Un modèle IBM 7090 (dont l'IBM 7094 est l'évolution directe), au Centre de recherche Ames de la NASA, à Moffett Field (Californie), avec son directeur et plusieurs employés d'IBM, le 6 septembre 1961.
En 1961, le premier ordinateur à avoir modélisé une voix humaine a entonné une chanson et c'était terrifiant
L'ordinateur central IBM 7094 a poussé pendant quelques secondes la chansonnette, un défi technologique de taille pour l'époque.
Avant l'arrivée de l'IBM 7094, les ordinateurs ne parlaient pas. En 1961, un tournant majeur a eu lieu et s'est incarné avec une chanson, «Daisy Bell» (aussi appelée «A Bicycle Built for Two»). L'informatique a trouvé sa voix à Murray Hill, dans le New Jersey, au sein des Laboratoires Bell, sur un ordinateur alors considéré comme étant le plus puissant du monde.
Deux scientifiques, Carol Lochbaum et John Kelly, y planchaient sur un système de synthèse vocal, aujourd'hui nommé «modèle vocal Kelly-Lochbaum». Pour tester les progrès de leurs recherches, les deux hommes ont programmé la chanson britannique «Daisy Bell» qui date de 1892. On peut supposer que le choix du morceau est lié à son titre rappelant l'entreprise qui les employait (les Laboratoires Bell), mais rien n'a jamais été confirmé. L'IBM 7094 n'a pas chanté a cappella, puisqu'il était accompagné d'une piste instrumentale, elle aussi générée par ordinateur, cette fois grâce à un ingénieur (et violoniste amateur) nommé Max Mathews.
https://www.youtube.com/watch?v=41U78QP8nBk
https://www.youtube.com/watch?v=uerNtYhgzSw
À l'heure de l'intelligence artificielle (IA) et des assistants vocaux, ce qui pourrait passer pour relativement banal était à l'époque un défi de taille. La puissance des processeurs limitait grandement la marge de manœuvre des chercheurs, retrace le média en ligne britannique IFLScience. L'audio ne pouvant être traité en temps réel, Max Mathews a dû enregistrer une heure de musique et accélérer la bande-son pour obtenir dix-sept secondes de mélodie jouable.
Voici la musique d'ordinateur
Ajoutée en 2009 au Registre national des enregistrements de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, la chanson est considérée comme un document historique. Premier exemple de musique numérique, précurseur de tous les développements de synthèse vocale et de musique électronique qui ont suivi, l'enregistrement est également décrit comme une prouesse technique.
«Selon les standards actuels, la version de l'IBM 7094 de “Daisy Bell” semble assez primitive, constatait l'écrivain Cary O'Dell, dans un essai pour la Bibliothèque du Congrès américain. Le son est aussi plat qu'une tonalité téléphonique. C'est, après tout, littéralement la voix d'un robot.» Il ajoute cependant: «Néanmoins, cette rencontre entre musique et machine reste une avancée audacieuse et unique, un grand saut vers un nouveau monde meilleur.»
L'écrivain britannique Arthur C. Clarke a pu écouter cette version particulière de «Daisy Bell». Touché par cette démonstration révolutionnaire, il en a tiré une scène emblématique de son roman de science-fiction 2001, l'Odyssée de l'espace, dans laquelle l'ordinateur de bord HAL 9000 (ou Carl 500 dans la version française), désactivé par David Bowman, commence à entonner cette chanson, avant de voir ses fonctions et son discours se déliter progressivement. Ce passage figure également dans le film éponyme de Stanley Kubrick, produit en parallèle et également sorti en 1968.
https://www.youtube.com/watch?v=E7WQ1tdxSqI
Peut-être que les plus sensibles d'entre vous y voient une version poignante, une chanson pour l'histoire, tandis que d'autres la trouveront peut-être passable et gênante. Mais cette courte production audio n'en demeure pas moins une des plus importantes de notre balbutiante culture technologique.