
Le dépôt de bilan de la deuxième compagnie allemande va rebattre les cartes sur le marché des low costs européens.
Le moins que l'on puisse dire de la faillite d'Air Berlin, c'est qu'elle n'est pas une surprise. Depuis sa transformation en compagnie low cost au début des années 2000, la deuxième compagnie allemande n'a connu qu'un seul exercice bénéficiaire, en 2006. Avec une perte nette de 782 millions d'euros en 2016 pour un chiffre d'affaires de 3,78 milliards d'euros et 2,8 milliards d'euros de dettes, Air Berlin ne devait clairement sa survie qu'à la bonne volonté de son principal actionnaire, le groupe Etihad d'Abu Dhabi (29,2% des parts), qui a donc décidé d'arrêter les frais, ayant lui-même à faire face à de lourdes pertes.
Et pourtant, le dépôt de bilan d'Air Berlin soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses. A commencer par les raisons pour lesquelles la troisième compagnie low cost européenne en est arrivée là, malgré une facture de carburant en baisse et un trafic européen en plein boom.
Comment la troisième compagnie low cost européenne en est-elle arrivée là ?
Contrairement à Ryanair et easyJet, Air Berlin s'est bâtie principalement sur de la croissance externe, avec le rachat de Deutsche BA en 2006, de LTU en 2007 et des tentatives d'alliances avec TUI, Air France et tout dernièrement Lufthansa. Mais ces regroupements d'éléments disparates ne lui ont jamais permis d'amener ses coûts au niveau de ceux de ses concurrents low costs. Malgré une succession de plans de restructuration, son coût au siège (7,6 centimes d'euros fin 2016) reste supérieur de plus de 50% à celui de Ryanair.
Air Berlin a également pris des libertés coûteuses avec l'orthodoxie low cost, en mélangeant, par exemple, des Airbus et des Boeing dans sa flotte. Mais aussi, en voulant mener de front le développement d'un réseau low cost intra-européenne face à Ryanair, Easyjet et Eurowings, et une activité long-courrier touristique très saisonnière, héritée de ses origines charter. Résultat : Air Berlin a toujours fait figure de canard boiteux, même si elle était parvenue à se hisser au troisième rang des compagnies low cost européennes, avec un trafic qui a culminé à 31,5 millions de passagers en 2013 (avant de redescendre à 29 millions en 2016).
L'arrivée d'Etihad en 2011, puis son revirement stratégique début 2017, n'ont pas contribué à clarifier sa stratégie. Perçue par la compagnie d'Abu Dhabi comme un simple outil pour s'ouvrir les portes du marché européen, Air Berlin a failli servir de monnaie d'échange pour une alliance stratégique avec Air France-KLM, qui est finalement restée très limitée. Après quoi Etihad a essayé la même stratégie avec Lufthansa. Sans beaucoup plus de succès jusqu'à présent.
Quel avenir pour Air Berlin ?
Sans l'intervention du gouvernement allemand , qui a décidé de garantir un prêt de 150 millions auprès de la banque publique KfW, Air Berlin aurait probablement dû arrêter son activité dès ce week-end. Ce ballon d'oxygène devrait lui permettre de continuer à voler au moins jusqu'à la fin de la saison d'été, évitant ainsi à des millions de vacanciers allemands de se retrouver le bec dans l'eau.
Mais compte tenu du niveau de ses pertes d'exploitation (272,3 millions d'euros pour le seul premier trimestre), la compagnie ne pourra guère aller au delà d'octobre sans apport d'argent frais. Ce qui sous-entend deux possibilités : son rachat pur et simple, très improbable dans la mesure où aucun candidat ne s'est manifesté ces derniers mois alors que la volonté d'Etihad de se retirer était évidente, ou la cession d'une partie de ses actifs et de son activité, qui est le scénario le plus probable, mais qui ne fera pas les affaires des créanciers et de la majorité des 7.200 salariés. Cette solution pourrait néanmoins permettre à Air Berlin de poursuivre une partie de ses activités dans des structures ad hoc, sous la houlette de Lufthansa et TUIFly, avec lesquels elle a déjà un partenariat.
Que peut faire Lufthansa ?
Dès l'annonce du dépôt de bilan, Lufthansa s'est fendu d'un communiqué annonçant son intention de coopérer avec le gouvernement allemand « pour soutenir la restructuration d'Air Berlin ». En début d'année, Lufthansa avait déjà commencé à se positionner en passant un accord avec Etihad pour louer à Air Berlin 38 appareils moyen-courriers et leurs équipages, afin de renforcer ses filiales Eurowings et Austrian. Ces appareils continueront à être opérés normalement, souligne Lufthansa dans son communiqué. Mais surtout, le groupe annonce être en négociations pour reprendre « une part de l'activité du groupe Air Berlin » et étudier « la possibilité d'embaucher du personnel supplémentaire ».
Lufthansa n'a donc nullement l'intention de racheter l'intégralité d'Air Berlin, ce que les autorités européennes de la concurrence ne permettraient probablement pas sans d'importantes concessions. Mais il ne peut pas, non plus, se désintéresser de son sort, dans la mesure où toute place laissée vacante dans les aéroports allemands par une disparition d'Air Berlin risque d'être occupée par Ryanair et easyJet.
Ryanair et easyJet vont-ils en profiter ?
Avant même la faillite d'Air Berlin, une rumeur jamais démentie ni confirmée faisait déjà état de l'intérêt d'easyJet pour la reprise d'une part de l'activité d'Air Berlin. Nous verrons si elle se confirme dans les prochains jours, même si easyJet a déjà annoncé son intention de créer une filiale en Autriche pour palier les effets du Brexit.
Quant à Ryanair, elle avait déjà commencé à contester devant la Commission européenne l'accord passé entre Etihad et Lufthansa pour la location de 38 appareils d'Air Berlin. La compagnie low cost irlandaise n'a jamais caché son intérêt pour le marché allemand, où la part de marché des deux grandes low costs reste inférieure à la moyenne européenne, du fait de l'opposition de Lufthansa avec sa filiale Eurowings, mais aussi du fait de l'existence d'Air Berlin. Ryanair et easyJet ont donc tout intérêt à la voir disparaître du marché allemand aussi totalement et rapidement que possible, même si cela contribue aussi à renforcer Lufthansa.