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Ludwik Zamenhof : le père de l'espéranto


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Portrait de L. L. Zamenhof, autour de 1895



À la fin du XIXe siècle, ce médecin polonais d'origine juive élabore une langue universelle, l'espéranto, afin de rapprocher les peuples et de contribuer à la justice et à la paix dans le monde.

Tout au long de l'Histoire, des centaines de tentatives pour créer une langue dans laquelle nous pourrions tous nous comprendre ont vu le jour. Umberto Eco nommait ce processus « la recherche de la langue parfaite ». Cependant, seul l'espéranto est parvenu à devenir une langue vivante et à constituer une communauté de locuteurs, un véritable mouvement social. En partie parce qu'il est né au moment adéquat. À la fin du XIXe siècle, les révolutions des transports et des communications rendent les contacts internationaux plus faciles que jamais auparavant. Le latin a cessé d'être la lingua franca internationale, et différentes puissances rivalisent pour que leur langue nationale prenne sa place. Le français prédomine dans la diplomatie, l'anglais gagne du terrain dans le commerce et l'économie, l'allemand est indispensable dans la science et la technologie, et le russe acquiert de plus en plus d'importance.

Dans l'Empire russe justement se trouve la ville de Bialystok (aujourd'hui en Pologne), qui se caractérise par la présence de plusieurs communautés ethnolinguistiques : Polonais, Russes, Allemands, Biélorusses, Tatars, Ukrainiens, Lituaniens, Tchouvaches... et Juifs, qui forment la plus grande partie de la population. C'est là, dans une famille juive, que voit le jour Lejzer Zamenhof, qui adoptera également un prénom chrétien en langue polonaise, Ludwik. Enfant, Zamenhof observe que les différents groupes se disputent ; souvent, ce sont précisément les Juifs qui sont les plus défavorisés. Sensible et polyglotte, il se rend compte qu'en réalité les gens se ressemblent plus qu'ils ne pensent. Le problème est peut-être qu'il leur manque une langue commune qui leur permettrait de se comprendre.

Espérantisme et pacifisme
Encore adolescent, Zamenhof entreprend la tâche passionnante de créer une interlangue, non pas pour remplacer les langues maternelles des autres, mais pour l'utiliser entre des personnes qui ne parlent pas la même langue. Son père n'est pas vraiment d'accord pour qu'il consacre tant d'efforts à poursuivre un rêve irréalisable, et quand Zamenhof se rend à Moscou pour poursuivre ses études de médecine, il en profite pour se débarrasser de ses cahiers. Mais le jeune homme idéaliste ne s'avoue pas vaincu et il continue à travailler ; il approfondit d'autres langues, qui l'inspirent pour perfectionner la sienne.

Enfin, le 26 juillet 1887, Zamenhof publie à Varsovie la grammaire de sa nouvelle langue. D'abord en russe, puis dans une édition quadrilingue : polonais, allemand, français, russe ; et l'année suivante, en anglais et dans d'autres langues, toujours avec la même volonté : contribuer à un monde plus juste et plus pacifique. C'est pourquoi il signe Dr Espéranto, c'est-à-dire « celui qui a de l'espérance ». Comme à cette époque les ouvrages intitulés « langue internationale » étaient fréquents, le sien est connu sous le titre « langue internationale du Dr Espéranto » et, plus tard, simplement « Espéranto ». Étonnamment, c'est un succès immédiat : des dizaines de clubs et de publications consacrées à cette nouvelle langue voient le jour dans toute l'Europe.

Le succès de l'espéranto est immédiat dans toute l'Europe, avec la création de clubs et de publications consacrés à la nouvelle langue.

