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El Roslino
Alors que le candidat Trump en avait fait l'une de ses promesses phares, l'abrogation de la loi nommée 'Obamacare' s'annonce beaucoup plus compliquée que prévu. Des sénateurs républicains qui se déchire, une majorité qui n'est plus vraiment certaine de ne pas être en minorité, un président fantôme, la 'Trumpcare' passera-t-elle un jour?
C'était une des promesses phares du candidat Trump, supprimer et remplacer la Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables (Affordable Care Act) - surnommée Obamacare.
Mais, alors que la mesure était censée être le symbole de la ligne politique pour laquelle le milliardaire a été élu, elle semble durcir les fractures au sein du camp Républicain.
Le texte présenté au Sénat est considéré comme trop modéré par les conservateurs Républicains et trop conservateur par les Républicains modérés. D'un côté comme de l'autre, si Trump fait des concessions il perdra la majorité indispensable pour faire passer cette réforme de l'assurance santé.
Balloté entre ses deux extrêmes, le président Américain adopte une position d'autruche. Il n'a, dit-on, pas même appelé ses soutiens et ses électeurs les plus convaincus pour faire pression sur leurs sénateurs afin de faire passer la mesure.
Alors, Trump va-t-il devoir abandonner son idée de réforme de l'Obamacare? Réponse en quatre points.
Obamacare : qu'est-ce qui va changer?
Promulguée le 30 mars 2010 par Barack Obama, la loi surnommée Obamacare est appliquée depuis le 1er janvier 2014. Elle rend obligatoire la souscription à une assurance santé auprès d'un assureur privé parmi la liste fournie par le gouvernement sur le site healthcare.gov. Avant elle, 50 millions d'Américains ne souscrivaient pas à une assurance santé.
L'Etat américain finance des aides fiscales aux plus démunis, ceux qui n'ont pas les moyens de se payer cette assurance à laquelle ils sont obligés de souscrire. Si Donald Trump venait à abroger cette loi, 23 millions d'Américains se retrouveraient sans couverture santé.
L'Obamacare a également interdit aux assureurs de refuser d'assurer une personne ayant des antécédents médicaux, une discrimination auparavant courante aux Etats-Unis. Grâce à l'Affordable Care Act, l'assurance santé des parents peut couvrir leurs enfants jusqu'à 26 ans. Les entreprises de plus de 50 employés sont quant à elle également mises à contribution puisqu'elles doivent payer des pénalités si elles ne financent pas l'assurance santé de leurs salariés.
Enfin, les Etats ont été encouragés par la Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables à élargir les critères d'éligibilité indispensables pour avoir recours au Medicaid, l'assurance santé des personnes en-deçà du seuil de pauvreté. Le Medicare couvre quant à lui les seniors de plus de 65 ans qui ont cotisé auparavant.
Les Républicains bataillent contre l'Obamacare pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cette mesure est perçue comme socialiste ce qui va à l'encontre de l'idéologie républicaine. Ensuite, financièrement le camp républicain trouve la mesure trop lourde. Entre autres.
En mai dernier, la Chambre des représentants a voté à 217 voix contre 213 un projet de loi pour l'abrogation et le remplacement partiel de l'Obamacare.
Le projet doit maintenant passer devant le Sénat, une étape qui s'annonce compliquée, notamment en raison des multiples divisions au sein du parti Républicain. Moins radical que la version votée par la Chambre des représentants et porté par Paul Ryan, le texte conserve les deux mesures les plus populaires de l'Obamacare: la protection des enfants sur l'assurance de leurs parents jusqu'à 26 ans et l'interdiction de la discrimination de la part des assureurs en fonction des antécédents médicaux. En revanche, le projet de loi prévoit d'abroger l'obligation de s'assurer.
Cette version du projet de loi anti Obamacare est très différente de celle adoptée devant la Chambre des représentants, notamment parce qu'elle ne prévoit pas de toucher à la mesure anti discrimination alors que devant la Chambre des représentants il avait été promis que cette mesure demeurerait à la discrétion des Etats.
Pourquoi il est nécessaire pour les Républicains que la réforme santé soit votée
La mesure est décisive et le débat qui s'organise va bien au-delà de la simple loi Obamacare. Vincent Michelot, professeur d'histoire politique des Etats-Unis à Sciences Po Lyon et auteur d'un article sur ‘L'Esprit des institutions' dans la revue Esprits (mai 2017), explique.
