit, à des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles ou autres contenus audiovisuels». Il cite nommément les cas du service de vidéo à la demande français Universciné (qui devait déjà s'acquitter de cette taxe), du magasin iTunes d'Apple et des plateformes communautaires Dailymotion et YouTube - ce dernier acteur étant le gros poisson du marché à attraper. Le taux de la taxe, qui s'élève à 2% des revenus français des opérateurs concernés, reste le même. Les services donnant accès à des «contenus audiovisuels créés par des utilisateurs privés», tels que YouTube avec ses vidéos de Youtubers, auront toutefois droit à un abattement de 66%. Autrement dit, la plateforme de Google bénéficiera d'une large ristourne sur cette nouvelle imposition.
10% pour YouPorn
«Cette extension de la taxe vidéo se justifie pleinement afin de rétablir l'équité fiscale entre les plateformes gratuites et payantes et entre acteurs nationaux et étrangers, notamment américains. En effet, rien ne justifie que la diffusion d'une œuvre soit taxée lorsqu'elle est disponible sur une plateforme de télévision à la demande, ou un service de vidéo à la demande, et que sa diffusion sur une plateforme gratuite ne génère aucun revenu finançant la création», justifient les députés signataires de l'amendement. Ne sont pas concernés par cette extension de la taxe les sites de presse et d'information, où les «contenus audiovisuels» sont secondaires, les sites de promotion d'œuvres comme Allociné et les services de télévision de rattrapage. En revanche, le taux de taxation est porté à 10% dans le cas des services diffusant des œuvres «à caractère pornographique ou violent» (coucou YouPorn).
Le produit de la taxe sera affecté au budget du Centre national du cinéma et l'image animée (CNC), qui ne se cache pas d'avoir travaillé avec les députés sur la rédaction du texte. «C'est une grande avancée, la réforme votée par les parlementaires a une forte portée symbolique, se réjouit la présidente du CNC, Frédérique Bredin. Désormais, les grandes plateformes internet comme YouTube, Dailymotion ou Snapchat, qui diffusent très largement des œuvres audiovisuelles contribueront elles aussi au financement de la création, à travers le CNC. Grâce à cette nouvelle mesure, le CNC pourra aider des créateurs indépendants du numérique qui réunissent des millions de vues sur ces plateformes. Elle va permettre de soutenir tout particulièrement la jeune génération à l'avant-garde des formats et des écritures sur Internet.»
Financer la création
Le monde de la culture est à l'unisson. «A rebours des lobbys des géants du numérique pour lesquels l'urgence est toujours de ne rien faire, les députés ont fait le choix de l'action et de la régulation plutôt que celui de la résignation et du laisser-faire», a salué la puissante Société des auteurs-compositeurs dramatiques (SACD). «L'inscription dans la loi de ce principe vertueux, selon lequel tous ceux qui profitent de la création doivent contribuer à son financement, représente une avancée fondamentale en faveur de la création», triomphe de son côté l'ARP, la société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs.
Le gouvernement s'oppose à cette taxe, rapportant 19 millions d'euros en l'état actuel, en raison de son faible rendement supplémentaire : seulement «un million d'euros» selon le secrétaire d'Etat au Budget, Christian Eckert, qui a rappelé mardi en séance que «la taxation des géants du numérique se réglera au niveau international». Par ailleurs, il redoute, comme certains députés Les Républicains qui dénoncent une «usine à gaz», la complexité de sa mise en œuvre, surtout dans le cas d'entreprises étrangères pratiquant «l'optimisation» à grande échelle dans les paradis fiscaux. Elle suppose en effet que Google fasse un effort de transparence inhabituel pour être appliquée. Si elle entre en vigueur un jour... La taxe, qui divise à l'intérieur des camps politiques, doit maintenant passer au vote devant le Sénat. Une première tentative parlementaire du même genre avait échoué lors de la discussion sur le budget 2017 en octobre.