Vous n'êtes pas identifié.
El Roslino
Imaginez-vous à bord du train le plus luxueux du monde, en route pour Istanbul. La nuit tombe. Vous commandez à manger. Quand le serveur, poli et parfaitement habillé, vous tend une assiette de raviolis en boîte. Décevant non ?
Un menu gargantuesque.
C'est sûrement pour cette raison que dès le premier départ, en 1883, les créateurs de L'Orient Express ont imaginé des festins à la hauteur de l'événement. La majeure partie des ingrédients étaient préparés sur place, dans le wagon-cuisine. «Un lieu exigu, aménagé comme une cabine de bateau (nombreux rangements et pas d'espace perdu)», note Guillaume Picon, l'auteur du livre Orient Express, de l'histoire à la légende. «Les menus étaient faits en fonction des mœurs de l'époque. Les plats étaient plus importants, il y avait des entremets, la cuisine était riche, abondante.» Et c'est vrai qu'à voir le programme du 8 avril 1907, difficile de lui donner tort.
Pour le déjeuner, chaque voyageur a eu droit à des œufs brouillés aux truffes, des côtelettes de veau accompagnées de pommes purée duchesse et un aspic de foie gras à la Lucullus. Pour les gros mangeurs, le chef avait également prévu une oie de Styrie rôtie, un parfait aux pralines, une glace à la crème et des fromages. Enfin, un café flanqué de son «grand dessert», attendait les vrais gourmands. En somme, un repas aussi copieux que luxueux.
Les mets du voyage.
Comme l'explique Guillaume Picon «les productions locales apparaissent dans les voitures-restaurants. Tel menu précise que du tokay, vin réputé pour sa finesse, est servi durant la traversée de la Hongrie. Tel autre plat, typiquement local, du dindon, en lieu et place de la cuisine française qui fait office de cuisine internationale». La traversée de l'Europe permettait donc d'exercer son palais à des goûts exotiques et originaux.
Le wagon restaurant pendant un dîner en 1884. Mary Evans/Sipa.
Par souci d'efficacité, une logistique impressionnante était prévue afin d'approvisionner les nombreux équipages, obligés de s'arrêter régulièrement «pour faire le plein d'eau et de charbon». Car oui, la Compagnie internationale des wagons-lits (CWIL), détentrice de l'Orient Express, avait développé une vraie armada.
En 1931, 2.400 voitures parcourent l'Europe, l'Afrique et l'Orient. A proximité de Paris, jusqu'à 200.000 bouteilles de Listrac (un vin de Bordeaux) étaient conservées dans les caves de Saint-Ouen. En 1948, «chaque jour dix tonnes de légumes, 800 kg de fruits», sont achetés et traités. «Dix tonnes de viande» toutes les semaines, ainsi que «75.000 cakes et pains de Gênes, quatre tonnes de saucisson, trois tonnes de jambon et trois tonnes de galantine», dévorés chaque mois.
Petite anecdote supplémentaire. A l'heure où les téléphones portables ne rythmaient pas nos vies, quand un produit manquait à bord, le chef cuisinier écrivait ce dont il avait besoin sur un morceau de papier. Le glissait dans une pomme de terre évidée qu'il lançait à une personne de la CIWL sur le quai. Il était ainsi certain d'avoir sa commande au prochain stop.
Et aujourd'hui ?
Le Venice Simplon-Orient-Express, digne héritier de l'Orient Express d'antan, ne roule plus au charbon. Pourtant, comme le montrait très bien un reportage de France 2 réalisé en 2015, l'équipage continue de faire des pauses, dans différentes villes, afin de permettre au chef cuisinier de récupérer les produits frais, nécessaires aux 200 dîners quotidiens. Et, rassurez-vous, aucun ravioli en conserve ne trouve place à bord.