" Il y a des enjeux forts sur cette loi. Premièrement, depuis l'entrée en fonction de Donald Trump, le Congrès [Chambre des représentants et Sénat] n'a voté aucun grand texte. Cela terrorise un certain nombre d'élus républicains. En effet, la perspective de la fin de session parlementaire fin juillet pour ensuite revenir devant les électeurs sans avoir rien à montrer est inenvisageable.
Deuxièmement, ce projet de loi est un test qui va illustrer la capacité ou l'incapacité du président américain à travailler avec le Congrès. Si la mesure ne passe pas, les prochaines réformes concernant la fiscalité, les infrastructures ou encore la politique migratoire, seront mal engagées.
Troisièmement, si toute l'énergie est concentrée sur cette réforme, les autres projets n'avancent pas. L'année fiscale commence aux Etats-Unis le 1er octobre, beaucoup se demandent quel va être le premier grand budget de la présidence Trump et comment la réforme sur la santé va être financée puisque Trump souhaite sur ce point exonérer d'impôts les foyers les plus riches qui étaient censés participer à son financement ".
Pourquoi la réforme de l'Obamacare a peu de chances d'être en l'état votée par le Sénat
De son côté le Sénat est déchiré. Le groupe républicain est désuni et ne parvient pas à faire front derrière un compromis cohérent qui pourrait plus ou moins satisfaire assez l'ensemble des sénateurs de la majorité pour qu'ils puissent voter le projet de loi. En effet, un certain nombre s'oppose à la réforme en l'état mais pour des raisons radicalement différentes.
D'un côté, " un bloc hyper conservateur qui souhaite une éradication beaucoup moins timide de l'Obamacare ", mentionne Vincent Michelot.
De l'autre, " des républicains modérés, catastrophés par la perspective de voir 22 millions d'américains perdre toute forme d'assurance maladie dans les dix années à venir ".
Enfin, ceux qui se situent au centre du parti agissent le plus souvent en fonction des intérêts spécifiques de leur Etat.
Cette absence d'unité est due à trois choses. Tout d'abord, le projet de réforme n'est pas populaire. Obamacare est bien plus populaire, certains sénateurs républicains - ceux notamment qui gèrent des Etats qui pourraient passer du côté démocrate - n'ont donc pas intérêt d'un point de vue électoral à participer à son abrogation complète.
Deuxièmement, " 60% des élus au Congrès ont été mieux élus dans leur circonscription que le président. Ces élus ne doivent rien à Donald Trump. Pendant toute la campagne, il s'en est pris au leadership du parti républicain, aux textes et aux principes du parti. Il a une absence de relais puissants à l'intérieur du parti républicain. Ce n'est pas comme en France où les députés La République En Marche doivent clairement leur place à l'Assemblée à Emmanuel Macron ", explique Vincent Michelot.
Troisièmement, selon le professeur d'histoire politique des Etats-Unis, l'impopularité de Trump pose vraiment problème. En effet, les sénateurs républicains sont libres car s'opposer au président ne coûte pas cher. " En temps normal, lorsque vous vous opposez à l'intérieur du parti à la majorité présidentielle, vous risquez des mesures de rétorsion dont dispose le président. Mais celles-ci ne sont pas crédibles si le président est aussi impopulaire, qu'il n'est pas membre du parti et qu'il n'y est pas attaché. Donald Trump n'est pas craint car il n'est pas respecté ".
Balloté entre les deux extrêmes de sa majorité, le président ne peut céder ni à sa gauche ni à sa droite de peur de perdre la majorité mais en l'état actuel des choses s'il ne fait pas de concessions le texte ne passera pas.
L'un des principaux obstacles de Trump réside surtout dans la diabolisation orchestrée du parti démocrate qu'il a conduit tout au long de sa campagne et qui l'empêche aujourd'hui de faire des compromis avec les 48 sénateurs républicains. Or la quasi-totalité des grandes lois américaines ont été votés à l'aide de compromis entre républicains et démocrates.
Du côté démocrate, même problème. Il est dangereux pour eux de collaborer avec la présidence Trump de peur d'être taxé de trahison de retour devant les électeurs en 2018 et 2020.
