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Quand Pékin fait disparaître en masse le patrimoine islamique du paysage chinois


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Selon des données satellites analysées par le Financial Times, les autorités chinoises ont modifié depuis 2018 près de 1 800 mosquées pour en retirer les dômes, les minarets, et toutes caractéristiques architecturales renvoyant au patrimoine islamique. Si cette pratique est bien documentée dans le Xinjiang, où se concentre la minorité ouïghoure, elle s'est étendue à l'ensemble des régions où vivent des populations de confession musulmane.

C'est sans doute l'une des expressions les plus spectaculaires de la politique brutale d'assimilation culturelle en Chine. S'appuyant sur une grande quantité de données satellites, le Financial Times a été en mesure d'identifier l'emplacement de 2 312 mosquées pour étudier l'évolution de leur style architectural. Le résultat est édifiant : entre 2018 et 2023, 75 % des mosquées étudiées, soit 1 714 d'entre elles, ont vu leurs éléments de style arabo-musulman détruits.

Exit les dômes et les minarets, ainsi que les inscriptions religieuses gravées sur les façades. Place aux pagodes chinoises et au slogans du Parti communiste. Exemple avec la mosquée Doudian, près de Pékin, l'une des plus grandes du nord de la Chine, dont les dômes impressionnants et les minarets ornés se sont volatilisés en l'espace de quelques années.

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L'enquête visuelle du Financial Times montre que cette politique gouvernementale est loin de ne concerner que le Xinjiang, province qui concentre la majeure partie de l'attention internationale en raison de la répression exercée par Pékin contre l'ethnie ouïghoure, à majorité musulmane. En 2020, un rapport australien avait notamment démontré que les deux tiers des mosquées de la province avaient été modifiées depuis 2017.

En réalité, ces transformations architecturales visant à "harmoniser" les édifices religieux avec la culture chinoise, selon le discours officiel, s'étendent désormais à l'ensemble du territoire. Sans surprise, ce sont dans les régions qui concentrent le plus de groupes ethniques musulmans, notamment les Hui, que cette politique semble la plus systémique. Dans la région occidentale du Ningxia, l'analyse par satellite montre que plus de 90 % des mosquées à l'architecture islamique ont été supprimées. Dans la province de Gansu, dans le nord-ouest du pays, ce chiffre dépasse les 80 %, détaille le Financial Times.

"Consolidation" des mosquées
Les conclusions du quotidien britannique rejoignent en grande partie celles d'un rapport publié une semaine plus tôt par Human Rights Watch (HRW) dénonçant la politique de "regroupement des mosquées" dans ces deux régions, Ningxia et Gansu. Cette stratégie ayant pour objectif de "siniser" l'islam, c'est-à-dire à le rendre davantage chinois, ainsi que de limiter le nombre de nouvelles constructions, est mentionnée dès 2018 dans un document officiel du Comité central du Parti communiste chinois (PCC).

HRW rapporte notamment le cas de plusieurs villages dont les mosquées ont été détruites ou modifiées. Parmi elles, certaines ont été transformées en bâtiment public. D'autres ont gardé leur vocation cultuelle mais ont été amputées d'éléments fondamentaux, comme leur salle d'ablution.

"Toute cette politique ne consiste pas seulement à modifier l'architecture des mosquées. Il s'agit en fait d'essayer de dissuader les gens d'aller prier", affirme Elaine Pearson, la directrice Asie de HRW. "Non seulement des mosquées ont été détruites et fermées, mais pour celles qui sont restées ouvertes, les autorités ont installé divers systèmes de surveillance afin de contrôler les allées et venues. Tout cela fait partie d'un effort visant à dissuader les gens d'aller prier. Il s'agit clairement d'une violation de la liberté religieuse, qui est censée être garantie par la Constitution chinoise."

L'organisation rapporte plusieurs témoignages de fidèles qui ont constaté l'installation de caméras de surveillance à l'entrée des mosquées récemment rénovées pour satisfaire aux injonctions du parti. Dans d'autres cas, des agents de l'État ont fait leur apparition pour contrôler les cartes d'identité des fidèles.

