La légende qui gravite autour du Compagnonnage contribuant à développer quelques idées reçues voire des fantasmes qui ne sont pas tout à fait la vérité vraie !
Certains font naître le Compagnonnage autour de la construction du temple de Jérusalem, au temps du célèbre roi SALOMON, d'autres dans l'Egypte des pharaons, ou encore au temps des cathédrales et des Templiers.
A Rome, dès le VIème siècle avant J.-C., les collèges d'ouvriers à caractère institutionnel apparurent et les spécialistes se déplacèrent avec les légions.
Il est vraisemblable que le monde celte a connu des collèges semblables, puisque, assez tôt dans l'histoire, le nombre croissant des individus et la différenciation des techniques entraînèrent une division du travail, qui généra une hiérarchie des fonctions et l'apparition des castes.
Il y a là un mélange savamment entretenu de faux, de vrai et de fantasme...
La compétition économique amena la préservation des secrets de fabrication, des tours de main qui ne furent communiqués qu'à des « collègues » sûrs, donc cooptés. Ainsi, l'essence même du compagnonnage est contenue dans le développement des premiers groupes humains.
Les ordres conventuels ont été les refuges des « manuels qualifiés ». Bénédictins, Chartreux, Cisterciens regroupèrent les Compagnons autour de leurs monastères.
Nous retrouvons les premières traces écrites de l'existence du compagnonnage au XIIème siècle, après le concile de Troyes.
Le Compagnonnage est structuré en « Devoirs », c'est-à-dire en un ensemble de règles, de coutumes et de rites propres à chacun d'eux. L'origine de ces Devoirs est inconnue. En revanche, chaque Devoir évoque ses légendes de fondation qui placent à ses commencements une figure mythique dont l'histoire joue le plus grand rôle symbolique dans la mémoire des Compagnons.
Il y a en effet à ce jour trois grandes « obédiences » de Compagnonnage dont :
l'AOCDTF, « l'Association Ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France », qui a pris le leadership depuis quelques années,
« L'Union Compagnonnique des Compagnons des Devoirs Unis » et la troisième,
« Fédération Compagnonnique des Métiers du Bâtiment » (celle dont on peut visiter un musée à Avignon, rue du Four de la Terre),
Après cette période de concurrence stupide qui avait amenée les Compagnons à se battre entre eux au 19ème siècle pour des raisons de communautarisme, (Eh oui, déjà ! Les « Dévorants » étaient Catholiques, les « Loups-Garous », « Gavots », ou « Etrangers », Protestants...).
Il ne serait pas loyal de ne pas citer les quelques nouvelles sociétés de sensibilités spécifiques qui se sont créées, il y a quelques années (cf. plus loin, après la légende...).
On admet que les Croisades ont entraîné de nombreux tailleurs de pierre, maçons et charpentiers sur les chemins de la Palestine où ils érigèrent places fortes et ouvrages d'art.
On ne peut que supposer à quel point leurs contacts avec les architectures arabes de Jérusalem les ont incité plus tard à ériger les cathédrales. Il leur aurait suffi d'aller en Espagne.
En revanche, que l'idée de « Temple » leur soit venue face au Dôme qu'ils nommèrent le « Templum Domini », ou face à la mosquée El Aqsa, le quartier général des Templiers, et que cette notion les ait en quelque manière fédérés, semble la base d'une hypothèse raisonnable.
En effet, l'image du Temple de Jérusalem demeure très forte et très centrale dans la tradition compagnonnique.
Le Temple du Roi Salomon à Jérusalem.
C'est à la fois le Temple de SALOMON et celui du cœur, le Temple que le Christ promit de relever en trois jours, « mais c'était de son corps qu'il parlait », le corps mystique, celui que la cathédrale personnifiera au sein de la cité profane sous la forme symbolisée de la Jérusalem Céleste.
Il n'en demeure pas moins que, parallèlement à cette haute ambition naturellement soutenue, voire provoquée par le Clergé Catholique-Romain, des raisons plus matérielles allaient pousser les Compagnons à s'unir.
Dès le 14ème siècle, les maîtres s'organisent en corporations, voulant ainsi lutter contre la concurrence mais aussi contre les revendications ouvrières. Et, par contrecoup, les ouvriers vont se regrouper, montrant leurs capacités et leur fidélité à l'ouvrage bien fait par tout un ensemble de pratiques dont la première est la transmission discrète des tours de métier à l'intérieur des loges ou des ateliers.
Cette notion de secret de métier se retrouve à travers tout le Moyen Age et toute la Renaissance, que ce soit dans les ateliers de peintres ou d'imprimeurs, les échoppes de cordonniers ou dans les loges de bâtisseurs.
C'est ainsi que l'art du trait fut véhiculé à travers des siècles où les Dix Livres d'Architecture de VITRUVE n'étaient connus fragmentairement que de bouche à oreille, et où la « stéréotomie » (l'art de tailler les pierres) ne reposait que sur des données pragmatiques d'autant plus précieuses que les mathématiques et singulièrement l'algèbre n'en étaient qu'à leurs balbutiements.
