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Il y a 10 ans, le 30 juin 1997, l'Angleterre rétrocédait Hong Kong à la Chine


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Le 30 juin 1997, à minuit, la colonie britannique sera rétrocédée à la Chine. L'Express a enquêté sur les enjeux politiques et économiques de cette région du monde, sondé les habitants de Hongkong et exploré le passé de cette cité hors du commun.

[Archives] Une bougie à la main, par dizaines de milliers, les gens de Hongkong sont descendus dans la rue, le 4 juin dernier, pour pleurer les victimes du mouvement prodémocratique de la place Tiananmen, réprimé dans le sang il y a huit ans par le régime communiste chinois. "Avec nos flammes de bougie et nos larmes de cire, dit un orateur, nous pensons aux morts. Notre hommage ne sera pas le dernier."

L'année prochaine, alors? Qui sait... Dans deux semaines, le 30 juin 1997, à minuit, le dernier gouverneur de Sa Majesté quittera la colonie britannique de Hongkong; ses quelque 6 millions d'habitants seront alors sous le contrôle de la Chine. L'exercice - sans précédent - consiste à rapprocher l'un des principaux centres financiers et commerciaux du monde, doublé de l'une des sociétés les plus ouvertes qui soient, avec le dernier grand régime totalitaire de la planète. Les gens de Hongkong y jouent leur avenir. Et les maîtres de Pékin, leur crédibilité.

Dans un premier temps, certes, le Parti communiste chinois, "ayant Jiang Zemin pour centre", espère tirer de l'événement un bénéfice considérable: rentrer dans l'Histoire comme celui qui aura effacé la dernière trace des humiliations infligées par les Occidentaux à l'empire du Milieu à partir du XIXe siècle. Pourtant, passé l'euphorie de la grand-messe nationaliste du 1er juillet, la rétrocession risque de se transformer en une épreuve difficile. Car la Chine a beau répéter que tout problème sera dès lors un problème intérieur, les yeux du monde seront fixés sur le territoire.

Le régime tiendra-t-il sa promesse de laisser à Hongkong un "haut degré d'autonomie" et de garder ses institutions "inchangées pendant cinquante ans"? A tort ou à raison, beaucoup en doutent, à commencer par l'administration Clinton, qui a fait savoir qu'elle serait très vigilante. Elle y est poussée par une opinion publique qui n'a jamais été aussi hostile envers la Chine depuis la guerre de Corée. Les contentieux sont légion: droits de l'homme, déséquilibre des échanges commerciaux, ventes de missiles ou de technologie nucléaire à l'Iran et au Pakistan, contributions embarrassantes de la Chine au Parti démocrate pendant la dernière campagne électorale, Taïwan... Les tirs de la marine chinoise au large de Formose, en mars 1996, au moment où Taïwan élisait pour la première fois son président au suffrage universel, ont eu un effet désastreux et prolongé sur l'opinion américaine.


Si, demain, le régime de Pékin venait à trahir ses engagements sur l'autonomie de la "région administrative spéciale" de Hongkong, il s'exposerait à des sanctions économiques de la part de Washington. Sur un plan politique, il ruinerait tout espoir de réunification pacifique avec Taïwan en démontrant l'inanité du slogan "Un pays, deux systèmes" censé la mettre en ?uvre.

Colonie clef en main
En 1984, lorsque Margaret Thatcher et Zhao Ziyang signent la Déclaration conjointe sino-britannique sur Hongkong, la Chine escompte qu'elle récupérera la colonie clef en main. Pour le reste, Business as usual. De démocratie et de réformes politiques, il n'est alors pas question. Les Hongkongais, c'est bien connu, ne pensent qu'à gagner de l'argent.

Ce que le régime communiste n'avait pas prévu, malgré les 2 000 "journalistes" de l'agence Chine nouvelle chargés du renseignement dans le territoire, c'est l'émergence, à partir des années 80, d'une véritable identité hongkongaise et d'une nouvelle culture politique. Jusque-là, Hongkong était, aux yeux de sa population - composée en très grande majorité d'immigrés ou de fils d'immigrés de Chine populaire - un lieu de passage. Dans l'Etat de droit que leur avaient toujours garanti les Britanniques ses habitants ne voyaient guère qu'une condition propice à l'enrichissement familial, étape obligatoire avant l'émigration vers l'Amérique du Nord ou l'Australie. Mais, lorsqu'il est devenu évident que la Chine allait récupérer le territoire en 1997 et que tout le monde ne pourrait pas partir, les insulaires se sont découvert une identité: Chinois, certes, mais aussi Hongkongais.

