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A Hongkong, des fans de foot défient Pékin en sifflant l'hymne


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Malgré le durcissement de la loi, des supporteurs de la région administrative spéciale refusent toujours de respecter l'hymne chinois.

Un silence docile dans l'essentiel du stade clairsemé. Mais dans ce petit kop d'«ultras», on entend les sifflements, on voit des dos tournés, un grand drapeau hongkongais déployé et même un majeur levé. L'hymne chinois a retenti jeudi avant le match de foot amical contre le Bahreïn (0-2) sans que la centaine de récalcitrants ne montre plus de déférence que d'habitude. «L'hymne ne nous représente pas. Nous sommes Hongkongais, pas Chinois», tranche placidement l'un d'eux, juste avant le coup d'envoi.

La Chine vient pourtant de durcir une loi adoptée en septembre et sanctionnant les outrages à l'hymne national. Ceux qui manqueraient de respect, déformeraient intentionnellement les paroles ou l'air du chant risque désormais trois ans de prison. Cela fait hausser les épaules de Peten, 21 ans, maillot rouge et blanc flanqué de ce nom : «Hongkongais». «Jamais ils n'appliqueront ça à Hongkong», rigole l'étudiant avant de lancer bravache : «Et même, nous continuerons de conspuer leur hymne», ce malgré Pékin et malgré les menaces de sanction de la Fédération internationale de foot ou les appels au calme des clubs de foot «pour ne pas pénaliser l'équipe».

Hongkong, région administrative spéciale de Chine, va pourtant devoir se mettre au diapason. Pékin a fait inscrire le week-end dernier la mesure dans la loi fondamentale de la région administrative spéciale, qui doit désormais la transposer dans son droit avant de l'appliquer. «Une histoire urgente à régler», selon des représentants locaux qui veulent avant tout faire taire cette poignée de supporters de foot qui, comme jeudi, «gâchent» le refrain d'unité nationale.

«Un salaire et de la stabilité.»

«Nous qui ne faisons qu'un, en avant !» disent en mandarin les paroles de la Marche des volontaires, poème mis en musique en 1935. Tombé en disgrâce lorsque son auteur, Tian Han, fut taxé de contre-révolutionnaire pendant la Révolution culturelle et périt en détention, le texte ne fut réhabilité qu'en 1982 et adopté alors comme hymne officiel de la République populaire de Chine.

Il remplace God Save the Queen depuis que Hongkong a été rétrocédé à la Chine en 1997. Mais ne semble pas avoir conquis le cœur des habitants, qui parlent cantonais. Dans les travées du stade de Mongkok, jeudi, personne ou presque ne chantait les paroles. «Au pire, même si on n'est pas d'accord, on se tait pendant l'hymne. Les jeunes qui huent sont des fous, ils n'ont pas compris que Hongkong n'est qu'une ville de Chine. Ici, on veut juste avoir un salaire et de la stabilité», martèle à la mi-temps un supporteur, la cinquantaine, crâne dégarni.

L'hymne est aujourd'hui utilisé par le président chinois Xi Jinping pour infuser dans tout le pays un souffle patriotique. Le sport devient un enjeu pour le pouvoir comme pour les Hongkongais qui défendent leur identité locale et leurs libertés, explique Brian Bridges, professeur assistant en sciences politiques à l'université Lingnan de Hongkong.

«Le foot hongkongais a été relativement préservé des hooligans mais le phénomène des huées est sans conteste un développement nouveau et il peut être perçu comme une manière de transférer des idéaux du mouvement Occupy Central vers une plateforme plus large», poursuit l'universitaire en référence au mouvement pro-démocratique des Parapluies de 2014. Selon lui, «de par son large public et son exposition médiatique, le foot est un terrain propice à l'expression d'une insatisfaction populaire», qui va grandissante à mesure que Pékin accroît son contrôle politique et économique sur ce territoire en dépit du haut degré d'autonomie octroyé en théorie jusqu'en 2047.

Danger des ambiguïtés.

Les autorités locales ont pris ces derniers mois des mesures pour punir tout appel à l'indépendance et ordonné un grand nettoyage dans les universités où fleurissaient les banderoles jugées provocatrices.

Et elles ne badinent pas avec les symboles. Ainsi un député partisan de plus d'autonomie pour Hongkong a été condamné fin septembre à 5 000 hkd (550 euros) d'amende. Son délit: avoir planté la tête en bas des petits drapeaux chinois et hongkongais disposés sur les pupitres des députés dans l'hémicycle. La loi sur l'hymne «est juste une mesure de plus», estime Dennis Kwok, élu de l'opposition. «Elle ne vise pas spécifiquement Hongkong, qui a d'ailleurs déjà ses lois concernant le respect du drapeau, mais tout le pays.»

Mais la prudence reste de mise car on ignore encore comment la loi sera rédigée et surtout interprétée par les tribunaux, poursuit le député qui met en garde contre l'arbitraire. L'actualité récente a montré le danger des ambiguïtés. Plusieurs députés, tous pro démocratie, ont perdu leur siège pour avoir, selon la justice, manqué de «sincérité» lors de leurs prestations de serment. Le nouveau texte va «définitivement saper la liberté d'expression», redoute Tanya Chan, autre députée de l'opposition. Une inquiétude partagée par Maya Wang, chercheuse sur la Chine pour Human Rights Watch: «Le gouvernement central juge important que Hongkong, longtemps considérée comme une ville ingrate boudant son appartenance à la Chine, devienne plus patriote et mieux intégrée.»