C'était jour de courses il y a quelques temps, calculette en poche et espèces sonnantes dans le crapaud, me voici à la porte du grand marché pas cher. En entrant sans prendre gare à mon espace, ma bouche répond toute bien éduquée « bonjour » à un jeune sur la gauche de l'entrée, mon regard lui a fui, tout occupé et préparé à saisir la meilleure étiquette, la rouge signe de promotion. Le but ultime, épargné le gros billet bleu et n'utiliser que la monnaie le billet vert et l'orange.
Quel enchantement, de sortir avec un sac de provisions calculé aux centimes près, et signe de jouvence pour au moins quatre jours entiers !
En sortant un « au revoir » me surprend, mon regard par réflex se glisse sur ma droite, mon pas ne semble pas vouloir se ralentir... idée surprenante... quelques enjambées plus loin c'est un stop pensif qui m'accompagne et détourne mon regard vers ce « au revoir ». Volte-face en entendant cette politesse si déroutante, la découverte de la jeunesse désemparée dans un regard ni suspicieux, ni attendrie, ni supplicateur, juste là dans l'attente d'un retour, d'un sourire...
Un jeune en espérance, debout et à ses pieds une espèce de casquette, parsemée de quelques couleurs jaune et orange, celles qui garnissent le fond du porte-monnaie. De haut en bas, de bas en haut, mon regard scrute, y a-t-il danger ?, est-ce raisonnable ?, ma main a déjà plonger dans le fond des couleurs, à la recherche de la plus argenté possible, et là oui, deux ronds bien brillant, s'en emparer, se baisser avec délicatesse et poser sans jeter dédaigneusement le petit trésor.
Là, surprise de ne pas entendre le « merci monsieur » trop choqué de la vision d'un regard croisé, illuminé, non pas de l'abondance du geste, non juste, une lumière du fond de l'âme reconnaissante. Deux regards complices un court instant, communiant, partageant une seconde de joie, sans intérêt et désintéressés. Est-ce qu'il fume ?, oui et bien voilà une cigarette, a-t-il du feu, oui, son regard à encore doublé d'intensité, pas pour la cigarette, non juste parce que le temps s'est arrêté pour lui, à daigner lui accorder un moment de partage, un intérêt oublié dans son quotidien !
La pensée d'avoir donné non pas la fortune, mais juste une reconnaissance sans apriori, ni jugement, mais un clair instant, a comblé mon esprit. C'est le partage qui aura fait avancer deux inconnus, qui chargés de leurs infortunes, tracas et fardeau personnel, vers la subtile frontière du bonheur que l'on ressent sans être ébloui ou magnifié, juste un moment simple et nu.
Une journée qui marque de son empreinte, la malheureuse difficulté d'écouter, de voir, de s'arrêter un instant. De partager, de donner, d'écouter et voir, sentir toute la puissance qui réside dans l'attrait d'un regard, et faire abstraction du convenu, du conventionnel, c'est presque insoutenable de plaisir.
Il n'y a pas lieu de chercher ces instants, ou croire que le geste de la pièce est le déclencheur de l'état. Non, la surprise, et le désintérêt reste l'essence de cet instant. L'instinct qui choisit, le moment, le lieu est surement plus bonifiant que la répétition de l'acte.
Qu'importe l'avant et l'après, le pourquoi, le comment, le a qui, le présent fut ample et riche, du seul regard commun, celui qui fait avancer, celui qui rappelle la dureté d'une vie, mais l'espoir d'un moment magique. Tout cela est bien et appréciable. Souhaiter que chacun ait un instant de plénitude partagé avec l'inconnu « bonjour », et penser que c'est « au revoir » qui remplira a coup sur nos cœurs de bonheur et bonne humeur « à bientôt ».
Un moment de vie, une vie un moment, deux vies qui se croisent...
C'était un jour... notre jour.
par mollard lionel