Beaucoup ont alors commencé à véritablement regarder vers la Chine réelle, vers le régime chinois, et à se mobiliser. Pas les magnats de la finance et de l'immobilier, mais les classes moyennes, sans lesquelles le territoire ne pourrait survivre. Des groupes de pression, qui finiront par devenir de véritables partis politiques, se créent. Ils exigent de savoir à quelles conditions se fera cette décolonisation très spéciale, puisque Pékin et Londres la négocient par-dessus la tête des colonisés.

Le besoin de se défendre contre l'arbitraire et de s'organiser politiquement se renforce après le massacre de la place Tiananmen, le 4 juin 1989: plus de 1 million de manifestants dans les rues de Hongkong pour conspuer le régime communiste. Pékin prend peur: le territoire va-t-il devenir un centre de subversion?

Les rédactions des journaux "de gauche", traditionnellement inféodés à Pékin, entrent en rébellion ouverte, le directeur de l'agence Chine nouvelle (ambassade de facto de la République populaire à Hongkong), Xu Jiatun, écuré par le massacre, demande l'asile politique aux Etats-Unis.

Plusieurs intellectuels - dont l'avocat Martin Lee et le président du syndicat des enseignants, Szeto Wah - fondent le Zhilianhui, l'Alliance de soutien au mouvement démocratique et patriotique chinois, et déclenchent l'opération "Yellow Bird", qui fera sortir clandestinement de Chine des centaines de dissidents recherchés par l'armée ou la police. L'entreprise coûtera très cher - il faut corrompre la police chinoise locale, et la tête d'un dissident se négocie parfois quelques centaines de milliers de francs - mais les donations, émanant souvent d'hommes d'affaires importants, ne manqueront pas. Pékin n'a cessé depuis lors de considérer le territoire comme un lieu privilégié des actions "anticommunistes et antichinoises fomentées de l'étranger".

L'arrivée, en 1992, du nouveau (et dernier) gouverneur britannique, Chris Patten, ne va pas arranger les choses. L'ancien leader du Parti conservateur est aussi un ami de John Major. Le Premier ministre, choqué par l'arrogance des dirigeants chinois lors de sa visite en Chine en 1991, a investi Patten d'une mission: mettre en ?uvre une démocratisation des institutions de Hongkong, avec ou sans l'aval de Pékin. A cinq ans de la rétrocession et trois ans seulement après Tiananmen, Londres ne veut pas jouer les Ponce Pilate.

La position de Patten à l'égard de Pékin tranche sur celle des sinologues vétérans du Foreign Office. Pas question pour lui de faire des concessions à la Chine en matière de démocratie et de droits de l'homme sous prétexte d'ineffables "différences culturelles". Patten a tout, on le voit, pour glacer d'effroi les maîtres de Pékin. Sa première visite officielle sur place suscite la consternation: les dirigeants chinois ont compris que les réformes politiques seront menées contre leur avis. Une sorte de coup d'Etat

De quoi s'agit-il? Essentiellement de transformer le Legislative Council, une vieille institution coloniale à caractère consultatif, en une assemblée dotée d'un véritable pouvoir législatif, composée de membres élus - pour une partie d'entre eux au moins - au suffrage universel. Concrètement, la réforme Patten aboutira à donner le droit de vote à 2 millions de citoyens qui ne l'avaient pas. Inadmissible! Au Legislative Council Pékin dénie toute légalité: il sera dissous le 1er juillet. En attendant, Pékin nomme, fin 1996, le chef de l'exécutif (autrement dit le gouverneur chinois de Hongkong) et, coup de théâtre, une "Assemblée législative provisoire". C'est une sorte de coup d'Etat, une violation formelle par Pékin de sa propre Loi fondamentale (régissant le statut de Hongkong), qui ne fait aucune référence à un organe législatif de substitution, non élu de surcroît, même si Pékin promet de nouvelles élections pour 1998.