De son côté, le gouvernement chinois prétend regrouper les mosquées pour éviter que les bâtiments ne deviennent des fardeaux financiers pour ces communautés pauvres. Une délicate attention dont les défenseurs des droits humains ne sont pas dupes : l'objectif est bien de décourager la pratique religieuse.

Les Hui, les musulmans chinois
La Chine compte environ 20 millions de musulmans. Si les Ouïghours du Xinjiang sont les plus connus, plus de la moitié d'entre eux appartiennent à l'ethnie Hui, présente notamment dans les provinces du Ningxia, de Gansu ou encore dans le Yunnan.

"Les Hui sont en fait des Han, des Chinois qui se sont convertis, pour certains d'entre eux, dès le VIIᵉ siècle, c'est à dire dès l'introduction de l'islam en Chine. Même s'ils sont aussi sunnites, comme tous les musulmans en Chine, ils ont une histoire différente des Ouïghours turcophones et se sont régulièrement dissociés de cette minorité", détaille Emmanuel Lincot, professeur à l'Institut catholique de Paris, sinologue et chercheur associé à l'Iris, auteur de "Le très grand jeu, Pékin face à l'Asie centrale" (Editons du Cerf).

Relativement épargnés par rapport à la répression exercée contre les Ouïghours, les Hui subissent toutefois une politique de sinisation de plus en plus agressive. En 2019, les autorités locales ont par exemple exigé des restaurants de retirer les lettres arabes mentionnant le label "halal" sur leur devanture. D'autres directives ont été publiées pour interdire les livres religieux, ou encore la présence des enfants dans les mosquées.

Cette stratégie destinée à réduire l'influence de l'islam ne s'est pas faite sans résistance de la part de la population locale. En 2018, la mobilisation des Hui a permis de retarder des travaux sur plusieurs mosquées, mais à chaque fois les autorités ont fini par passer en force.

"La répression est très forte en Chine et il est difficile de protester. Pour la plupart, le meilleur moyen de s'en sortir est souvent de ne pas attirer l'attention sur soi. Au final, nous craignons que les gens se détournent de la religion parce qu'ils ont peur s'ils vont prier à la mosquée, ou d'être considérés comme une menace ou comme quelqu'un de suspect", déplore Elaine Pearson.

Orthodoxie communiste
Selon les experts, l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping à la présidence en 2013 a marqué un tournant dans la politique religieuse de Pékin. Sous son impulsion, l'assimilation des minorités chinoises et leur soumission au mode de vie de la majorité han sont devenues des priorités. Ce contrôle sur la vie spirituelle de millions de personnes vise l'islam, mais également la religion chrétienne. Le gouvernement a retiré les croix des toits de plus d'un millier d'églises chrétiennes et a notamment démoli la vaste église évangélique Golden Lampstand, dans la province de Shanxi, en 2018. Quant à la destruction des monastères bouddhistes au Tibet, elle a commencé bien avant la mise en œuvre de cette politique.

"Cette sinisation se traduit notamment par la réécriture du Coran, qui est désormais parsemé d'aphorismes que l'on attribue à Xi Jinping. Et il en va de même pour la Bible. Quelles que soient les obédiences religieuses, nul n'échappe à cette orthodoxie communiste chinoise qui est imposée de force à tous", analyse Emmanuel Lincot.

"Le régime craint de se voir déposséder dans sa légitimité par des pouvoirs concurrents et des pouvoirs religieux. C'est un phénomène récurrent dans l'histoire chinoise", ajoute le chercheur, évoquant la période du XIXe siècle, qualifié de "siècle d'humiliation" par les nationalistes chinois en raison de l'influence exercée pendant cette période par les puissances occidentales et le Japon.

Pour lutter contre cette hantise, les autorités cherchent désormais à refaçonner les religions pour les rendre compatibles avec l'idéologie du Parti communiste chinois. Un projet dont la destruction du patrimoine islamique semble être un élément clé, en dépit des violations flagrantes du droit à la liberté de culte.

"Il est désormais essentiel que des pays musulmans, malgré les liens économiques qui peuvent exister, demandent des comptes à la Chine sur cette politique", affirme Elaine Pearson. "Même si, pour le moment, nous n'avons pas beaucoup entendu des pays comme l'Indonésie, la Malaisie, ni même des États arabes sur la répression des Ouïghours", regrette-elle.