
Tintin devant la justice belge, Hergé ne s'y attendait certainement pas. Pourtant, un Congolais a porté plainte contre l'éditeur de Tintin au Congo au motif que l'ouvrage "laissait penser que les noirs n'étaient pas évolués".
Depuis qu'Hergé a publié sa première BD des aventures de Tintin en 1920, dans le monde entier des enfants ont grandi en suivant le journaliste dans ses multiples périples. Pourtant, aujourd'hui le reporter audacieux et son fidèle Milou se font voler dans les plumes dans leur pays natal depuis que Bienvenu Mbutu, un Congolais résidant en Belgique a traîné la maison d'édition Casterman devant les tribunaux. Selon M. Mbutu, la BD véhicule des stéréotypes négatifs sur les noirs et il réclame que l'album soit retiré de la vente ou à défaut qu'un avertissement y soit inséré.
Plusieurs planches avaient déjà été modifiées par Hergé lors de la réédition en couleur de la BD en 1946. Dans la version publiée en 1931, Tintin enseignait à un groupe d'enfants à moitié nus que leur patrie était la Belgique alors qu'à partir de 1946, Tintin leur enseigne les maths.
Et ce n'est pas la première fois que Tintin au Congo est montré du doigt. Depuis que la commission britannique pour l'égalité raciale a affirmé que la BD était insultante, elle est vendue accompagnée d'un avertissement. A la bibliothèque publique de Brooklyn, le livre n'est disponible que sur commande, tandis qu'en Suède il est dans la ligne de mire des groupes de défense des animaux à cause d'un passage où Tintin chasse un rhinocéros avec de la dynamite.

En haut la version de 1931, en bas, la version de 1936. Image postée sur Flickr par "uni.dijo".
"Hergé n'était pas raciste, son œuvre reflétait simplement l'image que l'Occident avait du Congo et de l'Afrique"

Roger Bongos
Roger Bongos est un journaliste congolais vivant à Paris.
Nous avons tous lu Tintin étant jeunes, car il faisait partie des très nombreux livres que les missionnaires belges ont laissés dans les bibliothèques après leur départ. A l'époque, on ne se posait pas beaucoup de questions : on voyait ces dessins d'Africains avec la peau noir ébène, des lèvres gigantesques et incapables de prononcer "Monsieur" autrement que "Misié" comme des caricatures plus qu'exagérées.
Mais on ne peut pas nier que ce livre est effectivement discriminant envers les noirs. Hergé n'était pas raciste, son œuvre reflétait simplement l'image que l'Occident avait du Congo et de l'Afrique à cette époque ainsi que les velléités colonialistes des Belges. Ce livre est un peu comme une "madeleine de Proust" pour nous : il nous aide à nous remémorer notre histoire coloniale.
Personnellement, je ne soutiens pas son interdiction parce que je pense que c'est important que les enfants puissent le lire et comprendre comment les noirs étaient traités dans le monde colonial. La plupart des Congolais qui soutiennent cette poursuite en justice n'essayent pas de faire interdire le livre mais ils le voient comme une opportunité pour que les gens prennent conscience du problème. Et c'est aussi une façon de demander une reconnaissance officielle par la Belgique des atrocités perpétrées pendant la période coloniale. La reconnaissance de cette histoire est très importante pour nous, même 50 ans après l'indépendance, tout comme la reconnaissance du génocide est importante pour les Arméniens."


"On devrait simplement apprendre aux gens à lire avec un regard critique."

Sebastián Rodríguez
Sébastian Rodriguez est un grand fan de Tintin. Il habite en Colombie. Il a étudié la représentation des pays étrangers dans les bandes dessinées.
Les aventures de Tintin correspondent à la représentation populaire qu'avaient les Européens des pays étrangers : les bandes-dessinées ne reflètent pas les lieux où Tintin voyage mais la façon dont ces endroits sont perçus à travers le regard européen. Tintin au Congo, qui est le deuxième épisode de la série des aventures de Tintin, montre le pays vu à travers les yeux du Belge blanc qui part sauver les pauvres Congolais.
L'Afrique n'est pas le seul pays que Tintin a visité. L'Amérique latine est décrite comme une jungle habitée par des tribus cannibales ou comme une république bananière où des dictateurs et des guérilleros gouvernent à tour de rôle avec la même inefficacité. Mêmes les Etats-Unis sont décrits comme un pays exotique habité par des cowboys, des indiens et des gangsters.
Censurer ce livre n'est pas la solution. Le retirer de la vente n'aidera pas les gens à devenir plus vigilants avec ces stéréotypes. On devrait simplement apprendre aux gens à lire avec un regard critique et à profiter des bons côtés de l'ouvrage.