La Chine aura également réussi, depuis 1989, une spectaculaire reprise en main des médias. Le dernier journal pro-taïwanais a dû quitter le territoire il y a deux ans. L'autocensure est aujourd'hui la règle dans les journaux, à quelques exceptions près, comme le vénérable South China Morning Post et, pour la presse chinoise, l'Apple Daily de Jimmy Lai. Mais ce dernier, qui a traité le Premier ministre Li Peng de "salopard" en 1989, paie cher son insolence: aucune banque n'a accepté de garantir la cotation en Bourse de son entreprise de presse.

Toutefois, la Chine aura échoué à empêcher ce qu'elle redoutait par-dessus tout: la tenue, en 1995, des premières élections véritablement politisées du territoire et la victoire du Parti démocratique de Martin Lee. Celui-ci n'aura de cesse de dénoncer les menaces que fait peser Pékin sur les libertés tardivement octroyées par les Britanniques après Tiananmen et deviendra le commis voyageur de la démocratie en terre hongkongaise. Au mois d'avril dernier, il est reçu par Bill Clinton à Washington et devient la coqueluche des médias américains, qui le baptisent "Martin Lee superstar". Sa popularité fait de l'ombre à Tung Chee-hwa, le chef de l'exécutif qui succédera à Patten le 1er juillet. Depuis son "élection" en décembre 1996, l'armateur Tung semble mal à l'aise dans ses nouvelles fonctions.

La langue de bois de Pékin
La pression exercée sur lui est telle qu'il est souvent contraint de reprendre la langue de bois de Pékin, par exemple quand il dénonce les "forces étrangères hostiles et anti-chinoises qui veulent déstabiliser Hongkong". Il semble se comporter comme le maire d'une grande ville chinoise sous administration directe de Pékin plutôt que comme un homme chargé de défendre les intérêts d'une "région administrative spéciale dotée d'un haut niveau d'autonomie". Aux yeux de l'opinion, il est déjà dévalorisé, avant même d'être entré en fonction.

Voilà qui est fâcheux pour Hongkong, qui devra apprendre, dans les prochaines années, à résister aux pressions de Pékin. Celles-ci seront - à moins d'un dérapage dramatique, toujours possible - plus économiques que politiques et policières. En 1995, Larry Yung, fils du vice-président chinois Rong Yiren et président de la Citic Pacific, la plus grande société chinoise implantée à Hongkong, a lancé un cri d'alarme: "Méfiez-vous des ganbu [cadres] du Nord!" Trop d'interventionnisme de la part de Pékin "tuerait Hongkong". Une façon de rappeler que de l'autre côté de la rivière Shenzhen (qui délimite la frontière avec le reste de la Chine) les sociétés qui traitent avec Hongkong ou y investissent ne sont pas des sociétés comme les autres: représentant souvent les intérêts d'une ville, d'une province ou d'un clan, elles sont dirigées par des mandarins entrepreneurs, détenteurs d'un pouvoir à la fois politique et économique, pour qui le trafic d'influence et la corruption semblent s'apparenter à un mode de vie.

Beaucoup d'hommes d'affaires étrangers justifient leur optimisme en évoquant l'exemple de Singapour, où l'incarcération des opposants politiques n'a jamais entravé le développement économique. Mais Hongkong n'est pas Singapour. Une grande partie des classes moyennes quittera les lieux si l'atmosphère devient irrespirable: un demi-million de Hongkongais détiennent un passeport étranger. Surtout, le territoire vit en osmose avec la Chine, dont les m?urs politiques et économiques risquent de le corrompre... Ainsi, la Chine a acquis l'an dernier la majorité des actions de la compagnie aérienne Cathay Pacific pour un prix inférieur à celui du marché; elle vise à présent d'autres sociétés jugées stratégiques, comme la Hong Kong Telecom. Après un siècle et demi d'hégémonie de Jardine & Matheson, on dira que c'est de bonne guerre. Mais Pékin saura-t-il jusqu'où aller trop loin?

De nombreuses entreprises étrangères exigent aujourd'hui, lorsqu'elles passent un contrat avec une société basée à Hongkong, une clause stipulant que les litiges éventuels soient jugés hors du territoire. Voilà sans doute, à terme, le plus grand danger pour Hongkong: devenir une ville chinoise comme les autres, probablement dépassée par Shanghai.