Après le naufrage du président américain lors de son débat face à Donald Trump, sa capacité à mener une campagne victorieuse pour un second mandat est désormais remise en question au sein de son propre camp.
Un vent de panique. À quatre mois de la présidentielle américaine, la prestation calamiteuse de Joe Biden face à Donald Trump sur CNN a déclenché une tempête au sein du camp démocrate, dont une partie s'interroge désormais ouvertement sur la capacité physique et cognitive de l'actuel locataire de la Maison Blanche à exercer un second mandat. Voire à mener campagne. Le New York Times appelle même le candidat de 81 ans à se retirer de la course. « Le plus grand service public que pourrait rendre aujourd'hui M. Biden serait d'annoncer qu'il ne se représentera pas à l'élection », écrit le quotidien de référence.
« Il y a une différence entre faire campagne et diriger un pays, tempère Vincent Michelot, professeur d'histoire politique des États-Unis à Sciences Po Lyon. Il y a aujourd'hui des dizaines d'observateurs politiques qui s'accordent à dire que la Maison Blanche est sans doute l'une des plus fonctionnelles de ces vingt dernières années. Les affaires sont traitées, que ce soit à l'international ou à l'intérieur, avec un homme entouré d'une excellente équipe, dans une position de grand sage qui arbitre. »
L'intéressé a d'ailleurs tenu à rassurer dès le lendemain du débat, lors d'un meeting à Raleigh (Caroline du Nord). « Je ne me représenterais pas si je ne croyais pas, de tout mon cœur et de toute mon âme, que je peux faire ce boulot », a-t-il juré, excluant donc pour l'heure un retrait de sa candidature. « Il est le seul à pouvoir en décider et seule son épouse Jill peut le convaincre de se retirer, insiste Dominique Simonnet, écrivain et spécialiste des États-Unis. Les responsables démocrates, si tant est qu'ils le veuillent, ne peuvent pas le virer. »
Un retrait théoriquement possible.
Une telle décision serait inédite dans l'histoire moderne des États-Unis. Depuis le début du XXe siècle, seuls deux présidents ont renoncé à se représenter : le républicain Calvin Coolidge à la fin des années 20 et le démocrate Lyndon B. Johnson quarante ans plus tard. Mais aucun d'entre eux n'avait jeté l'éponge à seulement quatre mois du scrutin.
Rien ne l'empêche, en théorie. Ce n'est que le 19 août, lors de sa convention à Chicago, que le parti démocrate entérinera le nom de son candidat à la présidentielle. Joe Biden, qui a obtenu le soutien de l'écrasante majorité des délégués lors des primaires et des caucus organisés de janvier à juin dans chaque État, sera logiquement désigné. Sauf s'il décide de se retirer avant. « Le parti démocrate pourrait alors mettre en place une procédure pour désigner un candidat qui serait investi en août, ou bien plusieurs candidats entre lesquels les délégués devraient choisir », avance Vincent Michelot. Un retrait serait même possible après la convention.
Dans les médias américains, quelques noms reviennent avec insistance pour reprendre le flambeau en cas de désistement. À commencer par celui de la vice-présidente Kamala Harris. À 59 ans, la numéro deux de l'exécutif américain serait l'héritière naturelle. Bien qu'ayant travaillé dans l'ombre du chef de l'État, elle est la plus connue des candidats potentiels. Son parcours et son rôle décisif au Sénat, dont elle est la présidente, jouent aussi en sa faveur. « Si elle devait ne pas être choisie, ce serait un message terrible envoyé à la communauté afro-américaine, et en particulier aux femmes », relève par ailleurs Vincent Michelot. Mais Kamala Harris est impopulaire. Un sondage réalisé mi-juin par le site d'information Politico indique que seul un tiers des électeurs, et seulement trois démocrates sur cinq, la pensent capable de remporter l'élection si elle venait à remplacer Joe Biden. Il lui est également reproché de ne pas avoir su s'imposer au sein de l'administration Biden.
« Tout à y perdre. »
Parmi les autres prétendants évoqués, le gouverneur de Californie, Gawin Newsom ; Gretchen Whitmer, gouverneure du Michigan ; Jay Robert Pritzker, de l'Illinois ; ou encore Josh Shapiro, de Pennsylvanie. Jusqu'à présent, aucun d'entre eux ne s'est dit prêt à prendre la relève. « Ils auraient tout à y perdre », estime l'écrivain Dominique Simonnet. Avec seulement deux mois pour mener campagne après la convention de Chicago, ce serait prendre le risque d'être battu et de griller ses chances pour la présidentielle de 2028.
D'autant que les médias américains sont impitoyables avec les candidats, observe Vincent Michelot. S'ils venaient à se lancer, leur bilan respectif serait soigneusement disséqué. Avec des conséquences potentiellement désastreuses. « Il y a des dizaines d'exemples de candidats qui étaient donnés vainqueurs avant même de se jeter dans l'arène et qui, au bout de quinze jours, se sont autodétruits », relève-t-il. Parmi les cas emblématiques, celui de Ted Kennedy qui dût se retirer de la course aux primaires démocrates face au sortant Jimmy Carter en 1980, en raison du scandale de Chappaquiddick qui avait éclaté onze ans plus tôt.
Les prochains sondages seront déterminants pour la suite de cette campagne. Difficile toutefois de prédire l'impact qu'aura le débat de jeudi sur les intentions de vote, tant les lignes de fracture entre républicains et démocrates sont profondes et les résultats des enquêtes d'opinion serrés. Mais si Joe Biden choisit de se retirer, il doit le décider dans les tout prochains jours, prévient Vincent Michelot. « Après, il sera trop tard. »