Elisabeth II
La future Élisabeth II voit le jour le 21 avril 1926, à 2h 40 du matin, au domicile londonien de son grand-père maternel, le comte de Strathmore et Kinghorne, Bruton Street. Quant à son père, le prince Albert, duc d'York, il est le deuxième fils du roi George V et de la reine Mary.
La naissance a nécessité une césarienne. Comme l'exige la tradition dynastique, le ministre de l'Intérieur, Sir William Joynson-Hicks, s'est transporté sur place. À l'aube, les cloches de Saint-Paul sonnent à toute volée tandis que des salves d'honneur sont tirées à Hyde Park et à la Tour de Londres.
Pour quelques heures, la joie populaire éloigne le spectre de la crise économique. Le baptême a lieu le 29 ami à la chapelle du palais de Buckingham. Le bébé reçoit les prénoms d'Élisabeth Alexandra Mary, en hommage à sa mère, sa bisaïeule et sa grand-mère.
C'est en 1923 que le prince Albert - "Bertie" - a épousé lady Elizabeth Bowes-Lyon, issue de la plus haute aristocratie écossaise, et dont les qualités de cœur, le charme et le sens du devoir, ont valu le surnom de "duchesse souriante". Cependant, "Lilibet" - comme elle se nomme elle-même maladroitement - devient vite la coqueluche des Britanniques, en tant qu'héritière présomptive du trône, après son oncle David et son père.
À la différence des autres Windsor, les York mènent une existence paisible et familiale, celle de l'aristocratie rurale traditionnelle. Aux classes moyennes, ils souhaitent renvoyer l'image d'un foyer ordinaire, même si une armada de serviteurs veille au bien-être de la famille ! En 1927, celle-ci s'installe dans un bel hôtel particulier, au 145 Piccadilly, non loin de Buckingham. Quelque temps plus tard, Winston Churchill décrit en ces termes la future souveraine, âgée de 2 ans : "C'est un personnage. Elle a un air d'autorité et un caractère réfléchi, stupéfiants chez une jeune enfant."
Le 21 août 1930, Élisabeth accueille une petite sœur, Margaret Rose, née à Glamis, le château de Macbeth. La duchesse d'York, après deux accouchements difficiles, devra renoncer à avoir un fils. La famille se réduira à "Nous Quatre", selon l'expression de Bertie.
À Londres, comme à Royal Lodge, la résidence secondaire des York dans le parc de Windsor, les fillettes, qui ne sont pas soumises à une discipline trop sévère, connaissent une enfance relativement protégée, malgré l'intérêt que Lilibet suscite dans la presse.
Très tôt, Élisabeth se prendra d'une passion pour les labradors et les corgis, mais surtout pour les chevaux. Pour son 6e anniversaire, on construit pour elle un cottage gallois miniature dans les jardins de Royal Lodge, "Y Bwthyn Bach" - la Petite Maison. Avec Margaret, elle est éduquée par une gouvernante préceptrice, Marion Crawford - "Crawfie" - qui publiera plus tard un ouvrage de confidences fort controversé. "Le soleil semblait toujours briller" se souviendra la reine en évoquant ses premières années.
La mort de George V, survenue le 22 janvier 1936, puis le règne éphémère d'Édouard VIII, propulse Albert sur le devant de la scène. Le 10 décembre de la même année, le duc d'York devient, bien malgré lui, le roi George VI. Timide et anxieux, il n'a pas été préparé à coiffer la couronne.
Le 12 mai 1937, il est sacré à Westminster, avec son épouse, à la date prévue initialement pour l'intronisation de son frère. Dans la loge royale, ont pris place les jeunes princesses Élisabeth et Margaret, qui voient leur petit monde basculer. Dorénavant rien - sinon la naissance improbable d'un frère - ne pourrait empêcher Élisabeth de devenir reine un jour.
Grâce à l'énergie et l'intelligence de sa femme, George VI parvient à surmonter ses souffrances psychologiques et de faire face aux exigences de sa tâche. Avec le roi et les deux princesses, l'infatigable Écossaise constitue la "firme Windsor", une entreprise familiale, une force active au service de la nation, qui préserve le "mystère" de la monarchie, son caractère unique et sacro-saint, tout en l'assortissant d'un mode de vie sans prétention excessive.
Il restait l'épreuve du feu de la Seconde Guerre mondiale pour faire entrer George VI et les siens dans l'Histoire. Ils sauront symboliser l'esprit de résistance de tout un peuple, la volonté indomptable de ne pas plier dans l'adversité et devant la force brutale de l'ennemi.
