Créée dans l'urgence de la pandémie, cette satire de Mike White sur les névroses existentielles et sexuelles des ultrariches est devenue à la fois l'emblème et le refuge de la période actuelle. La troisième saison est diffusée sur Max depuis le 17 février.

Dans la saison 3 de The White Lotus, Michelle Monaghan incarne Jaclyn, une riche actrice de séries télévisées, venue passer un séjour entre amies d'enfance avec Kate (Leslie Bibb) et Laurie (Carrie Coon).

Les journées sont froides, les nouvelles rarement réjouissantes et l'âge d'or des séries télévisées est probablement derrière nous... Mais heureusement, The White Lotus est de retour: sa saison 3 est diffusée en France depuis le 17 février sur la plateforme Max, à raison d'un épisode chaque lundi matin jusqu'au 7 avril (il y en aura donc huit). Il n'y a pas si longtemps, Mike White était principalement connu pour avoir créé la série très confidentielle Enlightened (2011-2013), annulée après deux saisons.

Aujourd'hui, le monde entier compte sur lui pour nous remonter le moral tout en se moquant de nos pires travers. «C'est devenu un mème sur les réseaux sociaux: “Tout ce dont on a besoin en ce moment, ce sont les dimanches soir sur HBO à 21h.” C'est ça qui peut tous nous rassembler», s'amusait l'actrice Leslie Bibb, lors d'une conférence de presse avec l'équipe de la série.

Cette troisième saison, plus longue que les précédentes, est en effet l'un des rendez-vous télévisuels les plus anticipés de l'année, après une pause prolongée due à la grève des scénaristes d'Hollywood. «Je n'ai jamais travaillé avec autant de regards rivés sur moi», affirme Mike White, qui vient tout juste de boucler le montage et peine à s'habituer à cette nouvelle notoriété. En une quinzaine d'épisodes, la série originale de HBO a ainsi su s'imposer comme un phénomène culturel incontournable, se faisant le reflet de notre époque perturbée.

Une série née grâce au Covid

C'est une des rares conséquences positives de la pandémie. En 2020, alors que le Covid-19 paralyse la planète, l'industrie des séries télévisées se retrouve elle aussi à l'arrêt. Casey Bloys, chef des contenus originaux à HBO, contacte alors Mike White, acteur, scénariste et réalisateur au pedigree très indé. Le créateur d'Enlightened n'a pas d'énorme hit à son actif, mais il est connu pour écrire vite, bien et seul. Il est donc l'homme parfait pour pondre une série mordante qui pourra être produite rapidement et dans un décor unique, en accord avec les contraintes imposées par le virus.

Mike White relève le défi et pitche l'idée d'une satire située dans un hôtel de luxe, tournable en plein air avec une équipe réduite. C'est ainsi que The White Lotus voit le jour. Au casting de la première saison (sortie en juillet-août 2021), on croise Steve Zahn, Connie Britton, mais aussi Jennifer Coolidge et Sydney Sweeney, qui confirme son statut de star montante après Euphoria. La série emploie le format d'un whodunit -on découvre dans le premier épisode qu'une personne est morte, mais qui et comment?- pour cruellement épingler l'hypocrisie et le sadisme des ultrariches. Le succès est fulgurant, si bien que The White Lotus, conçue comme une mini-série, est renouvelée pour un deuxième volet et devient une série d'anthologie.

Sexe, bien-être et conflits de classes: nos obsessions contemporaines

Depuis, la formule ne cesse d'être déclinée avec des intrigues de plus en plus subtiles et vient toujours un peu mieux gratter nos préoccupations, névroses et contradictions contemporaines. L'argent et les divisions de classe sont au cœur de chacune des trois saisons: tandis que les riches (et malheureux) clients se croient tout permis, les employés de l'hôtel The White Lotus finissent souvent par payer le prix fort, qu'il s'agisse de Belinda et Armond dans la saison 1, Valentina dans la saison 2 ou Gaitok dans la saison 3.

