Le solstice d'hiver approche, renforçant le sentiment crépusculaire consécutif au 13 novembre 2015, événement traumatisant à des degrés divers selon le lieu où l'on se trouvait et le regard porté sur ces actes atroces à travers une fréquentation des médias plus ou moins soutenue. La vie doit reprendre, the show must go on ! Oui mais les choses ne peuvent pas revenir comme avant. Pour le grand nombre, c'est la crainte qui domine, émotion légitime mais aussi irrationnelle. Pour d'autres il sera possible de vivre comme avant une fois ces événements entrés dans l'oubli et sous réserve que des attaques de cette envergure ne se reproduisent plus. Enfin, les individus du troisième type seront marqués dans leur conscience car ils ne détachent pas le 13 novembre d'un contexte d'achèvement d'une époque, voire d'une civilisation.
Ces attentats jouent un rôle équivalent à la prise de Rome par les troupes d'Alaric en 410. Mais il faut être prudent lorsque l'on fait ce type de parallèle trans-historique, surtout en mettant face à face des époques séparées par seize siècles. Les Wisigoth mirent à sac la capitale de l'empire, pillant ses richesses, alors que les terroristes du 13 novembre n'avaient nullement l'intention de piller quoi que ce soit mais de semer la terreur pour des raisons politiques ; le volet religieux et surtout psychopathologique n'étant qu'un moyen pour perpétrer ces actions. Néanmoins, s'il existe un parallèle, c'est au niveau de l'impact. Car après le sac de Rome, les citoyens de l'empire, qu'ils soient de haute ou basse société, furent traumatisés, notamment les nobles réfugiés ainsi que les païens qui accusèrent les chrétiens d'être responsables de cet événement, ce qui incita Augustin à rédiger une fulgurante mise au point dans la Cité de Dieu, sans oublier une Histoire contre les païens écrite par Orose. Par la suite, le sac de Rome a été interprété comme le signe du déclin définitif de l'empire, d'aucuns utilisant même 410 comme date signant la transition entre l'Antiquité et le Haut Moyen Age.
2015 n'a rien à voir avec la chute de l'empire mais cette année résonne tout de même d'un goût amer avec les nombreuses visions du déclin français dont on n'énumèrera pas les auteurs, même si Eric Zemmour et Michel Houellebecq paraissent incontournables.
S'agissant de Rome, les historiens penchent pour la thèse d'un empire vermoulu dont la décadence aurait duré deux siècles avant que la mise à sac de Rome ne vienne sonner la chute finale. Cette chute qui dure deux siècles paraît néanmoins peu conforme à ce qu'on peut penser d'une civilisation. La réalité étant que les sociétés sont parcourues par plusieurs ressorts maintenant la production et l'ordre social alors que des processus antagonistes minent ou affaiblissent ces mêmes ressorts. Tout dépend de l'équilibre des forces. A un moment, les ressorts finissent par casser.
Les ressorts de la France et de l'Occident sont certes affaiblis mais rien ne laisse présager un effondrement. Ce qui s'effrite, c'est par contre la confiance dans la politique, l'économie et l'espérance pour les générations futures. Disons que la France est un pays vermoulu qui tente de préserver un empire démocratique européen lui aussi en plein désarroi. Le flux des migrants s'ajoutant alors au tableau sans que l'on ne puisse être autorisé à comparer ces gens fuyant leurs pays aux Wisigoths venus conquérir la Rome antique.
Paris a vécu nombre de secousses depuis les débuts de la modernité. Un mot sur le massacre de la saint Barthélemy qui en 1572 marqua les esprits par sa violence. L'Histoire retient néanmoins la récurrence des épisodes où se sont affrontés catholiques et protestants. En tout huit conflits religieux pendant la seconde moitié du 16ème siècle et un fait à noter. Le ressort est beaucoup moins religieux que politique. Certes, il y eut des persécutions lors des premières conversions au protestantisme dès 1520 mais par la suite, les motifs personnels et politiques ont été déterminants avec également la manipulation des peuples et des basses couches sociales qui elles, ont été certainement mues par des considérations d'ordre religieux dans un sens moral, eschatologique et superstitieux. L'essence du conflit a certainement été politique et quelques analystes ont pu établir que le motif religieux a été instrumentalisé par les politiciens et historiens des siècles suivants à des fins idéologiques. Le motif strictement religieux apparaît comme un mythe. La saint Barthélemy n'a rien de commun avec les authentiques guerres de religion au Moyen Age et notamment les Croisades. C'est comme l'inquisition qui, lorsqu'elle a des motifs religieux, combat les hérésies, notamment celle des cathares, alors qu'une autre inquisition plus politique a chassé non plus l'hérétique mais les possédés et autres sorcières, les tribunaux étant alors princiers bien plus qu'ecclésiaux. Ces affrontements entre catholiques et protestants ont signé le début de la modernité, inaugurant une longue série de guerres civiles à Paris ainsi qu'en France, Fronde, Révolutions, Commune de Paris en 1870, affaire Dreyfus, loi de 1905, affrontement entre fascistes et communistes dans les années 1930.
