Récompensé par l'Oscar du meilleur film lors de la cérémonie 2024, Oppenheimer fait l'unanimité... Enfin, presque, car au Japon, le film de Christopher Nolan va être diffusé dans les salles obscures 8 mois après sa sortie officielle, et avec des pincettes. Là où l'arme nucléaire a dévasté les villes d'Hiroshima et Nagazaki, la vision du réalisateur américain est sensible. Explications.
Le Japon a du mal avec Oppenheimer.
Au Japon, Oppenheimer sort ce vendredi 29 mars dans les salles de cinéma, plusieurs mois après sa diffusion dans le reste du monde. Un choix qui résulte d'un sujet douloureux au pays insulaire où l'arme nucléaire a dévasté les villes d'Hiroshima et Nagazaki, les 6 et 9 août en 1945, tuant plus de 214 000 personnes. Le long-métrage de Christopher Nolan, consacré au physicien américain et père de la bombe atomique incarné à l'écran par Robert Downey Jr., est projeté presque à contre-coeur par le distributeur nippon du film, Bitters End. Ce dernier a confié à nos confrères de Variety qu'il a pris cette décision "après des mois de réflexions et de discussions", le sujet étant particulièrement sensible selon lui.
Il faut dire que sur cet épisode de la Seconde Guerre Mondiale, les visions japonaises et américaines ne concordent pas. Yuta Yagishita, journaliste à Courrier international, a expliqué à nos confrères de franceinfo que la mémoire de ces événements est toujours très douloureuse et reste centrale dans l'identité nationale :
Ce film montre la divergence des points de vue entre les Américains et les Japonais sur ce qu'il s'est passé en 1945. Il y a une différence fondamentale entre les Américains qui pensent que ces bombardements étaient nécessaires pour mettre fin à la guerre et qu'ils ont même pu sauver des vies japonaises en stoppant le conflit.
Toutefois, d'après Christopher Nolan, l'absence de représentation des victimes japonaises dans son film est due au point de vue de l'histoire : "s'écarter de l'expérience d'Oppenheimer trahirait les termes de la narration", expliquait-il à NBC News en janvier 2023. "Il a appris les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki à la radio, comme le reste du monde, défend le cinéaste. Comme je ne cesse de le rappeler à tout le monde, ce n'est pas un documentaire. C'est une interprétation. C'est mon travail."
Avant de prendre la décision de diffuser Oppenheimer, début mars, Bitters End a organisé une avant-première et une table ronde dans la ville d'Hiroshima afin d'évaluer la réaction du public. L'ancien maire de la ville, Takashi Hiraoka, âgé de 96 ans, a regretté que le film n'ait pas davantage montré "les horreurs des armes nucléaires", d'après le quotidien japonais Asahi Shimbun, remarquant que "le film a été réalisé de manière à valider la conclusion selon laquelle la bombe atomique a été utilisée pour sauver la vie des Américains". Une autre habitante d'Hiroshima, Kyoko Heya, interrogée par l'AFP, s'est faite une réflexion équivalente, tout en estimant "que beaucoup de gens [devraient le] regarder" pour engager le débat.
Mais ce qui a également provoquait de vives réactions au Japon, ce sont les mèmes liés aux sorties simultanées de Oppenheimer et de Barbie, sous le hashtag #Barbenheimer, associant la poupée blonde avec la bombe atomique. Une association jugée choquante et irrespectueuse par les nippons, qui ont incité les internautes à "visiter le parc du Mémorial de la paix à Hiroshima et apprendre ce qui s'est passé là-bas. C'est l'un des plus graves crimes contre l'humanité". Luli van der Does, sociologue à l'université d'Hiroshima confiait trouver "douloureux de constater que les jeunes n'ont aucune idée de l'atrocité de l'utilisation d'armes nucléaires contre des êtres humains" aux Échos. Suite à cette polémique, la Warner Bros. avait présenté ses excuses après avoir relayé certains montages, demandant de faire cesser les mèmes en question.