Toutefois, il serait erroné de croire que les hommes de métier médiévaux étaient frustes parce qu'ils ne savaient pas lire. La transmission orale avait alors ses lettres de noblesse et nous serions étonnés de la formidable capacité de mémoire qui était celle de nos ancêtres par rapport à la nôtre.
Des procédés mnémotechniques permettaient d'ailleurs de faciliter l'effort de mémorisation. C'est ainsi que l'image symbolique de caractère religieux fut véhiculée durant des siècles afin de transmettre des notions théologiques souvent complexes. De même, un cahierdecroquis
(https://static.blog4ever.com/2011/09/53 … ecourt.pdf)
comme celui du clerc ou maître d'œuvre Villard de HONNECOURT nous montre comment les recettes de métier pouvaient être transcrites de façon simple, recueillant ainsi des idées pratiques sur de nombreux chantiers.
Car le Compagnonnage est un voyage. Se souvenant des déplacements de leurs ancêtres - au Moyen Age et à la Renaissance, on voyageait beaucoup, - les Compagnons exigent de leurs jeunes qu'ils effectuent leur Tour de France, qui peut fort bien être, comme jadis, un Tour d'Europe.
Il convient, en effet, que l'apprenti au métier se soit frotté au cours de son « Tour de France » aux diverses techniques de construction et aux chefs-d'œuvre symboliques, telle la « Vis de Saint-Gilles » pour les bâtisseurs, et à divers ateliers rencontrés lors de son parcours afin d'y apprendre de ses aînés l'art et la science qui devront être les siens.
La façade de l'Abbatiale de Saint-Gilles est non seulement un chef-d'œuvre de représentation de la bible.
Mais c'est aussi un symbole d'un bel ouvrage pour les compagnons...
Le baiser de Juda (cf. plus loin, la légende d'Hiram).
Jésus chassant les marchands du temple...
Ce type de voyage mérite pleinement, pour une fois, la dénomination de voyage initiatique puisque c'est à travers les étapes de ses séjours que le jeune homme s'initie graduellement à son métier et, à travers ses acquis, s'accomplit.
Allez, sans devenir parjure, de nombreux autres l'ont fait avant moi... je vais soulever un tout petit peu le voile des secrets des Compagnons du Devoir.
Ainsi, de passage (obligé) à Saint Gilles, le jeune Apprenti, lorsqu'il accomplissait son tour de France, devait d'abord aller admirer « la Vis », puis, en second, aller chercher au pied d'un pilier, ainsi que, dans la complexité des sculptures de la façade; deux des sésames qui devaient lui permettre de poursuivre sa route... Je ne vous dévoile pas le 1er, mais comme le second est connu de tous, si vous avez la chance de visiter l'Abbatiale de Saint Gilles un jour, vous vous amuserez à chercher « le lapin ».
En effet, « le lapin » grimpe allègrement dans un fin rinceau de feuillages (il y en a beaucoup sur cette façade !). Sa silhouette est recherchée par les touristes toute l'année. Quant aux habitants de Saint-Gilles, des enfants aux papets, même s'ils ne s'intéressent pas « aux cailloux », ils connaissent son existence.
C'est que cet animal est intimement lié aux Compagnons de Devoir qui, comme le disait joliment George SAND, « servaient La chevalerie du travail ».
Il faut savoir que, chez les Compagnons, le jeune apprenti est « un lapin », car disait Agricol Perdiguier dit « Avignonnais la Vertu », « le lapin » est le plus faible et le moins intelligent des animaux : faible, il mérite aide et protection, moins intelligent parce que nouveau dans le savoir et le savoir-faire.
Dans l'interprétation des alchimistes du moyen âge, « le lapin » intervenait aussi pour réaliser « le grand-œuvre ». Le jeune Compagnon, « le lapin », en cherchant son chemin pour réaliser « le grand-œuvre » et se parfaire à la belle ouvrage doit découvrir des « signes » au cours de ses voyages : ainsi « la grenouille » sculptée dans le bénitier de Narbonne, « la chouette » de Notre-Dame de Dijon, et enfin « le lapin » de l'église Saint-Jean à Caen et celui de l'Abbatiale à Saint-Gilles.
« Vis de Saint-Gilles. »
et ses graffitis de compagnons...
Et ainsi on comprend mieux la notion de fraternité telle qu'elle est pratiquée au sein du Compagnonnage.
On est « Frères » parce que l'on appartient à un même « Devoir », parce que l'on a reçu de nos aînés la meilleure part de leur savoir, et aussi parce que l'on partage les mêmes valeurs et usages.
On distingue parmi eux les « Pays » (qui sont les ouvriers qui travaillent dans des ateliers au niveau du sol - par exemple: les menuisiers, les ébénistes, les tailleurs de Pierre...) et les « Coteries » (qui travaillent en hauteur, à savoir, sur des échafaudages, par exemple: les charpentiers, les couvreurs, les maçons, les zingueurs).
Il y a en effet un langage compagnonnique avec ses mots spécifiques, ses tournures, une écriture compagnonnique avec ses abréviations et ses points mystérieux aux profanes, une iconologie compagnonnique avec ses temples, ses ponts et sa madeleine, une vêture compagnonnique avec ses couleurs et ses cannes, bref, une façon d'être Compagnon bien au-delà du folklore que les profanes croient percevoir, tout comme pour les francs-maçons.