
Une statue de l'ingénieur soviétique Mikhaïl Kalachnikov, inventeur du légendaire fusil d'assaut qui porte son nom, lors de son inauguration, mardi à Moscou
Une imposante statue de l'ingénieur soviétique, inventeur du fusil d'assaut qui porte son nom, a été inaugurée mardi à Moscou.
Le 19 septembre, c'est la saint Michel (celui qui a terrassé le dragon) et, par conséquent, le jour des armuriers, en Russie, la fête professionnelle de tous les employés du complexe militaro-industriel. Date idéale donc pour inaugurer, dans le centre de Moscou, un monument à la gloire de Mikhaïl (Michel) Kalachnikov, le père de l'arme la plus utilisée au monde.
Au cœur d'un carrefour bruyant, au pied d'un sordide centre d'affaires moderne surnommé «Mordor» par les Moscovites, s'élève désormais la silhouette métallique de 7 mètres de haut d'un type ordinaire, en blouson et chaussures de ville, tenant dans les mains, avec autant de fermeté que de délicatesse, un AK-47. Le monument est complété, en arrière-fond, par une sculpture de saint Michel en train de terrasser le dragon justement, des bas-reliefs des autres armes conçues sous la direction de Kalachnikov, des croquis et des instruments, et sa célèbre phrase: «J'ai créé des armes pour la protection de ma patrie.»
Le légendaire fusil d'assaut, conçu après la Deuxième Guerre mondiale, en 1947, a été produit depuis à plus de 100 millions d'exemplaires dans le monde. Symbole de lutte armée pour l'indépendance, il orne de nombreux drapeaux, dont ceux du Zimbabwe, du Mozambique et du mouvement chiite libanais Hezbollah. D'autres monuments lui ont été déjà érigés ailleurs, notamment en Corée du Nord et en Egypte.
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Comme le caviar et la vodka.
«C'est un monument peu ordinaire. Kalachnikov incarne les meilleurs traits de l'homme russe... L'AK, c'est, on peut le dire, un véritable symbole culturel russe», a déclaré le jour de l'inauguration le ministre de la Culture, Vladimir Medinsky, qui cumule aussi la fonction de directeur de la Société russe militaire et historique, à l'initiative du mémorial, avec le soutien du conseil municipal de Moscou et du conglomérat d'Etat Rostec.
Le sculpteur, Salavat Chtcherbakov, a expliqué qu'il a cherché à représenter le thème éternel de la lutte entre le bien et le mal. D'où le recours à l'image de l'archange Michel, qui est aussi le saint patron de Kalachnikov. «Nous montrons ainsi l'action de Kalachnikov : la lance de l'archange Michel, c'est le symbole de l'arme qui combat le mal dans le monde.»
Au-delà de ces déclarations officielles d'un lyrisme douteux, difficile de trouver des réactions positives à l'apparition, dans le centre de la capitale, d'un monument célébrant un outil de mort. Qui plus est, plutôt vilain. L'une des grandes questions étant le concept lui-même. Si on célèbre la mémoire de l'homme, de l'ingénieur génial et patriote, pourquoi lui faire porte l'AK, qui est, de facto, la pièce centrale de la composition. En revanche, si c'est un monument à l'arme, ce «symbole culturel russe», pourquoi l'avoir flanqué d'un papi en veston ?
«Un monument à un fusil d'assaut ?! Mais il tue des gens ! s'indigne l'historien de l'art Alexandre Timofeevski sur sa page Facebook. Mais le fusil d'assaut est devenu un symbole russe au même titre que la vodka, le manteau de fourrure, la balalaïka, le caviar et la poupée russe.» «La tradition de transformer Moscou en cimetière continue. On se promène dans la ville et on ne voit que des statues. Il n'existe aucune autre forme d'art sculptural», regrette de son côté le galeriste d'art contemporain Marat Guelman.