
Un virage très à droite, amorcé d'une voix de miel. Vendredi 15 décembre, peu après 21 heures, le conservateur Sebastian Kurz (ÖVP, Parti populaire) et Heinz-Christian Strache, le chef de l'extrême droite (FPÖ, Parti de la liberté), se sont présentés tout sourire face aux journalistes. Deux mois après les législatives, ils ont dévoilé le résultat de leurs négociations en vue de la formation d'un gouvernement.
Affichant leur décontraction, ils ont annoncé sans surprise être parvenus assez facilement à un accord de coalition. « Nous souhaitons baisser les impôts et améliorer la sécurité, en luttant contre l'immigration illégale », a expliqué M. Kurz, qui doit devenir à 31 ans le plus jeune dirigeant au monde. L'allié de Marine Le Pen lui a ensuite donné du « cher Sebastian », louant « une estime réciproque » et une volonté commune de faire souffler le vent du changement sur cette « magnifique patrie qu'est l'Autriche ».
Si leur style se voulait chaleureux, leur programme est plutôt radical. Tous deux souhaitent autoriser des journées de douze heures de travail et revenir sur une réforme portée par la précédente législature, qui visait à interdire la cigarette dans les restaurants du pays. Le retour des notes à l'école est aussi prévu, ainsi que la baisse des allocations versées aux réfugiés.
Sebastian Kurz affirme qu'il occupera la chancellerie. Heinz-Christian Strache sera numéro deux. Concernant le reste, rien n'est encore officiellement fixé. L'investiture de leur gouvernement par le président de la République, Alexander Van der Bellen, doit avoir lieu lundi, après la ratification du pacte de coalition par l'ÖVP et le FPÖ, samedi. Mais la répartition des postes et une liste des ministres ont fuité dans la presse, notamment dans le quotidien Der Standard.
Selon ces documents, les conservateurs devraient s'occuper des finances, qui permettent de contrôler de facto tous les ministères. Les portefeuilles de l'éducation, de la culture, de la famille, de l'agriculture, de l'environnement et de la justice leur reviendraient aussi.
De son côté, l'extrême droite, arrivée troisième aux élections, pourrait obtenir l'intérieur, la défense, les affaires étrangères, les transports et la santé. Un cadeau bien trop beau, selon le journaliste d'investigation Florian Klenk, qui s'inquiète de voir pour la première fois « les militaires, les services secrets et les policiers soumis à la régence du FPÖ ».
Rassurer les Européens.
A la tête de l'hebdomadaire Falter, il appelle ouvertement Alexander Van der Bellen à user des droits que lui confère la Constitution pour empêcher le FPÖ d'avoir accès aux postes incarnant l'autorité. Die Grünen, le parti écologiste dont est issu le président, dit aussi craindre la mise en place d'un « Etat de surveillance généralisée » et lui lance un appel à agir. Notamment à cause de la personnalité de deux des candidats annoncés.
Le futur probable « premier flic » d'Autriche se nommerait Herbert Kickl. C'est l'ancienne plume du sulfureux tribun Jörg Haider et l'éminence grise du parti. Il était secrétaire général du FPÖ en 2010, quand ce dernier avait sorti l'un de ses slogans les plus polémiques : « Plus de courage pour notre sang viennois ! Trop d'étrangers n'est jamais bon. » Tout un programme, pour celui qui pourrait désormais incarner la nouvelle politique de l'Autriche concernant les questions de l'asile et de l'immigration.
Le choix du soldat Mario Kunasek pour prendre la tête des armées donne également quelques sueurs froides à l'opposition, qui l'accuse de cultiver des liens avec les milieux identitaires. Face à lui, la perspective de voir l'ancien candidat FPÖ à la présidentielle de 2016, Norbert Hofer, hériter des transports apparaît comme un non-sujet.
L'autre surprise de taille, c'est le passage du portefeuille des affaires étrangères entre les mains de l'extrême droite. Cette concession semble majeure, étant donné la vision du monde exposée par Heinz-Christian Strache. Ce dernier veut en effet emboîter le pas au président américain Donald Trump dans la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël. Et, à la mi-novembre, des élus du FPÖ étaient encore en Crimée sur invitation de la Russie, alors que l'annexion de cette péninsule ukrainienne par Moscou n'est pas reconnue par Bruxelles.
Pour tenter de rassurer les Européens, l'extrême droite promet d'offrir la diplomatie autrichienne à une non-encartée, Karin Kneissl. Cette experte du Moyen-Orient se trouve être une diplômée de l'ENA. Elle connaît donc bien la France et s'est montrée parfois critique à son égard, notamment lorsque Paris céda, en 2015, les locaux viennois de son Institut français au Qatar. Mme Kneissl s'était alors fendue d'une tribune au vitriol dans la presse autrichienne.
En cas de nomination, Paris n'aurait toutefois que peu à faire à elle : Sebastian Kurz a exigé que les prérogatives concernant l'Union européenne (UE) lui reviennent à lui. L'Autriche présidera l'UE au second semestre 2018 et les conservateurs souhaitent rester les uniques interlocuteurs des Vingt-Sept.
Le président sous pression.
Séparer ainsi les choses pourrait quand même se révéler acrobatique. Selon Der Standard, Mme Kneissl, qui a par ailleurs tenu des propos publics très durs envers le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, conserverait la capacité de nommer le représentant officiel de l'Autriche à Bruxelles.
La balle est désormais dans le camp d'Alexander Van der Bellen. Il pourrait décider, comme l'un de ses prédécesseurs, de jouer les trouble-fête. En 2000, le président de l'époque avait refusé de nommer deux candidats du FPÖ qui avaient tenu des propos ouvertement xénophobes. Il s'appelait Thomas Klestil. Et surtout il était conservateur. De quoi mettre un peu de pression sur ce président écologiste estampillé « de gauche », élu en décembre 2016 au second tour face à l'extrême droite, après le Brexit et l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, par une large majorité d'Autrichiens qui voulaient faire barrage à M. Hofer.
Pour lundi, six demandes d'autorisation à manifester ont aussi été déposées. Le chancelier social-démocrate sortant, Christian Kern, qui va rejoindre les bancs de l'opposition, estime qu'on « peut comprendre » ceux qui veulent descendre dans la rue.