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El Roslino
En réponse au désir de Trump de construire «une grande et belle barrière entre les deux pays», des prototypes de 10 mètres de haut ont été présentés par les douanes américaines fin octobre. A San Diego, dans l'extrême sud de la Californie, comme à Tijuana, dans le nord du Mexique, la mesure est vue comme une coûteuse absurdité.
Christian Ramirez était au lycée quand il a vu les premières portions de mur s'ériger à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, séparant les deux villes de Tijuana et San Diego, bordées par l'océan Pacifique. C'était en 1994, sous l'administration Clinton, une opération baptisée «Gatekeeper» par les autorités américaines. «Quand je suis entré à la fac, ça s'est encore agrandi», se souvient cet Américain né à Tijuana, responsable des droits humains au sein de l'Alliance de San Diego, une organisation d'aide aux immigrants.
Les rodomontades de Donald Trump pour bâtir une «grande et belle» barrière entre les deux pays, une de ses principales promesses de campagne, ne le surprennent donc pas. «Cela fait vingt ans que l'on vit à l'ombre d'un mur», soupire-t-il.
Fin octobre, les douanes américaines ont dévoilé huit prototypes censés répondre au cahier des charges du locataire de la Maison Blanche. Hauts de dix mètres, ils sont posés dans le désert, à quelques kilomètres à l'est du poste-frontière d'Otay Mesa, en périphérie de San Diego.
L'agent Francisco Theron fait la visite. «Il était temps d'avoir quelque chose de nouveau, les infrastructures existantes sont obsolètes», juge-t-il. Côté mexicain, les obstacles tiennent en effet plus du symbole qu'autre chose. La palissade rouillée, bâtie avec du surplus militaire de la guerre du Vietnam, ne dépasse pas les trois mètres. Le grillage du côté américain est plus imposant, mais percé en de multiples endroits.
Les prototypes, qui feront l'objet de tests de résistance dans les prochaines semaines, avant peut-être de recevoir l'onction présidentielle, intimident davantage. «L'idée, c'est de ralentir les migrants pour laisser le temps à nos agents d'intervenir», développe Francisco Theron.
«La peur est de retour.»
Mais l'opération, qui a déjà coûté près de trois millions d'euros, pourrait en rester là. Le Congrès américain refuse toujours de débloquer les 1,8 milliard de dollars qui permettraient de bâtir les premières sections. Quant à barricader près de la moitié des quelque 3 000 kilomètres de frontière entre les deux pays, c'est une chimère : la facture pourrait dépasser les 21 milliards de dollars.
De part et d'autre, on affiche la même circonspection teintée de détachement. «Ce mur, c'est une putain d'idée à la con, rigole Alan, Mexicain de 22 ans venu faire ses emplettes de Noël à San Diego, croisé à la sortie du poste-frontière. Au Mexique, les gens en rigolent. Trump voudrait qu'on le finance, mais on ne paiera pas.
Notre président, pourtant un des plus idiots qu'on ait eus, l'a déjà dit.» Tim, un Américain qui se rend souvent à Tijuana pour mixer en soirée, appuie : «Bien sûr que c'est une idée absurde, mais il faut arrêter de surréagir à tout ce que dit Trump. C'est un bouffon.» Roberto Alcantar, un des responsables à San Diego de l'ONG Aclu (American Civil Liberties Union), y voit une «pièce de théâtre très coûteuse».
Selon Christian Ramirez, le dévoilement des prototypes - «des monuments à la haine et à l'ignorance» - tient surtout de l'opération de com : «C'est une manière pour Trump de dire qu'il tient sa promesse de campagne.» Pas question pour lui, cependant, de minimiser l'impact de l'action du milliardaire républicain sur la question migratoire : «L'Amérique de Trump, on la voit émerger à plein d'endroits.
Dans la vallée du Rio Grande [entre le Mexique et le Texas, ndlr], les droits des personnes migrantes sont bafoués, notamment par la police des frontières, qui se sent en situation d'impunité.» Les candidats à l'exil, de plus en plus originaires d'Amérique centrale, s'enfoncent dans le désert pour parvenir à leurs fins. Ils recourent aux services des «coyotes», les passeurs, souvent liés aux cartels mexicains.
Coût d'un passage : entre 7 000 et 40 000 dollars, sans assurance de ne pas être laissé dans le désert. «Ce mur, ou en tout cas cette pression accrue en certains points, ne va faire que repousser les gens plus loin et enrichir les passeurs», prévient Ramirez. Qui constate qu'à San Diego aussi, la vie se fait plus dure pour les Latinos. «La ville fait comme si elle restait en dehors de tout ça, comme s'il n'y avait ici que la culture californienne, le surf, etc. Mais on vit bien dans une zone de conflit.»
Les fronts sont multiples pour les quelque 12 millions d'immigrés sans papiers vivant dans l'Amérique de Trump, mais aussi pour ceux jusqu'alors en situation régulière. En septembre, le président américain a dénoncé l'accord Daca (Deferred Action for Childhood Arrivals) établi par Barack Obama en 2012.
