Tout le monde l'attendait avec impatience : la pointe été se profile. Dans quelques semaines, les aéroports vont s'emplir d'un flot massif de passagers animés par l'envie de voyager. Pourtant, la décrue pourrait s'avérer importante à l'automne avec des réservations encore très faibles, un voyage d'affaires encore embourbé et pas mal de vents contraires.
Il ne faut pas s'y tromper. Le transport aérien va mieux et s'apprête à passer un bel été après deux années d'une crise profonde et brutale. Pourtant, là où le secteur s'enthousiasmait il y a quelques semaines encore avec des engagements record pour cet été, la prudence est revenue dans les discours.
Réunis lors du congrès de la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (Fnam) le 2 juin à Paris, les acteurs du transport aérien français ont évoqué des craintes pour l'automne au vu de la multiplication des signaux inquiétants : guerre en Ukraine, crise sanitaire, inflation, énergie, matières premières...
Jean-Pierre Mas, président de l'association professionnelle Entreprises du voyage, affiche une satisfaction certaine au moment de dévoiler les tendances pour l'été. Sur le segment loisirs, le nombre de dossiers a augmenté de 8 % par rapport à 2019 pour un chiffre d'affaires qui a bondi de 20 %.
Le budget moyen augmente donc, ce qui permet d'absorber une partie de la hausse actuelle des coûts de transports, et la durée des séjours s'allonge également : +15 % sur juillet et août, soit un jour de plus en moyenne.
Une position rapidement tempérée par March Rochet, directeur général d'Air Caraïbes et président de French Bee. Alors qu'à la fin mars, les engagements étaient supérieurs de 24 % à ceux de 2019 à la même date, le delta n'était plus que de 4 % fin mai. Le dirigeant estime ainsi que l'été sera du niveau d'une bonne année, mais pas exceptionnel.
Une position rapidement tempérée par March Rochet, directeur général d'Air Caraïbes et président de French Bee. Alors qu'à la fin mars, les engagements étaient supérieurs de 24 % à ceux de 2019 à la même date, le delta n'était plus que de 4 % fin mai. Le dirigeant estime ainsi que l'été sera du niveau d'une bonne année, mais pas exceptionnel.
Le spleen de l'automne
L'inquiétude se fait plus forte sur l'automne. Sur ce point, Jean-Pierre Mas note qu'il n'y a pas de visibilité sur septembre, avec très peu d'engagements à long terme. La réduction des délais pour les décisions d'achat, déjà vu pendant la crise sanitaire, semble donc se confirmer pour le moment.
Les incertitudes liées à la guerre en Ukraine et une possible résurgence de la pandémie de Covid-19 pèsent naturellement sur la confiance des passagers pour s'engager longtemps à l'avance. Mais Jean-Pierre Mas voit plus loin, et se pose la question d'une dimension structurelle à ce mouvement. De son côté, Marc Rochet confirme qu'il y a déjà un creux pour septembre et octobre.
Le manque d'engagements à long terme n'est pas la seule explication de ces prévisions timides sur l'automne - ce qui pourrait laisser penser à un simple décalage. Si le loisir marche bien actuellement, Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français (UAF), signale que le voyage d'affaires prend traditionnellement le relais en septembre. Hors, ce segment est toujours en retrait.
Malgré un redémarrage depuis quelques semaines sur quelques marchés, Jean-Pierre Mas ne voit pas « d'explosion » de la demande corporate, avec une activité encore comprise entre 70 et 80 % du niveau de 2019. Et surtout, il ne voit pas de perspectives de rattrapage pour le moment, que ce soit en 2022 ou en 2023.
L'inflation n'est pas indolore
Outre le changement des politiques de voyages des entreprises, d'autres facteurs pèsent directement la demande. Le doublement des coûts de carburant, précipité par la guerre en Ukraine, a entraîné une forte hausse du prix des billets pour absorber le surcoût.
Les compagnies européennes doivent aussi amortir la baisse de l'euro face au dollar. Pour l'instant, la demande tient en raison de la forte envie de voyage après deux ans de pandémie, mais la fin de l'année reste incertaine. D'autant que les passagers sont confrontés en parallèle à l'inflation généralisée actuelle. L'automne sera le moment de vérité, affirme donc sans détour Thomas Juin.
Le président de l'UAF se fait fort de rappeler que si l'été sera au niveau de 2019, voire supérieur sur certains marchés, l'année 2022 entière est encore en fort retrait. Après un trafic au premier trimestre inférieur de 37 % par rapport à il y a trois ans, il estime que seuls 70 à 80 % de l'activité annuelle seront retrouvés. Se basant sur les prévisions de la branche Europe de l'Airport council international (ACI, association professionnelle d'aéroports), Thomas Juin ne s'attend pas à retrouver le trafic annuel de 2019 avant 2024.
Ces incertitudes se posent aussi à moyen terme. D'autres secteurs de coûts sont également en train d'augmenter pour le transport aérien. Marc Rochet mentionne ainsi la main d'œuvre, devenue un enjeu majeur au vu des difficultés actuelles à recrute.
Il évoque notamment le secteur de la maintenance, où il juge légitime une amélioration des conditions. Toujours sur la maintenance, le patron d'Air Caraïbes et French Bee indique aussi la hausse du coût des pièces liée au renchérissement des matières premières. Sans oublier les coûts de l'énergie.
Thomas Juin ajoute que tout cela pèse sur une industrie dont les finances ont été mises à mal pendant deux ans, qui s'est endettée et qui doit désormais rembourser. Au final, les deux dirigeants s'accordent sur le fait que le transport aérien va coûter beaucoup plus cher dans les prochaines années, obligeant à une maîtrise des coûts très stricte.
Forts pendant la crise, le fret et l'aviation d'affaires se maintiennent
Des points les plus positifs sont venus de l'aviation d'affaires et du fret. Malgré la faiblesse du voyage d'affaires, l'aviation privée a connu un rebond de l'ordre de 30 % par rapport à 2019 après des années d'un lent déclin, comme l'explique Charles Clair, président d'Aston Fly et Aston Jet.
L'aéroport du Bourget a même connu un record de mouvement le week-end dernier, bien aidé par la conjonction de la finale de la Ligue des champions, de Roland Garros, du Grand prix de Monaco et du Festival de Cannes.
Sur le fret, le dynamisme exceptionnel connu pendant la crise semble se confirmer avec une activité et des tarifs encore élevés. Olivier Casanova, PDG de CMA CGM Air Cargo, rappelle que lors des deux dernières années, les prix du fret aérien étaient 1,5 à 3 fois supérieurs aux moyennes historiques.
Cela répondait alors à la conjugaison d'une demande forte entre les biens de consommation personnelle et le matériel sanitaire avec une offre réduite par l'absence des capacités en soute offertes par les vols passagers.
Bien qu'un ralentissement se fasse sentir en raison des facteurs d'incertitudes économiques et géopolitiques qui pèsent sur le marché, Olivier Casanova estime que le dynamisme est encore là.
Et il voit la demande se maintenir durablement. Selon lui, la croissance du e-commerce est un peu moins forte sur le début d'année, mais le mouvement semble durablement ancré dans les habitudes de consommation.
Il table ainsi sur des prévisions de croissance de l'ordre de 4 % par an jusqu'en 2024, date à laquelle les prix devraient se normaliser.