
Cuirassé russe.
L'équipage se mutina en 1905.
"Le Cuirassé Potemkine" refait surface.
Le film du cinéaste soviétique Eisenstein, sorti en 1925 et élu meilleur film de tous les temps en 1958.
Connaissez-vous un film qui à lui seul, en une seule scène, a rendu célèbre une ville ? En cinq minutes, ce Cuirassé a fait faire le tour du monde aux escaliers d'Odessa, en Ukraine, et on ne peut plus voir un landau sans penser à celui, lâché par une mère du peuple fauchée par les balles tsaristes, qui dévale ces escaliers grâce au premier zoom avant de l'histoire du cinéma.
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Au début, il y eut la révolution manquée de 1905. Vingt ans plus tard, les bolcheviques souhaitent célébrer cet événement et le Comité central charge une commission de trouver le réalisateur adéquat qui pourrait redonner vie auprès des foules à ce prélude de 1917. L'URSS entre dans la NEP (Nouvelle économie politique), période d'assouplissement politique et économique.
Elle croit à la force de propagande du cinéma. La Commission, qui comprend le peintre Malevitch, désigne Sergueï Eisenstein, jeune réalisateur de 30 ans, qui ne compte à son actif qu'un court-métrage burlesque et un premier film, La Grève, très favorable aux idées révolutionnaires. Il faut se presser. Le temps manque avant l'anniversaire. Eisenstein, débordé, doit abandonner l'idée d'une fresque et ne pourra réaliser qu'un seul épisode, centré sur la mutinerie du cuirassé Potemkine dans le port d'Odessa.
Choc des plans successifs.
Au début, il y a ces vers qui grouillent dans la viande avariée qu'on donne à manger aux marins. Champ. Contrechamp sur les figures de l'équipage révolté. La méthode d'Eisenstein, qui ne recule devant aucun artifice, est en place, apprise auprès du grand metteur en scène de théâtre Meyerhold et expérimentée dans La Grève et dans le remontage des films occidentaux sur lesquels il s'est fait la main. C'est la théorie du montage-attraction, où le choc de deux plans successifs doit provoquer une émotion, un sentiment, une idée. Tout est une question de puissance, d'expressivité, dans le (gros) plan, mais aussi de rythme dans le télescopage entre les deux plans.
Voilà pourquoi la musique joue un si grand rôle, car elle doit coller parfaitement au rythme des images. La musique d'Edmund Meisel, d'une force inouïe, accompagnant la version restaurée ces jours-ci était la musique d'origine. Elle fut changée par Eisenstein (Chostakovitch en refit une autre) après une projection à Londres qui avait provoqué des rires.
Le choc des contraires, c'est aussi ce que l'on retrouve dans la structure même de ce film passionnant. Marins contre officiers. Population d'Odessa contre la garde tsariste qui fait feu sur les escaliers. La dilution aussi du héros dans la foule, avec le chef des mutinés, tué, puis porté en triomphe par la population d'Odessa. Enfin, comme dans toute bonne dialectique, il y a la synthèse, la réconciliation finale entre l'escadron, venu du large, censé réprimer les mutins et ces mêmes mutins puisqu'il pactise avec eux, scène renversée de la première séquence. Le Cuirassé Potemkine, considéré souvent comme le meilleur film du monde, est aussi un livre ouvert pour s'initier très facilement au langage et au pouvoir du cinéma.