Ce que le débat autour de l'Obamacare dit (ou pas) de la politique américaine
Le débat autour de l'assurance santé met en exergue des fractures plus anciennes dans la politique américaine contemporaine.
La division du camp républicain n'est pas nouvelle. " Les républicains sont très divisés. La fracture majeure depuis les années soixante est entre les conservateurs fiscaux et les conservateurs moraux. Les premiers étaient traditionnellement préoccupés par l'équilibre budgétaire avant de changer leur fusil d'épaule dans les années quatre-vingt et de se mettre à soutenir d'abord et avant tout la baisse des impôts, quelques soient les conséquences budgétaires. Les seconds sont davantage tournés vers les valeurs, les engagements, les principes républicains et une certaine défense de la tradition. Actuellement les conservateurs fiscaux sont toujours influents au sein du Congrès et ils sont prêts à tout pour donner à Donald Trump la victoire politique qu'il attend concernant la réforme santé de l'assurance-maladie car ils attendent beaucoup des prochains projets de lois sur la fiscalité et les impôts ", décrypte François Vergniolle de Chantal professeur à l'université Paris-Diderot et auteur de L'impossible Présidence impériale aux éditions du CNRS.
Contrairement au système français, il ne peut pas exister de frondeurs à proprement dit au sein des partis américains car il n'y a pas de consigne de vote, chaque texte fait face à de nouvelles négociations. Rien n'est jamais gravé dans le marbre. " C'est pour cette raison que je ne crois pas à la fin du bipartisme américain ", assure Vincent Michelot. François Vergniolle de Chantal - co-directeur de la publication Politique américaine - ajoute : " Le bipartisme est si fort que Donald Trump n'a même pas essayé de créer un troisième parti, une troisième voix. Il a préféré intégrer les structures déjà existantes ".
Cependant, le débat sur l'Obamacare dit surtout beaucoup du genre de présidence que Trump compte mener. Les médias américains soulignent avec surprise qu'il est assez peu intéressé par le texte de la réforme de l'assurance santé en lui-même. Pour preuve, " il lui est difficile quand il appelle les sénateurs résistants de faire l'article de cette loi car il ne la connaît pas en détail. Il n'a pas appelé ses soutiens ni ses électeurs les plus fidèles à se manifester pour pousser à l'adoption du texte. Il n'a pas non plus programmé d'entretien sur une grande chaîne télévisée pour faire la défense et l'illustration de cette loi. Au lieu de cela, il gâche son capital politique à envahir la scène médiatique avec ses tweets ", explique Vincent Michelot.
C'est sans doute ce qui pose le plus problème, les tweets. Ceux-ci empêchent la Maison Blanche de faire bloc derrière une stratégie de communication efficace et homogène comme c'était le cas durant l'ère Bush, Clinton ou encore Obama.
" Trump ne peut pas se contrôler, il est incorrigible. Les médias américains appellent son vice-président Pence [qui tente de rattraper la stratégie Twitter] la moto-crotte ", ironise Vincent Michelot.
Donald Trump est un président sans qualification ni attache. Les journalistes, observateurs ou même psychiatres observent que malgré son entourage qualifié et expérimenté, le président ne parvient pas à conduire une politique construite. Et pour cause, au sein de la Maison Blanche il a délibérément organisé des cercles qui s'opposent les uns aux autres. " On ne sait jamais quelle va être la décision du président, tout dépend de la personne avec qui il a parlé en dernier ", selon Vincent Michelot. Les luttes d'influence pour avoir l'oreille du président font rage à Washington et sont complètement contre productives.
" Le caractère brouillon de cette administration peut jouer à l'avantage du Congrès sur la scène politique intérieure. Le Congrès est le principal outil de gouvernement aux Etats-Unis et le président américain a un rôle relativement faible sur la scène intérieure, notamment par rapport à son équivalent Français. Ce n'est bien entendu pas le cas sur la scène internationale où le président américain a les mains libres et exprime là tout son pouvoir ", définit François Vergniolle de Chantal.
Le défi majeur de ce président paillettes sera, à défaut de créer une relation de confiance entre la majorité présidentielle et le congrès, de tenter d'exécuter son plan B: maîtriser le Congrès, ou au moins une des chambres.
Divisions au sein du camp républicain, majorité fragile, impopularité inattendue de la réforme Trump, l'Obamacare s'annonce beaucoup plus compliqué que prévu à débouter.
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