
Tintin au cinéma... quelle histoire ! Le passage du personnage de l'écrit à l'écran ne s'est pas fait sans mal. Le « petit » reporter a été adapté à plusieurs reprises au cinéma depuis sa naissance, en 1929. Il y a 70 ans, en 1947, un premier film d'animation, à base de marionnettes, sortait en Belgique. Reprenant le scénario du Crabe aux pinces d'or, le long-métrage ne devait pas rester longtemps à l'affiche, un différend judiciaire conduisant à la saisie des copies. Faut-il le regretter ? Pas forcément. Car, de l'avis même de son producteur, cette œuvre était un navet.
Cette mésaventure n'a pas dissuadé d'autres cinéastes de proposer une version animée de la BD. Dès 1950, l'éditeur Raymond Leblanc, créateur des éditions du Lombard et du Journal de Tintin, projette ainsi une série de dessins animés dédiée aux personnages d'Hergé. Il fonde, pour l'occasion, la société BelVision. Après quelques tâtonnements et une transposition maladroite pour le petit écran d'Objectif Lune, de L'Île noire et de L'Étoile mystérieuse, en 1959, Hergé désespère de voir « donner vie » à ses héros d'encre et de papier. Il rejette coup sur coup une demi-douzaine de projets qui lui sont soumis. Y compris un scénario original du commandant Cousteau qui rêve de faire construire un sous-marin en forme de requin, inspiré de celui du Trésor de Rackham le Rouge.
Tintin, star des sixties.
Cinquante ans avant Steven Spielberg, un producteur français (André Barret) parvient néanmoins à convaincre le dessinateur de l'autoriser à chercher un acteur susceptible d'incarner Tintin sur grand écran. Après plusieurs mois de recherche, Barret met la main sur un jeune Belge de 17 ans, Jean-Pierre Talbot, ressemblant comme deux gouttes d'eau à son héros. L'écriture du scénario, une histoire originale et non adaptée de l'un des 20 albums parus à l'époque, est confiée au dramaturge Remo Forlani. Le film, tourné en Turquie et en Grèce, sort pour les fêtes de fin d'année de 1961.
La Toison d'or, ici, n'a rien à voir avec la fourrure du bélier Chrysomallos de la légende grecque. C'est un bateau délabré qui croupit dans le port d'Istanbul. Le capitaine Haddock en a hérité d'un ami armateur, Thémistocle Paparanic. Et un mystérieux homme d'affaires, Anton Karabine, le convoite alors que ce navire est quasiment une ruine. Tintin découvrira que l'intérêt de Karabine pour cette embarcation tient au fait que Paparanic l'a utilisée pour transporter les réserves d'or de la banque nationale d'un pays latino-américain, au lendemain d'un coup d'État. Inspiré de faits réels (la disparition de plusieurs dizaines de lingots de La Havane, lors de la chute du dictateur cubain Rubén Fulgencio Batista), ce scénario séduit, en quelques semaines, plus de 2 millions de spectateurs.
Un demi-siècle plus tard, la sortie d'une copie restaurée de ce film, à l'initiative de Splendor Films, est une bonne nouvelle pour les tintinophiles. Si la réalisation de Jean-Jacques Vierne rivalise difficilement avec la mise en scène nerveuse de Peter Jackson (dans Le Secret de la licorne, 2011), le charme des acteurs et le comique des sketches qui truffent le film opèrent encore. Certes, tout dans cet opus, des dialogues trop polis des personnages à leur habillement parfois kitsch, en passant par les véhicules, semble bien désuet aujourd'hui. Mais un parfum de nostalgie nimbe son atmosphère et rachète l'ensemble.
Parfum de nostalgie matinée de kitsch.
Les Oranges bleues appellent moins d'indulgence. Le scénario de cette suite est désespérément plat, même si René Goscinny a été appelé à la rescousse pour muscler le pitch initial. Tourné trois ans après la Toison d'or, ce long-métrage est terriblement naïf. Les agrumes qui donnent leur nom à l'aventure ne sont-ils pas censés permettre de lutter contre la faim dans le monde ? Ses défenseurs argueront que les scénarios des James Bond de la même période sont également simplistes.
Soit !Reste que sa distribution sauve ce film. Jean-Pierre Talbot reprend le rôle de Tintin. Jean Bouise remplace Georges Wilson pour interpréter le capitaine Haddock. Si l'on regrette que Félix Fernández chipe à Georges Loriot le costume du professeur Tournesol, on se console que ce dernier, acteur fétiche de Pierre Étaix, ait été alors requis sur le tournage de Yoyo. On se réjouit aussi que le jazzman Max Elloy campe toujours le majordome, Nestor. Et l'on guette les apparitions, en guest-stars, du clown Achille Zavatta et du patron de presse Pierre Desgraupes.
Tout en se doutant que ces caméos plairont davantage aux parents, voire aux grands-parents, qu'aux bambins. En attendant l'adaptation par les studios hollywoodiens des Sept Boules de Crista l et du Temple du Soleil annoncée pour 2018, on espère désormais que ressorte un autre artefact cinématographique : Tintin et le lac aux requins...