Évalué entre 30 et 50 millions d'euros, il aura finalement été vendu dans le bas de la fourchette des estimations de la maison Im Kinsky, loin des 86 millions d'euros atteints en juin 2023 à Londres pour une autre toile de Gustav Klimt.
Il n'empêche, le Portrait de Mademoiselle Lieser, adjugé ce mercredi 27 avril pour 30 millions d'euros à Vienne, a créé l'événement. « Personne ne s'attendait à ce qu'un tableau de cette importance, qui avait disparu pendant cent ans, refasse surface », note Claudia Mörth-Gasser, la responsable de la section d'art moderne de im Kinsky. Le précédent record autrichien s'élevait à « seulement » sept millions d'euros pour une peinture flamande vendue en 2010.
Le modèle reste un mystère
La toile entamée en 1917 et restée inachevée représente une jeune femme brune aux traits précis, ornée d'une grande cape richement décorée de fleurs sur un fond rouge vif. Le peintre est mort l'année suivante et un mystère, débattu avec fougue dans la presse spécialisée, entoure toujours l'identité du modèle.
Qui est cette jeune Viennoise issue de la haute bourgeoisie fortunée, qui s'est rendue neuf fois à l'atelier du génie adulé de son temps ? Une seule chose est sûre : elle est issue de la famille Lieser, une grande dynastie industrielle juive, mécène de l'avant-garde artistique.
Mais est-ce l'une des deux filles prénommées Helene et Annie d'Henriette (Lilly) Lieser, une richissime divorcée pionnière dans l'émancipation des femmes ? Ou celle de son beau-frère Adolf, Margarethe, comme le clame un premier catalogue complet des œuvres de Klimt, réalisé dans les années 1960 ?
Un tableau spolié par les nazis ?
La seule photo du tableau connue à ce jour, probablement prise en 1925 dans le cadre d'une exposition, laisserait entendre qu'il appartenait à Lilly Lieser cette année-là.
Selon le quotidien Der Standard, qui se fonde sur des correspondances archivées dans un musée autrichien, elle aurait pu le confier à un membre de son personnel avant de mourir en déportation fin 1943.
Le tableau réapparaîtrait ensuite chez un commerçant nazi avant que sa fille, puis des parents éloignés n'en héritent à leur tour. Mais pour la maison Kinsky, spécialisée dans les procédures de restitution, c'est une « hypothèse parmi d'autres ».
Après-guerre, la toile n'a jamais été réclamée au contraire d'autres biens, par l'une des trois descendantes des Lieser qui avaient toutes survécu.
Un accord secret avec les ayants droit
Tenue à la confidentialité, Claudia Mörth-Gasser explique à l'AFP que son employeur a été contacté il y a deux ans pour un avis juridique par ses propriétaires, qui tiennent à rester anonymes.
Im Kinsky en a informé les actuels ayants droit des deux branches Lieser, qui vivent notamment aux États-Unis. Certains ont fait le déplacement pour voir la toile, avant de signer un contrat avec les propriétaires, levant ainsi un obstacle à la vente du tableau.
Rien n'a filtré sur les termes de cet accord à l'amiable et des experts émettent des critiques sur une procédure jugée trop rapide, en dépit des incertitudes sur le destin d'une œuvre à la valeur immense.
« Sa provenance n'ayant pu être entièrement clarifiée jusqu'à présent », il aurait fallu prendre le temps d'un examen plus approfondi, estime ainsi dans l'hebdomadaire Profil Monika Mayer, la responsable des archives au musée du Belvédère, qui abrite le fameux Baiser de Klimt.
D'ailleurs, la toile n'a pas été présentée aux États-Unis, de peur qu'elle n'y soit confisquée par la justice en cas de litige, comme c'est la règle pour les œuvres soupçonnées d'être issues de spoliations.