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El Roslino
Le palais des Nations à Genève, en Suisse. Le palais des Nations à Genève, en Suisse. | Ouest-France
Deux ans après le scandale du stagiaire dormant sous une tente au bord du lac Léman, rien n'a changé aux Nations Unies. Malgré les tâches importantes qu'elles leur délèguent et la cherté des villes où elles se trouvent, les agences de l'Onu qui rémunèrent leurs stagiaires se comptent sur les doigts d'une main. Cela favorise indirectement un manque de diversité dans le profil des stagiaires de la future élite internationale.
Scandale international en août 2015, quand un stagiaire onusien néozélandais prétend devoir dormir dans une tente au bord du lac Léman car il n'arrive pas à se payer une chambre à Genève. Ce « happening » (ce stagiaire s'était fait recruter à l'Onu justement en prévision de ce « coup » et sa compagne prépare un documentaire à son sujet) a permis de mettre le doigt sur une réalité peu connue : l'extrême précarité de ces jeunes.
Jonathan*, stagiaire français de l'Organisation panaméricaine de la santé (Paho/WHO), à Washington, qui veut travailler dans le domaine de la santé publique plus tard, en est convaincu : « Faire un stage ouvre énormément de portes. C'est une étape obligatoire si tu veux faire carrière dans les institutions internationales ou la diplomatie. » Lui trouve son stage « très intéressant ». Lors de notre interview, il passait la semaine en Amérique latine et représentait l'Onu auprès d'un de ses partenaires.
« C'est cher le métro »
Diane*, en stage au Haut-Commissariat aux Droits de l'Homme (HCDH) à Genève, a « l'impression de réellement développer de nouvelles connaissances et compétences », raison pour laquelle elle a accepté un stage non-payé. Elle assure bénéficier d'un « degré appréciable d'autonomie ».
« Tout le monde a conscience de ce problème de rémunération, raconte Jonathan. Ça vient très rapidement dans les conversations entre stagiaires : « c'est cher le métro ». On paie entre 100 et 150$ par mois (environ 91 et 137 euros) en transports en commun, ce n'est pas pris en charge. On est tous dans la même galère. »
Jonathan a eu de la chance : la Paho est l'une des rares agences qui prend en charge les frais de visa de ses stagiaires. À Genève, Diane, en tant que Française, est exemptée de visa. D'autres n'ont pas eu cette chance : « Mes collègues stagiaires venant de pays où un visa est nécessaire ont dû prendre en charge le coût de leur visa (60€ pour la Turquie, environ 46€ pour le Brésil par exemple). »
Pas de possibilité de travailler à côté du stage
Pour financer son stage, Jonathan bénéficie de l'aide de ses parents et de son grand-père : 1 800 € « De l'argent qu'ils investissent donc dans l'Onu ». Diane s'appuie sur ses économies issues d'emplois précédents.
Les stagiaires de Genève n'ont pas la possibilité de travailler à côté de leur stage : « Pour un stage de plus de trois mois, un permis de stage est nécessaire, assure Diane. Nous devons postuler pour une carte de légitimation. Elle est gratuite mais ne nous permet de rester sur le territoire que durant le temps de notre stage et ne nous donne pas accès au marché du travail suisse, alors pas de petit boulot déclaré pour arrondir les fins de mois - si tant est qu'il y ait quelque chose à arrondir. »
L'article 23 de la déclaration universelle des droits de l'Homme précise bien : « Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant, ainsi qu'à sa famille, une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s'il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale. »
Entrée du palais des Nations. Entrée du palais des Nations. Ouest-France
L'Onu n'a « pas le budget » pour payer ses stagiaires
L'Onu n'applique donc pas ses propres règles : aucune résolution de l'assemblée générale, seule habilitée à prendre cette décision, ne va dans ce sens. Et le nombre de stagiaires va croissant ; d'après le porte-parole adjoint du Secrétaire Général de l'ONU, Farhan Haq, il y avait environ 4000 stagiaires servant à l'Onu en 2015 « pour un nombre bien plus grands de candidatures », précise-t-il. Ils étaient 140 en 1996. « Au moment de leur candidature, ils sont informés que le stage ne sera pas payé, et on leur demande à l'avance s'ils seront capables de couvrir les coûts. »
Selon lui, l'Onu n'a tout simplement pas le budget pour payer ces stagiaires. « Une rémunération conduirait probablement à une réduction drastique du nombre et de la durée des stages. » Il chiffre la rémunération des 4000 stagiaires à « plusieurs millions de dollars » par période de deux ans.