Installée avec sa sœur au château de Windsor, la jeune Élisabeth, 13 ans au début du conflit, s'implique dans l'effort commun. Le 13 octobre 1940, elle prononce son premier discours sur les ondes de la BBC, à l'adresse des enfants du Commonwealth.
Le 25 avril 1942, elle s'inscrit au ministère du Travail. À l'approche de ses 19 ans, en février 1945, elle s'enrôle dans l'Auxiliary Territorial Service, sous le matricule 230873. Elle suit une formation de mécanicienne au centre d'entraînement de Camberley, dans le Surrey.
Elle y apprend à réparer et à conduire ambulances et camions militaires. Elle atteindra le grade de commandant junior à titre honoraire. Parallèlement, George VI l'initie aux affaires d'État en lui faisant lire les documents officiels et Élisabeth reçoit un enseignement d'histoire constitutionnelle.
Enfin, le 8 mai 1945, sonne l'heure de la victoire. Élisabeth et Margaret reçoivent la permission exceptionnelle de se mêler, incognito, à la foule en liesse dans les rues de la capitale.
Élisabeth est alors éperdument amoureuse du prince Philip de Grèce et de Danemark, cousin du roi des Hellènes Georges II et descendant comme elle de la reine Victoria. Elle l'a rencontré en 1939, alors que le jeune homme était élève au collège naval de Dartmouth, et elle est tombée immédiatement sous le charme de ce "Viking" de 18 ans, blond et sportif, aux yeux bleus d'acier.
Elle finira par l'épouser, le 20 novembre 1947, à l'abbaye de Westminster. En ces temps de rationnement d'après-guerre, des milliers de Britanniques envoient des coupons d'habillement pour la soie de la robe de mariée, dessinée par Norman Hartnell ! Au lendemain du terrible conflit, le Royaume-Uni a besoin d'échapper à la morosité persistante le temps d'une belle cérémonie princière. Toutefois le gouvernement travailliste prône l'austérité et le service religieux, diront certains, n'aura guère plus d'éclat que des "noces de campagne".
Après quelques années de semi-liberté - et la naissance de deux premiers enfants : Charles en 1948 et Anne en 1950 - Élisabeth est rattrapée par son destin. Le 6 févier 1952, George VI est emporté par un cancer du poumon. La princesse Élisabeth est au Kenya quand elle devient reine.
Elle n'a pas encore 26 ans... Le couronnement a lieu le 2 juin 1953, seize mois après la mort de George VI. Malgré le crachin glacial, trois millions de personnes ont envahi les rues de Londres. Pour la première fois, la cérémonie est transmise en Eurovision.
À sa majorité, le 21 avril 1947, Élisabeth avait déclaré solennellement qu'elle consacrerait sa vie, "qu'elle soit longue ou courte", à servir ses peuples, en s'appuyant fermement sur l'homme qu'elle a épousé par amour, Philip Mountbatten, duc d'Édimbourg, né prince de Grèce et de Danemark.
Jamais pour elle, il ne sera question d'abdication, et même la perte récente de Philip - "son roc" - ne saurait l'y résoudre. Élisabeth est entrée en royauté comme d'autres entrent en religion. Le sacre lui semble une manière d'ordination sacerdotale.
Elle porte sans fléchir la couronne impériale de Victoria, ornée du saphir d'Édouard le Confesseur, de celui des Stuarts, et du rubis du Prince Noir. Jusqu'à son dernier souffle, elle incarnera l'Histoire et le destin du Royaume-Uni. Plus qu'autant de ses prédécesseurs, Élisabeth II a fait sienne la vision de la royauté édictée au siècle précédent par Walter Bagehot. Institution dénuée de pouvoir politique, la monarchie revêt à ses yeux un aspect cérémoniel, presque liturgique, dans une véritable mystique de la dynastie.
Depuis lors, Élisabeth II n'a jamais cessé d'apparaître comme le parangon de valeurs surannées, l'emblème vivant de toutes les vertus familiales. Pour sa part, elle en a fait la vérité de son existence. "Devoir, conscience, moralité", ce triptyque qui résumait le règne de Victoria, l'actuelle souveraine le revendique hautement.
Au reste, elle n'a jamais caché sa fascination pour sa très sévère trisaïeule. Est-ce à dire qu'Élisabeth II serait davantage une femme du XIXe que du XXIe siècle ? La dernière des victoriennes, en quelque sorte...
