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"C'est une icône mondiale" : le Picardie de Duralex, le verre des cantines, de James Bond et ...


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Créé en 1954, le verre Picardie de Duralex est une icône du design.



"C'est une icône mondiale" : le Picardie de Duralex, le verre des cantines, de James Bond et de  David Bowie.

Depuis plus de 70 ans, il trône sur les tables de cantine et dans les placards des cuisines du monde entier. Le Picardie, verre iconique de Duralex, tient son nom de la région d'implantation des créateurs de la marque. C'est l'histoire du dimanche.

C'est le verre de la cantine depuis des décennies. Le verre des coquillettes du mardi et du poisson pané du vendredi. Celui dont on regardait le fond à peine assis à table en demandant à notre voisin d'assiette "t'as quel âge ?" Et dont le numéro désignait celui qui allait chercher un broc d'eau ou du pain parce que "aujourd'hui, c'est le plus vieux qui y va. Valérie, on te promet que demain, ce sera le plus jeune..."

Un modèle culte

Le Picardie, c'est le verre rempli à ras bord de souvenirs d'enfance. Comme le Gigogne, son aîné de huit ans, il est le modèle culte de Duralex. Choisi pour abreuver les écoliers parce que sa forme facilite la prise en main et qu'il est particulièrement résistant. Son design reconnaissable entre tous a été inventé en 1954. Il est né dans le Loiret, à La-Chapelle-Saint-Mesmin, près d'Orléans. Sur des machines qui n'ont guère changé en 70 ans.

Neuf millions de Picardie sortent chaque année des chaînes de l'usine. Les fours débitent du verre en fusion 24h/24. Ce jour-là, c'est le modèle Saphir qui est en production. Teinté dans la masse à l'oxyde de cobalt, le verre passe en quelques secondes du rouge incandescent au bleu nuit.

Ahmed Terristi est chef d'équipe à l'atelier des moules de l'usine Duralex. Depuis plus de trente ans qu'il travaille à La Chapelle-Saint-Mesmin, il a vu passer sur les lignes de production des quantités astronomiques du célèbre gobelet aux neuf facettes. Un design particulier que le Picardie doit à son moule. "C'est une boule de verre à 1 600°C qui tombe dans le moule et qui est ensuite pressée avec un poinçon pour donner la forme du verre, explique Ahmed. Le moule est ensuite fermé par une autre pièce qui va faire juste le rebord du verre."

"On peut tourner au maximum 136 coups minute. Ça veut dire qu'on fabrique 136 verres à la minute. On fait ça sur la machine 13. C'est la production la plus rapide", indique Marceau Hache, mécanicien à l'atelier conditionnement.
Roi des verres et verrerie des rois

Tout comme les autres modèles de la marque, le Picardie est réputé très résistant. Et même quatre à cinq fois plus résistant que le verre normal. Et cela parce que le verre est trempé. La technique de la trempe a été inventée dans les années 30 par l'entreprise Saint-Gobain. Elle était destinée aux pare-brise et aux phares des voitures. Une fois sa forme donnée, le verre est chauffé jusqu'à ce qu'il soit proche de son point de ramollissement. Il est ensuite soumis brutalement à un refroidissement rapide. Une technique qui a fait la renommée de Duralex et le prestige de l'entreprise.

Mais comment se fait-il que ce verre fabriqué à Orléans s'appelle le Picardie ? Pour le savoir, il faut se rendre dans le Loir-et-Cher, où se trouvent les archives nationales du groupe Saint-Gobain : 360 ans d'histoire, précieusement conservés sur neuf étages ! C'est là que sont stockées toutes les publicités qui accompagnèrent le lancement du Picardie dans les années 50.

Car il doit bel et bien son nom à la région où ses créateurs ont implanté en 1692 leur premier atelier de fabrication de verres : la manufacture royale des glaces et des miroirs. "Il fait référence à la région qui est le berceau du groupe Saint-Gobain puisque tire son nom de la ville de Saint-Gobain dans l'Aisne où a été implantée la manufacture à la fin du XVIIe siècle, raconte Anne Alonzo, directrice des archives de Saint-Gobain. Saint-Gobain a créé la marque Duralex en 1945 et a lancé le modèle Picardie en 1954 comme l'un de ces modèles phares."

Duralex ne s'est en effet pas toujours appelée ainsi. L'entreprise initiale est créée en 1927 à La Chapelle-Saint-Mesmin par un vinaigrier qui veut fabriquer ses propres bocaux et bonbonnes. En 1934, Saint-Gobain, qui a inventé le verre trempé peu de temps avant, rachète la Société des verreries de La Chapelle-Saint-Mesmin pour produire les pièces en verre des automobiles. Mais un autre débouché s'offre alors : la vaisselle. En 1945, le nom Duralex (qui viendrait de l'expression latine "Dura lex sed lex", la loi est dure mais c'est la loi) est déposé : l'usine de La Chapelle-Saint-Mesmin est dès lors exclusivement destinée à la production de gobelets en verre trempé. Le premier à sortir des chaînes de production l'année suivante, le Gigogne, est un succès immédiat. En France et dans près de 120 pays.

Icône du design et de la pop culture

Rebelote huit ans plus tard avec le Picardie. Au point que Saint-Gobain va le faire rapidement breveter dans le monde entier pour éviter toute contrefaçon.