Le texte offrait une protection temporaire à près de 800 000 personnes en situation illégale, entrées dans le pays alors qu'elles étaient mineures. «Un gros retour en arrière, déplore Roberto Alcantar. On avait mis du temps à gagner la confiance de ces gens, à les sortir de l'ombre et de la clandestinité. La peur est de retour. Certaines personnes limitent leurs déplacements, d'autres ne vont plus à l'école parce qu'elles ont peur d'être arrêtées puis expulsées.»
La Californie a beau s'être proclamée «Etat sanctuaire», ce qui implique que les polices locales ne collaborent pas avec les agents fédéraux en matière d'immigration, la répression s'intensifie. Pas tant sur le nombre des expulsions, en légère baisse par rapport à 2016, mais bel et bien en matière d'arrestations (+43 % depuis que Trump est entré en fonction).
En fait, la justice peine à tenir le rythme et à prendre suffisamment de décisions. «Il y avait eu beaucoup d'expulsions sous Obama (2,8 millions en huit ans), analyse Ramirez, mais au moins on avait réussi à initier un dialogue sur certains lieux sanctuarisés, comme les écoles ou les cimetières.»
La chronique des familles séparées continue à remplir les colonnes des journaux. Le 18 novembre, elle s'est directement incarnée au parc de l'amitié de San Diego. Posé presque au bord de l'océan Pacifique, le lieu jouxte le mur et la ville de Tijuana.
Tous les ans, l'ONG «Border Angels» y organise une «ouverture des portes», qui permet à des personnes expulsées au Mexique de revoir leurs proches quelques instants. «Je dois limiter le temps à trois minutes par famille», soupire Enrique Morones, un vétéran de l'aide aux migrants.
Ce jour-là, douze familles ont pu connaître la joie des retrouvailles. Une paille. En 2016, 40 000 Mexicains ont été renvoyés des Etats-Unis, direction Tijuana. La plupart passent par le poste frontière de San Ysidro, le plus fréquenté au monde, avant d'être lâchés dans la nature.
«Ramasser des fraises.»
Maria Galletta a installé son bureau côté mexicain, dans la zone tampon où se côtoient les magasins duty free et les pharmacies vantant leurs promos sur le viagra. Son association vient en aide aux familles séparées par les expulsions. «Je déconseille aux gens d'essayer de traverser illégalement. A chaque fois qu'ils se font attraper, ils risquent plusieurs années de prison aux Etats-Unis. Mon but, c'est de les aider à s'intégrer ici.»
Récemment, le balancier s'est inversé, bien appuyé par le dynamisme économique de l'Etat d'Amérique centrale. Il y a désormais plus de Mexicains qui rentrent au pays chaque année que de sorties vers les Etats-Unis. Genaro, 33 ans, en fait partie, même si lui a été touché par une mesure d'expulsion, après deux décennies de vie aux Etats-Unis. «J'ai violé un ordre qui m'interdisait d'approcher de la mère de ma fille», raconte-t-il, sans dire s'il s'était rendu coupable de violences conjugales.
Il travaille dans un call center de Tijuana pour «10 dollars la journée, ce que je gagnais en une heure côté américain». Son père étant malade, il n'exclut pas de faire bientôt appel aux «coyotes» pour tenter de lui rendre visite. Mais les voies légales pour retourner aux Etats-Unis demeurant très minces, beaucoup se font une raison. Expulsé en janvier après une bagarre de rue, Juan Angel Cruz, un Hondurien de 60 ans, a dit adieu à son rêve américain : «Je bosse comme agent de sécurité ici, ça va.» Il habite pour l'instant dans un foyer sur les hauteurs de Tijuana, avec une centaine d'hommes dans sa situation.
Rafael Contreras, lui, n'a commis aucune infraction, pas même un feu rouge brûlé. «J'allais à l'épicerie en bas de chez moi quand on m'a arrêté», se souvient-il. C'est la deuxième fois qu'il est expulsé. Il y a quelques années, il avait retraversé le Rio Grande à la nage. On ne l'y reprendra pas. «Quand on t'attrape, on te prend tout et on te chasse comme un animal. Cette vie est très stressante, tu dois toujours regarder derrière toi.
C'est fini.» Rafael s'interroge quand même sur la stratégie de Trump : «En Californie, où j'habitais, les champs sont vides parce que les immigrés se cachent. Mais les entreprises ont besoin de main-d'œuvre : aucun Américain ne voudra ramasser des fraises pour huit dollars de l'heure.»
A quelques pas de là, deux Indiens originaires de l'Etat du Kerala, Thejas et Prayan, ne sont pas dans le même état d'esprit. Ils racontent leur voyage en forme d'odyssée : avion pour l'Equateur puis la Colombie, le Panama, le Costa Rica, le Honduras, le Guatemala, et enfin le Mexique.
Mur ou pas mur, ils espèrent demander l'asile aux Etats-Unis. Les coups de menton de Trump les font même plutôt sourire. Partis d'Inde en 2016, ils disent avoir le temps devant eux.
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