L'hebdomadaire anglais The Economist tente une explication : « Les pays qui appartiennent à l'Onu veulent augmenter leur influence en maximisant la présence de leurs citoyens dans les équipes. »
Les stagiaires représentent plus de 10% des travailleurs onusiens
Les salaires des employés de l'Onu vont de 37 000 à 123 000 $ par an (34 000 à 113 000€), et il était question de les augmenter à l'automne 2015. Ils ne paient pas d'impôts sur le revenu et peuvent bénéficier d'aide au logement, au déménagement, et à la scolarité des enfants. L'organisation comptait, fin 2013, 30 719 salariés. Les stagiaires représentent donc plus de 10% des travailleurs onusiens.
« Au HCDH, certaines sections ne pourraient simplement pas fonctionner sans leurs stagiaires », assure Diane. La jeunes femme est révoltée par ce système : « Je trouve cette politique scandaleuse, des milliers de jeunes sont exclus des opportunités offertes par ces stages. De fait, l'ONU, organisation à vocation universelle, n'a que des stagiaires venant de pays riches ou des stagiaires issus des familles les plus riches dans les pays en développement. Occasionnellement, un boursier passe les mailles du filet si tant est que sa bourse lui permette de survivre à Genève... Les prix genevois profitent des stagiaires qui sont là pour une courte période et désespèrent rapidement face à une offre trop rare comparée à la demande. Mes collègues payent en moyenne 740€ pour une chambre chez l'habitant. »
Des villes hors de prix
Genève fait partie des villes les plus onéreuses au monde. Genève fait partie des villes les plus onéreuses au monde. | Ouest-France
Genève, même si elle concentre beaucoup d'agences onusiennes, n'est pas la seule ville hors de prix où l'Onu recrute ses stagiaires : le siège de l'Onu est à New-York, l'Unesco est à Paris, l'Organisation maritime mondiale est à Londres... « À cause de ces considérations pratiques, on ne voit des gens que des pays du nord de l'Onu, ou du Sud, mais qui ont des familles riches. Que des gens qui peuvent se permettre d'habiter dans des villes aussi chères », assure Jonathan.
« Peu de diversité dans les opinions »
Diane est du même avis : « Peu de diversité dans nos parcours, nos opinions et ce que nous pouvons éventuellement apporter à l'organisation. Je suis également persuadée que c'est parce que les stages ne sont pas rémunérés que l'on trouve une majorité de jeunes femmes parmi les stagiaires. Sur environ 60 stagiaires au HCDH à Genève, moins de 20 sont des hommes. »
Mais les choses bougent un peu. Jonathan et d'autres stagiaires ont créé un bureau des stagiaires à Paho, pour faciliter leur arrivée. Et lui ne compte pas terminer son stage sans avoir dit ce qu'il a sur le cœur : « Dans mon organisation, à la fin, on fait une sorte de présentation, où l'on dit que c'est un honneur d'avoir été en stage pour servir l'Onu. Je dirai que ça a été un honneur, mais je dirai aussi que ne pas payer les stages pose un problème d'équité. Si personne ne rappelle aux gens que les stages ne sont pas payés, ça ne va pas changer. Moi, en tout cas, je pourrai difficilement refaire un stage de 6 mois non payé, où je coûte près de 2000 euros à mes parents chaque mois. »
Bourse spéciale pour stagiaires sans ressources ?
Quelques bureaux commencent à rémunérer les stagiaires : l'Organisation internationale du travail (après avoir découvert un stagiaire qui dormait dans la cave), l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (toutes deux à Genève), l'Organisation pour l'agriculture et l'alimentation et le Programme alimentaire mondial et le Fonds international de développement agricole (toutes trois à Rome).
Des initiatives, comme « Fair internship initiatives » (FII - initiative pour des stages justes) ont été lancées pour attirer l'attention de l'opinion publique sur ce problème. FFI a organisé la « grève » (peu suivie) des stagiaires de l'Onu le 20 février, à Genève, New-York et Vienne lors de la grève mondiale des stagiaires.
Le 11 avril, lors d'une conférence de presse, le secrétaire général Antonio Guterres a été interpelé par un ancien stagiaire à ce propos. Il a reconnu « l'iniquité » du système et s'est montré ouvert à des « bourses spéciales » pour les stagiaires qui n'auraient « aucune ressource ». « Mais je préserverais le mécanisme des stages tel qu'il existe actuellement », a-t-il conclu.
* Les prénoms ont été changés
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