Ne peut-on voir une guerre civile jouée en spectacle avec la montée du FN et un vote qui de protestataire, se fait provocateur ? Auquel cas, les répliques appelant à la raison venant des politiciens socialistes et des médias diffusant la bonne parole (Canal, France Inter, Libé...) ne font que renforcer le désir de provoquer des électeurs du FN.
Pour conclure ce jeu de miroir entre deux mondes, Rome impériale en 410 et empire démocratique européen en 2015, avec Paris comme nouvelle Rome, on doit mettre l'accent sur la nature essentiellement politique de la crise actuelle ainsi que les ressorts des attentats perpétrés en France et dans le monde. Le religieux ne servant qu'à instrumentaliser des gens en mal d'existence pour servir une cause implantée dans le cerveau tel un logiciel toxique. Le sentiment d'effritement impérial est bien plus révélé que causé par quelques actions terroristes. Cela fait deux ou trois décennies que l'Europe tente de tenir bon avec des peuples solides, des élites qui gouvernent, des structures qui fonctionnent mais des processus qui décomposent en affaiblissant les ressorts collectifs et républicains.
N'oublions pas pour finir la divergence d'interprétation sur la chute de Rome qui n'a pas été forcément un effondrement mais plutôt un changement avec notamment la chrétienté comme puissant ressort collectif. Quant à notre monde de 2015, sans doute voit-on les choses différemment, ou bien ne les voit-on pas, masqués qu'elles sont par les distorsions médiatiques mais aussi les artifices du divertissement qui maintiennent les hommes en mouvement car le jeu est plaisant. Tous ces artifices donnent une raison de vivre, à défaut de fournir un sens à l'existence.
Juste un pas de plus dans ce chemin de pensée. Une prise de conscience réfléchie dans le soleil crépusculaire bien installé. Dans les années 1930, on a pu croire que c'était la fin de l'Europe alors qu'une autre interprétation mettrait en avant un mouvement inédit mais trop rapide et pas assez déconnecté des ressentiments du passé. D'où le fascisme et le nazisme comme avant-garde politique contaminée par des relents du passé. Cette avant-garde une fois anéantie a laissé place au cours normal de l'avant-garde liée à la figure métaphysique du Travailleur qui s'est insérée dans la démocratie à l'époque des sixties et de JFK. Mais en toile de fond, la Technique. Ces points ont été décrits ailleurs. Je me pose un instant pour méditer sur cette technique qui ne finit pas, sur cette époque indécise marquée par les techniques de communication qui amplifient le narcissisme, les désirs et bien entendu, donnent libre cours aux provocations, cette notion étant compris par son étymologie. Provocation, donner de la voix, impacter, impressionner, se faire entendre. Les plus habiles et les plus criards ont souvent le dernier mot.
Cette technique qui n'en finit pas n'est pas assortie d'un grand changement de paradigme. Pourtant, des choses se passent. La mécanique quantique est née à l'époque de la figure métaphysique du Travailleur. Actuellement, rien ne semble se passer et pourtant une révolution est en marche. Mais nous ne sommes plus à l'ère du Travailleur. La place du FN nous ramène vers une régression. Les électeurs du FN et du reste ceux du PS ou de la droite ne sont pas des conquérants. Ils veulent juste que le monde soit stabilisé pour maintenir leurs affaires et prospérer. Il n'y a plus d'élan métaphysique ni de destin collectif. Rien que des existences qui se regardent, des carriéristes, des combinards, des parvenus et des tas d'honnêtes gens qui pourraient faire l'Histoire s'ils avaient une conscience d'incarner quelque chose de collectif, quelque chose de nouveau et surtout pas les vielles lunes du marxisme ou du nationalisme.
Comme dans les années 1930, une physique nouvelle est en marche. Elle est centrée sur l'information, l'ordre, les résonances. La relativité et la physique quantique vont se métamorphoser. La musique prend le pouvoir dans les âmes. Un nouveau monde est impossible. Soyons réalistes, réalisons l'impossible ! Un monde nouveau doit émerger, comme après 410 ou après la saint Barthélemy ou après la Terreur ou après la Commune ou après la défaite de 40. A moins que la technique n'ait « anesthésié » l'essence du genre humain, produisant un troupeau artificiel pour occuper le technocosme.