La troisième saison, dont nous avons pu voir les six premiers épisodes (sur huit), se déroule quant à elle en Thaïlande. Cette fois-ci, Mike White s'en prend à l'hypocrisie et aux limites de la tendance bien-être, avec des clients extrêmement riches qui cherchent un renouveau et un apaisement spirituel dans un hôtel-spa, mais passent leur temps à juger, mentir et mal se comporter (sans parler du taux d'alcoolémie global). C'est notamment le cas de la famille Ratliff qui, même dans ce cadre sauvage et idyllique, refuse d'abandonner ses smartphones, son porno et ses benzodiazépines.

Mais aussi de cette riche actrice (Michelle Monaghan) et de ses deux amies d'enfance (Leslie Bibb et Carrie Coon) invitées à ses frais, qui passent leur temps à se flatter ou à se tirer dans les pattes. «C'est une réflexion sur les attentes irréalistes que l'on a envers nous et les autres, ainsi que sur la manière dont nous avons été conditionnés à nous juger, à nous comparer, à toujours nous demander: “Est-ce que je suis assez? Est-ce que je pourrais faire mieux? Est-ce que l'herbe est plus verte ailleurs?”», analyse l'actrice Michelle Monaghan.

«C'est tellement dur de ne pas se comparer aux autres. C'est ce qu'on fait toute la journée sur Instagram, non? On passe notre temps à swiper et à se dire que la vie des autres a l'air tellement mieux que la nôtre», confirme Leslie Bibb. Dans une scène aussi malaisante que savoureuse, Kate, son personnage, révèle au grand dam des deux autres qu'elle a voté pour Donald Trump: «Ce qui est marrant, c'est que Mike [White] a écrit ça bien avant sa réélection, sans doute en 2022.» Entre le retour au pouvoir du président américain et la guerre en Ukraine, le contexte politique et international actuel s'insère remarquablement bien dans cette nouvelle saison.

Mais la deuxième saison (diffusée entre octobre et décembre 2022), située en Italie avec un casting toujours aussi impressionnant (Aubrey Plaza, Michael Imperioli, Meghann Fahy, Theo James), incorporait aussi une réflexion d'une grande finesse sur les divisions genrées, ainsi que le sexe et tout ce qu'il comporte de transactionnel -que ce soit au sein d'un mariage, au travail ou entre une prostituée et ses clients.

https://www.youtube.com/watch?v=Bhr0U977oMg

Écriture singulière et personnages complexes

Si elle capte parfaitement les enjeux contemporains, la série de HBO résiste malgré tout aux pires instincts actuels, notamment en étant tournée dans des décors réels. «Nous vivons dans une ère où l'on tourne le plus souvent en studio, avec des images de synthèse. J'ai déjà tourné des films dans lesquels mes partenaires de scène n'étaient même pas présents avec moi le jour du tournage de la scène, constate Natasha Rothwell, qui reprend le rôle de Belinda, découverte dans la saison 1. En ayant la possibilité de tourner dans un lieu comme celui-ci, on a moins de gymnastique mentale à effectuer.»

Alors que l'industrie des séries télévisées observe une perte de vitesse créative depuis plusieurs années, la satire de Mike White se démarque non seulement par la qualité de ses performances, mais aussi par son écriture d'une grande précision. Le créateur prend un malin plaisir à jouer avec les attentes du public, multipliant les fausses pistes et les mauvais présages.

Mais derrière ce format ludique, les personnages de The White Lotus, très archétypaux de prime abord, se révèlent de plus en plus complexes à chaque nouvelle interaction. «C'est très rare de tomber sur une écriture aussi complexe, observe Jason Isaacs, qui joue Timothy Ratliff, le père de famille moins parfait qu'il n'y paraît. Mike [White] nous présente des personnages qui semblent unidimensionnels, puis il dévoile de nouvelles couches et il les place dans des situations de plus en plus tendues, jusqu'à ce que la seule chose qui puisse émerger est leur humanité.»

Avec un succès qui ne cesse de s'accroître (une quatrième saison est déjà confirmée) et un modèle de diffusion hebdomadaire «à l'ancienne» qui permet d'entretenir une longue conversation entre l'œuvre et son public, The White Lotus continue de défier les conventions de l'écosystème actuel. Et on s'en réjouit.