Si Élisabeth II aura pour Philip toutes les indulgences, "les caprices et les violences du cœur humain des autres membres de sa famille l'ont prise au dépourvu", comme le constate sa biographe Élisabeth Longford. Lorsque sa sœur cadette Margaret tombe éperdument amoureuse du group captain Peter Townsend - héros de la Bataille d'Angleterre mais divorcé -, Élisabeth s'incline devant la force de la tradition.
Invoquant la "question morale" et après plusieurs mois d'hésitation, elle s'oppose formellement au mariage, et ravageant ainsi la vie de sa sœur qui ne se consolera jamais réellement de ses rêves brisés.
Auprès de ses quatre enfants - Andrew et Edward naîtront respectivement en 1960 et 1964 -, la reine ne fera jamais non plus preuve d'une affection débordante, leur préférant ses chevaux et ses chiens. A-t-elle jamais aimé son fils aîné, Charles, prince de Galles et héritier du trône ? Certaines anecdotes permettent d'en douter. En tout cas, elle n'a guère su le lui montrer.
Certes, cette souveraine de fer sera peu à peu contrainte de montrer plus d'indulgence. Elle qui, naguère, bannissait les divorcés de son entourage, verra sa sœur et trois de ses quatre enfants se séparer de leurs conjoints. En décembre 1992, c'est presque en catimini qu'elle assiste aux noces discrètes de sa fille Anne et de Tim Laurence, à Crathie Kirk, à deux pas de sa résidence de Balmoral. L'Église presbytérienne d'Écosse, moins intransigeante sur ce point que l'Église anglicane, avait accepté de bénir cette seconde union.
Quant à l'union de Charles avec Diana Spencer, le 28 juillet 1981, elle apparaît d'abord comme un conte de fées, avant de sombrer dans le mélodrame, puis dans la tragédie. Divorce tapageur, révélations intimes complaisamment étalées dans les médias, tout cela contredit le précepte sacro-saint des Windsor : "Never explain, never complain" - Ne jamais s'expliquer, ne jamais se plaindre. L'accident de voiture au cours duquel Diana trouve la mort en compagnie de son amant Dodi El-Fayed, le 31 août 1997, sous le tunnel de l'Alma, à Paris, ajoute le macabre au scandaleux.
Un instant ébranlée par le choc de cette mort inattendue, la couronne britannique n'y aura finalement rien perdu de son prestige. Et le remariage de Charles avec Camilla Parker-Bowles, devenue duchesse de Cornouailles, le 21 mars 2005, dans le décor plébéien de la mairie de Windsor, a été généralement considérée comme l'épilogue heureux d'une longue histoire d'amour.
"Marionnette sacrée, vêtue de robes magiques pour le réconfort du peuple", comme la décrit un chroniqueur le jour de son couronnement, Élisabeth II s'évertuera inlassablement à "donner l'exemple", à concilier une conception rigide de la royauté avec les exigences de la modernité. Mais à mesure que le temps passe, et que les mœurs évoluent, le fossé s'élargira entre le monde rêvé de la reine et la réalité.
À 95 ans, Élisabeth II est aujourd'hui la doyenne des têtes couronnées d'Europe. Son autorité nominale s'étend d'ailleurs bien au-delà du Vieux-Continent. Outre sur le Royaume-Uni d'Angleterre, d'Écosse, du pays de Galles et d'Irlande du Nord, elle règne en effet sur quinze autres pays : le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Jamaïque, la Barbade, les Bahamas, la Grenade, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, les Tuvalu, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-Grenadines, Antigua-et-Barbuda, le Belize et Saint-Christophe-et-Nièvès. Premier monarque de la planète, Élisabeth II compte plus de cent trente et un millions de sujets. En outre, elle se voit reconnaître une sorte de présidence théorique par les 36 autres nations du Commonwealth - un terme que l'on pourrait traduire par... "République".
Pourtant Élisabeth II règne mais ne gouverne pas. Le discours qu'elle prononce chaque année à l'ouverture du parlement est rédigé par son Premier ministre. Il n'en demeure pas moins qu'elle reçoit chaque mercredi en audience privée le chef de son gouvernement, qu'elle contresigne tous les actes officiels, et que l'expérience politique qu'elle a accumulée depuis près de soixante-dix ans, constitue un trésor irremplaçable.