

LE CERCLE/POINT DE VUE - L'avocat à la Cour Nicolas Lepetit apporte un éclairage juridique sur la notion de lanceur d'alerte. Les entreprises ont en effet jusqu'au 1er janvier 2018 pour mettre en place le dispositif de signalement.
« Wikileaks », « Luxleaks », « Football leaks », « Panama papers » ou « Paradise papers »... Les secrets, même apparemment les mieux protégés, ne sont plus à l'abri de divulgations, grâce aux progrès technologiques mais aussi aux révélations d'individus (Assange, Snowden, Manning), héros pour certains, traîtres pour d'autres.
Dès 2002, à la suite de l'éclatement de la bulle spéculative et des scandales qui s'en sont suivis, l'adoption par le Parlement américain d'une loi dite « Sarbanes-Oxley » avait contraint les sociétés françaises cotées aux Etats-Unis, ainsi que les filiales en France de sociétés cotées aux Etats-Unis, à mettre en place des dispositifs d'alerte professionnelle (des « whistleblowing »), souvent sous la forme de codes de bonne conduite, ayant vocation, non pas à se substituer, mais à s'ajouter aux modes classiques de signalement, par exemple auprès des supérieurs hiérarchiques, des RH ou des représentants du personnel.
Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte d'aujourd'hui ?
A cette fin, la CNIL a adopté en 2005 une autorisation unique, permettant aux entreprises de mettre en place de tels dispositifs par simple déclaration de conformité. Initialement circonscrite au domaine financier, cette protection a été étendue à d'autres secteurs et à d'autres populations (fonctionnaires, militaires), au fil des débats parlementaires.
Désormais, le lanceur d'alerte se définit, en des termes très généraux, comme la « personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international [...], de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». La loi instaure une exonération pénale au profit de ceux qui ont porté atteinte à un secret protégé par loi, dès lors que cette divulgation est « nécessaire et proportionnée ». Le secret de la défense nationale, le secret médical et le secret professionnel des avocats sont cependant exclus de ce dispositif.
Concrètement, le signalement d'une alerte doit tout d'abord être porté à la connaissance de l'employeur (ou de son représentant) et, en l'absence de diligences de ce dernier « dans un délai raisonnable », il peut ensuite être adressé, selon les cas, à l'autorité judiciaire ou administrative ou aux ordres professionnels puis, à défaut de traitement dans un délai de trois mois, il peut être rendu public.
En cas de danger grave et imminent, ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, la première étape, voire également la deuxième, peuvent être contournées. Aucune personne ne peut être sanctionnée, licenciée ou discriminée pour avoir signalé une alerte dans les conditions prévues par la nouvelle loi.
Quelles sont les obligations des entreprises ?
Les entreprises d'au moins 50 salariés, notamment, sont désormais tenues d'établir des « procédures appropriées » de recueil des signalements. Selon un décret en date du 19 avril 2017, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2018, cette procédure doit fixer les modalités de transmission à l'employeur (ou à un référent, qui peut être extérieur) du signalement ainsi que des éléments l'étayant.
La procédure doit aussi fixer le délai de traitement de l'alerte, les modalités selon lesquelles l'auteur est informé des suites données à son signalement, ou encore, les dispositions permettant de garantir la stricte confidentialité du lanceur d'alerte, des faits et des personnes visées, ainsi que la destruction du dossier dans les deux mois suivant la clôture des opérations de vérification.
Par ailleurs, les entreprises employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros, et celles appartenant à un groupe de cette importance, sont tenues, depuis le 1er juin 2017, de prendre des mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l'étranger, de faits de corruption ou de trafic d'influence, en mettant en oeuvre les mesures et procédures prévues par la loi, notamment un code de conduite et un dispositif d'alerte interne, sous le contrôle de la nouvelle Agence française anticorruption, qui pourra notifier des sanctions.
Prolifération de textes.
Comme précédemment, la mise en place de tels mécanismes supposera la consultation des représentants du personnel, la modification du règlement intérieur, l'information individuelle des salariés et une déclaration auprès de la CNIL. Ils peuvent apparaître très contraignants, voire coûteux. Mais dans une société où la transparence semble désormais être la règle, la recherche d'éthique est aussi une opportunité pour les entreprises, qui peuvent communiquer sur les valeurs qu'elles entendent promouvoir et combattre des comportements, par exemple de corruption, qui entravent la compétitivité.
Il faut saluer aussi la volonté de promouvoir les signalements désintéressés, c'est-à-dire non rétribués. Rappelons encore que la CNIL n'encourage pas les signalements anonymes, ce que ne devrait pas remettre en cause la nouvelle loi.
L'on peut déplorer, en revanche, la prolifération des textes organisant les alertes professionnelles, qui ne favorise ni leur lisibilité ni, par conséquent, leur effectivité. En effet, d'autres lois protègent déjà ceux qui témoignent ou relatent des faits de harcèlement sexuel, de corruption, ou relatifs à la sécurité sanitaire des médicaments, à un risque grave pour la santé publique ou l'environnement.
La définition du lanceur d'alerte retenue par la loi « Sapin 2 » était pourtant suffisamment large pour s'appliquer également « à d'autres procédures d'alerte instaurées par le législateur », même « en dehors du cadre professionnel », ainsi que l'a souligné le Conseil constitutionnel. Il aurait été préférable de consacrer un texte de référence, plutôt que de juxtaposer des mécanismes parfois concurrents.
Risque d'abus.
La définition du lanceur d'alerte issue de la loi nouvelle est si large, du reste, qu'elle peut manquer de clarté. Si la violation de la loi, d'un règlement ou d'une convention internationale peut sembler précise, il en est autrement de la « menace ou [du] préjudice grave pour l'intérêt général ».
Certes, il appartiendra aux tribunaux de se prononcer, mais nécessairement a posteriori. Sur l'instant, c'est bien le lanceur d'alerte qui appréciera si le fait dont il a été le témoin est suffisamment grave pour justifier sa divulgation auprès de son employeur, d'une autorité, voire aussi, le cas échéant directement, de la presse. Cette appréciation personnelle et individuelle de l'intérêt général risque d'aboutir à des abus.
La frontière entre éthique et transparence, d'une part, et dénonciation mensongère, médisante ou tout simplement imprudente, d'autre part, est parfois ténue. Un fait véritable peut être dénaturé, ou mal interprété. L'on sait depuis Francis Bacon qu'il reste toujours quelque chose de la calomnie, ce « bruit léger » qui devient, selon Beaumarchais, « un chorus universel de haine et de proscription ».
Nicolas Lepetit est avocat à la Cour et exerce au sein du cabinet Bersay & Associés.