Parmi ceux qui s'intéressent à l'espéranto prédominent les Juifs installés dans la partie occidentale de l'empire tsariste ; beaucoup parlent des variantes du yiddish et ils sont conscients de l'importance d'une communication neutre entre groupes de langues différentes. Viennent ensuite ceux qui s'intéressent à une langue internationale auxiliaire et qui ont étudié un projet précédent, le volapük ; eux aussi adoptent en bloc la nouvelle langue, plus démocratique et plus facile à apprendre que celle créée par le prêtre allemand Schleyer, qui la considérait comme sa propriété. Un troisième groupe est formé par les partisans de l'écrivain pacifiste Tolstoï, l'un des premiers à exprimer publiquement son soutien à l'espéranto.

Car les liens entre espérantisme et pacifisme sont très étroits, raison pour laquelle une bonne partie des lauréats du prix Nobel de la paix entre 1901 et 1914 sont liés à l'espéranto, tel Alfred Fried ou Henri La Fontaine. Zamenhof lui-même est huit fois candidat à ce prix. Sont également partisans de l'espéranto des hommes politiques comme l'Espagnol Pi i Margall ou des écrivains comme Jules Verne, qui dans son dernier ouvrage (inachevé) donne à cet idiome le rôle de langue internationale dans un avenir assez proche.

Légion d'honneur
L'espéranto conquiert les intellectuels pour sa rationalité, avec 16 règles faciles à assimiler. Les substantifs se terminent par -o, les adjectifs par -a et les adverbes par -e. C'est une langue phonétique : à chaque graphie correspond un phonème et à chaque phonème une graphie, sans exception. La plupart des racines proviennent des langues romanes et sont également présentes dans les langues germaniques et slaves. L'idée est qu'une personne connaissant une langue de la grande famille indo-européenne puisse intuitivement comprendre ce que signifient des termes comme lingvo, internacia ou demokratio. L'utilisation de la dérivation facilite l'apprentissage des mots non pas au moyen de la mémoire, mais grâce à la logique. Ainsi, le préfixe mal- crée des antonymes : les adjectifs granda et alta, par exemple, se transforment en malgranda et malalta pour signifier respectivement petit et bas. Cela confère à la langue une grande capacité expressive, développée à travers une production littéraire remarquable, d'abord des traductions et ensuite des créations originales.

Au tournant du siècle, le centre du mouvement espérantiste s'installe à Paris. En France, Zamenhof est fait chevalier de la Légion d'honneur et c'est dans ce pays qu'a lieu la première rencontre internationale de locuteurs d'espéranto, qui, de langue écrite, devient langue parlée. Il est difficile aujourd'hui de se faire une idée de l'émotion qu'a suscitée en 1905 le fait que 688 personnes du monde entier (la plupart européennes) se rencontrent et, sans interprètes, réalisent toutes sortes d'activités. L'espéranto devient ainsi un élément essentiel de l'internationalisme.

Un potentiel économique
En l'absence d'autres types d'organisations transnationales, ce sont les associations espérantistes qui assurent un contact direct entre des personnes de différents pays. Médecins, cheminots, francs-maçons, végétariens et bien d'autres groupes profitent des congrès d'espéranto pour se rencontrer et débattre. Par ailleurs, le potentiel économique de la langue est évident, et l'espéranto est enseigné dans les chambres de commerce des plus grandes villes. En 1909, Barcelone accueille son Ve congrès annuel, et Zamenhof est nommé commandeur de l'Ordre d'Isabelle la Catholique. Cette seule année, on compte plus de 50 cours simultanés dans la capitale catalane.

L'expansion de l'espéranto est interrompue par la Grande Guerre, une expérience traumatisante pour ceux qui défendent les idéaux de fraternité et de solidarité. Parmi eux Zamenhof lui-même, qui vit ces années à Varsovie, jusqu'à sa mort en 1917, à l'âge de 57 ans, des suites d'une maladie cardiaque. Cependant, des cendres du conflit renaissent des projets cosmopolites comme l'espéranto, qui connaît un âge d'or dans l'entre-deux-guerres. De nombreux États demandent qu'il soit reconnu comme langue officielle à la Société des Nations, et il obtient une diffusion notable parmi le mouvement ouvrier, en particulier dans des pays comme la Russie, l'Espagne et l'Allemagne.