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El Roslino
Le projet présidentiel de François Fillon suscite aujourd'hui en France de multiples inquiétudes. Ces inquiétudes, elles naissent en particulier de son projet de réforme de l'assurance maladie, la « Sécurité Sociale », projet sur lequel il s'est plusieurs fois contredit et a fait des déclarations contradictoires.
Mais, ces inquiétudes naissent aussi d'autres dimensions de son projet qui vont entraîner des pertes de pouvoir d'achat importantes pour les travailleurs français, comme le retour au 39h (qui impliquera la disparition des heures supplémentaires), ainsi que pour les futurs retraités, avec l'allongement de la durée de cotisation. François Fillon a cru apporter une réponse à ces inquiétudes par la proclamation de sa foi catholique. François Fillon est catholique, c'est un point entendu. En un sens, c'est son affaire. La foi, tout comme l'absence de foi, de chacun relève de la vie privée. Par contre, cela devient l'affaire des français quand François Fillon avance sa foi catholique comme « garantie » face à des interrogations que l'on peut légitimement avoir sur les conséquences sociales et économiques de son programme.
Ainsi, opposer à ces légitimes inquiétudes, suscitées par ce que ses adversaires qualifient de « brutalité » de son projet, le simple fait d'être catholique est d'une profonde hypocrisie. Ceci n'est pas, et ne peut être une réponse. C'est d'ailleurs ce que lui a fait remarquer un autre homme politique qui ne cache pas sa foi catholique, Nicolas Dupont-Aignan.
Ce que signifie la laïcité
Cette hypocrisie, de la part de François Fillon pose alors un autre problème. Bernard Bourdin, théologien catholique et professeur de droit, écrit ceci: « Il n'y a pas de parti politique du royaume de Dieu et plus encore, il n'y a pas d'histoire du royaume de Dieu: c'est un non-sens théologique. Ce point indiscutable ne permet pas de tout résoudre mais reconnaissons qu'il est déterminant! ».
Nous voyons bien à quel point c'est aujourd'hui une idée essentielle. Elle signifie à la fois que l'on ne peut prétendre fonder un projet politique sur une religion, et que la démarche du croyant, quel qu'il soit, est une démarche individuelle, et de ce point de vue elle doit être impérativement respectée, mais qu'elle ne s'inscrit pas dans le monde de l'action politique qui est celui de l'action collective. C'est ici un des fondements de la laïcité.
Or, comment peut on vouloir combattre le fanatisme islamique si l'on adopte, dans les faits, un mode de raisonnement qui est parallèle au sien? Comment devons-nous réagir face à des gens qui, eux, ne pensent pas cela, soit qu'ils considèrent que le « royaume de Dieu » peut avoir un parti politique (et on l'observe des intégristes chrétiens aux États-Unis aux Frères Musulmans) soit qu'ils considèrent que les deux cités, pour reprendre Augustin, sont sur le point de fusionner, comme c'est le cas de courants messianiques et millénaristes comme les salafistes? On voit bien ici le problème. Ces courants, pour des raisons différentes, contestent - par des méthodes elles aussi différentes - l'idée même de laïcité. Or, cette idée est essentielle à la formation d'un espace politique, certes traversé d'intérêts et de conflits, mais néanmoins gouverné par des formes de raison - espace politique indispensable à la construction de la souveraineté et de la nation.
Faut-il donc les laisser faire, au nom des libertés individuelles qui sont une application de la raison, et cela en sachant qu'ils sont porteurs de principes absolument antagoniques à la raison, de principes qui, s'ils triomphaient, rendraient impossible l'existence même de ce type d'espace politique? Ce qui est en cause c'est ici le principe de laïcité et donc les libertés individuelles et en premier lieu la liberté de conscience mais pas seulement.
La contradiction est donc que c'est au nom de ces principes politiques que cherchent à avancer ceux qui considèrent que le « royaume de Dieu » peut avoir un parti, et qu'ils le représentent. La question est en fait moins compliquée avec les courants qui prétendent à la fusion directe entre les « deux cités », comme les salafistes. Ceux-là, en un sens, se mettent directement hors-jeu. D'où, la nécessité de fonder l'organisation politique sur ce que j'ai appelé « l'ordre démocratique »(1). Mais cet ordre démocratique implique que TOUTES les religions soient en retrait dès que l'on entre dans l'espace public, moyennant bien sûr les traditions et habitudes culturelles de chaque pays. Or, très clairement, ce n'est pas ce que fait François Fillon.
François Fillon est-il un démagogue?
Notons par ailleurs que, au journal de 20h du vendredi 6 janvier, dans un sujet décrivant la visite de M. François Fillon au CES, le salon des technologies émergentes de Las Vegas, on entend le candidat à l'élection présidentielle tenir des propos à tout le moins étranges sur France-Telecom et les « fonctionnaires ». Ces propos sont étranges parce que le fait d'être une compagnie privée n'implique nulle efficacité supplémentaire par rapport à une société publique ou une administration. Si tel était le cas, il n'y aurait pas de crises financières, ou de scandale Volkswagen et avant lui de scandale Enron et autres. Ces propos sont étranges, aussi, parce que François Fillon fait comme si la multiplication des suicides dans le France-Telecom privatisé sous le nom d'Orange d'il y a quelques années (2008-2009) n'avait eu aucun lien avec cette même privatisation. Bizarre comportement pour qui se prétend chrétien!
Ces propos sont enfin étranges parce que les fonctionnaires, aujourd'hui si décriés par François Fillon et dont il veut réduire le nombre de 500 000, sont en réalité en première ligne face à la crise sociale que la France traverse, qu'il s'agisse des fonctionnaires de police, de l'armée, mais aussi des personnels hospitaliers, en butte à des « incivilités » dont le nombre a explosé ces dernières années et qui, bien souvent, prennent un aspect religieux, ou enfin des enseignants, méprisés par leur hiérarchie et laissés seuls face à la dégradation du climat dans et hors de la classe. Ces fonctionnaires sont des représentants de l'Etat, et l'autorité de celui-ci, dont François Fillon aime bien se gargariser, repose en réalité sur leurs épaules. Or, François Fillon fut, de 2007 à 2012, Premier-ministre. Il fut donc particulièrement bien placé pour mesurer ce qu'il en coûte de dégouter des fonctionnaires de leurs métiers.
Les propos de François Fillon témoignent donc d'une tendance à la démagogie dont la logique renvoie à une pensée réactionnaire. C'est son choix, et en un sens c'est son droit. Mais alors, l'homme dont la politique a provoqué plus de 600 000 nouveaux chômeurs, le démagogue qui dénonce les fonctionnaires quand le pays a besoin de l'autorité de l'Etat et de celle de ces mêmes fonctionnaires, ne peut chercher à couvrir son projet politique du manteau d'une foi, quelle qu'elle soit.
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