A partir du 1er janvier, 11 millions de patients, représentant la moitié des actes médicaux, seront dispensés d'avance de frais chez le médecin.
Le tiers payant généralisé ne le sera-t-il finalement qu'à moitié ? Après des mois d'affrontement avec le gouvernement et alors qu'une nouvelle étape dans le déploiement de la mesure phare de la loi santé doit être franchie le 1er janvier 2017, les médecins libéraux semblent désormais convaincus qu'une alternance politique en mai empêchera la généralisation du dispositif à tous les patients en novembre 2017. A cette date, selon leurs pronostics, une partie des Français devrait bien continuer de payer sa consultation chez le médecin.
D'ici-là, à partir du 1er janvier, les médecins sont légalement tenus d'accepter toutes les demandes de dispense d'avance de frais émanant des patients pris en charge à 100 % par l'Assurance-maladie, c'est-à-dire les femmes enceintes à partir du sixième mois de grossesse et les patients atteints d'une affection de longue durée (ALD), comme le diabète ou la maladie d'Alzheimer. Soit environ 11 millions de patients représentant la moitié des actes médicaux en France. Le tiers payant était déjà proposé aux plus précaires.
« Le 1er janvier est un non-événement », assurent cependant en chœur les syndicats de médecins. Pour eux, les professionnels de santé pratiquent déjà massivement cette dispense d'avance de frais dans ces situations où l'Assurance-maladie est payeur unique. En octobre, près des trois quarts des patients en ALD (73,7 %) et 64,5 % des femmes enceintes n'ont rien déboursé pour leur consultation chez leur généraliste, selon un document du ministère de la santé publié le 20 décembre.
Montée en puissance
« Nous l'avons toujours dit, dès lors que c'est simple et qu'il n'y a qu'un seul payeur, le tiers payant n'est pas un sujet de discussion pour les médecins. Ils le pratiquent si ça arrange les patients », estime Claude Leicher, le président de MG France, premier syndicat chez les généralistes.
Le dispositif a connu ces derniers mois une montée en puissance. Au premier trimestre, seulement deux tiers des patients en ALD et 55,8 % des femmes enceintes bénéficiaient de cette avance de frais. Si les médecins hésitent moins à proposer le tiers payant, c'est notamment parce que, depuis le 1er juillet, ils ont la garantie d'être payés par l'Assurance-maladie, même si les droits du patient ne sont plus à jour. Par ailleurs, plusieurs logiciels de facturation proposent désormais par défaut le tiers payant pour les patients en affection longue durée. Au médecin de décocher la case s'il préfère faire régler directement le patient.
En dépit d'un taux d'utilisation déjà élevé, les praticiens libéraux qui refuseraient de se conformer à la loi s'exposeront-ils à des sanctions ? « Le directeur de l'Assurance-maladie, Nicolas Revel, m'a assuré qu'il ne poursuivrait pas les médecins qui ne pratiqueront pas le tiers payant après le 1er janvier », rapporte Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France.
Jean-Paul Ortiz, le président de la CSMF, premier syndicat chez les médecins libéraux, reste tout de même dubitatif : « Même si aucune sanction n'est prévue, dans la mesure où le tiers payant est devenu un droit pour le patient, c'est une obligation pour le médecin. On peut donc toujours imaginer qu'une association de patients se saisisse d'un refus. »
Reste la question de la généralisation de la mesure à tous les patients, promise pour novembre 2017 pour la part « Sécu » (soit 16,90 euros). Le candidat François Fillon a promis de revenir sur la mesure s'il accède à l'Elysée. « Un déploiement en novembre relève donc pour nous de la science-fiction, assure M. Hamon. C'est un combat d'arrière-garde que de continuer à essayer de l'appliquer. »
Un des « marqueurs » de gauche
« Mes patients hors ALD ne sont en aucun cas demandeurs de tiers payant. Ceux qui se garent en BMW me regardent avec étonnement quand je leur parle de dispense d'avance de frais », témoigne Yves Omejkane, un médecin généraliste de 56 ans à Champagne-sur-Oise (Val-d'Oise), qui avait fait « grève » en décembre 2014 contre la loi santé. « En dehors des bénéficiaires de la CMU [couverture maladie universelle], je n'ai pas l'impression que les 23 euros de la consultation soient une grosse contrainte pour les patients. Très peu me le demandent », rapporte Catherine Dufort, généraliste dans le 19e arrondissement de Paris.
L'avenir du dispositif, affaibli en janvier par la censure partielle du Conseil constitutionnel rendant optionnel le tiers payant sur la part complémentaire, est aujourd'hui très incertain. Alors même qu'il est bien loin d'être entièrement entré en vigueur, il est revendiqué par l'actuelle majorité comme l'un des « marqueurs » de gauche dignes de figurer au bilan du quinquennat.
A l'inverse, la droite promet de revenir sur sa généralisation, alors même que les différentes garanties apportées pour simplifier le dispositif ont fait progresser son usage. « La gauche a fait semblant de généraliser le tiers payant, la droite va faire semblant de le supprimer », résume Claude Leicher.