De simple verre de la ménagère, le Picardie est devenu au fil des années un objet intemporel. Et une véritable icône du design. Pour s'en rendre compte, direction Le French Design, une galerie d'exposition parisienne. Nous y retrouvons le designer Jean-Sébastien Blanc. En 2015, son agence a été choisie pour célébrer les 70 ans de Duralex. Avec pour mission de détourner le Picardie en soixante-dix objets du quotidien : sablier, palette de peintre, mangeoire pour les oiseaux, tirelire, taille-crayon...

Des réinterprétations qui doivent beaucoup à la simplicité de la ligne du Picardie. "Je ne sais pas si on arrivera à faire aussi bien que ce verre-là, avoue Jean-Sébastien Blanc. C'est comme redessiner un couteau ou une fourchette : on pourra toujours ajouter des fioritures autour et essayer de donner l'impression de faire quelque chose de nouveau mais ça restera un couteau ou une fourchette. Et le Picardie, c'est l'essence même du verre. C'est très compliqué de faire plus juste. C'est l'exemple parfait de ce qu'on cherche à faire dans le design : on rêve de dessiner des objets qui soient comme ça, aussi connus à travers le monde."

Tellement connu que le Picardie devient un phénomène de la pop culture. En juillet 1973, le photographe américain Joe Stevens l'immortalise entre les mains de David Bowie qui enregistre le célèbre album Pin Ups au château d'Hérouville dans le Val-d'Oise.

Et si le Picardie apparaît déjà dans de nombreux films français de l'après-guerre, son succès va le mener jusqu'à Hollywood. Il prend feu en 2002 pour un toast porté par Daniel D. Lewis dans Gangs of New York de Martin Scorsese. En 2008, Daniel Craig alias James Bond le porte à ses lèvres pour y boire un whisky dans Quantum of Solace. Quatre ans plus tard, le Picardie ira même jusqu'à sauver la vie du plus célèbre des espions dans Skyfall :

https://www.youtube.com/watch?v=AsnYhoIC70A&t=73s

Un succès d'image qui cache les difficiles dernières décennies de la marque, dignes d'un film à rebondissements. Car la fin des années 70 marque le début du déclin pour Duralex. Saint-Gobain cède l'entreprise en 1997 à un verrier italien. L'entreprise emploie alors un millier de salariés.
Une marque sauvée de justesse

S'ouvre alors une période sombre de la marque. Les dépôts de bilan, cessations de paiements et liquidations judiciaires se succèdent au même rythme que les actionnaires. Duralex n'est plus que l'ombre de ce qu'elle a été. Jusqu'à ce que, à l'issue d'un énième redressement judiciaire, l'offre de reprise en Scop présentée par les 228 salariés soit acceptée par le tribunal de commerce. C'était le 26 juillet dernier. Le nouveau directeur général du site, François Marciano, lance alors un appel : "J'invite tous les Français à acheter Duralex pour nous soutenir et faire que notre usine survive en ces temps compliqués où l'économie est mise à mal", demande-t-il dans la presse. Dès le lendemain, la France entière se rue sur le site internet de la marque. Les achats augmentent alors de plus de 323 %. Duralex croule sous les commandes.

Mais remonter totalement la pente sera encore long : les premiers bénéfices de l'entreprise, qui appartient officiellement à ses salariés depuis le 1er août 2024, sont attendus dans trois ans. Et le Picardie fait évidemment partie de la nouvelle stratégie commerciale. Pour conquérir de nouveaux marchés, il faut le rendre plus moderne, plus chic et plus fun aussi. Cela passe par la couleur : du chrome pour le vert, du sélénium pour le rose, ou du manganèse pour le violet. Et par de nouvelles dimensions.

"Chaque pays a ses propres habitudes de consommation. Les Américains vont être plutôt sur de grandes contenances comme le 31 cl. En France, on est plus sur des 25 cl, nous montre Nicolas Rouffet, le directeur industriel de Duralex. On vend beaucoup au Proche et au Moyen-Orient le 16 cl qui est utilisé pour boire de l'eau mais aussi le thé. On est en train de travailler à augmenter la contenance du Picardie pour passer de 50 à 58,5 cl tout simplement pour la pinte de bière : actuellement, dans le 50, vous mettez vos 50 cl de bière et il n'y a plus de place pour la mousse. Et une bière sans mousse, ce n'est pas une bière !"
Et le numéro alors ?

Pour ses 80 ans l'année prochaine, Duralex veut faire dessiner un nouveau modèle de verre. Ça n'était pas arrivé depuis 1997. Parviendra-t-il à éclipser le Picardie ? "Ça va être vraiment compliqué de détrôner le Picardie parce que ça reste l'iconique mondial. Il est au MoMA aux États-Unis. Il est dans tous les magazines de design. C'est quand même LE verre iconique. Détrôner le Picardie, ça va être très très dur, voire impossible", avoue François Marciano.

Quel destin que celui de ce petit gobelet en verre devenu une icône du design et qui doit son nom à un village de l'Aisne. Et dont plus personne ne sait qui l'a inventé en 1954. Un coup de génie anonyme grâce auquel le mot Picardie voyage partout dans le monde depuis plus de 70 ans.

Au fait, savez-vous d'où vient le numéro au fond du verre ? C'est celui de l'une des cinquante machines sur lesquelles sont produites les séries de Picardie. Ce numéro facilite le contrôle qualité : si un verre présente un défaut, ceux de la même série sont facilement identifiables ainsi que la machine responsable.

Mais pour des millions d'écoliers, ce numéro reste et restera l'âge de celui qui devra se lever pour aller chercher un rab de frites parce que "aujourd'hui, c'est le plus jeune qui y va. Oui ben on n'y peut rien si c'est encore toi, Valérie..."