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El Roslino
Selon l'Onu, le Mexique est le pays le plus dangereux d'Amérique latine pour les femmes. Si les féministes se mobilisent, Amnesty International démontre, dans un rapport du 20 septembre 2021, les failles des enquêtes dues à la négligence et l'inaction des autorités concernant les féminicides.
Les noms des victimes de féminicide ont été inscrits et des fleurs déposées pour protester contre les violences faites aux femmes, lors de la Journée internationale de la femme au Palais national, le 7 mars 2021, à Mexico. •
La double affaire a fait grand bruit et bouleversé le pays. Le 9 février 2020, Ingrid Escamilla, 25 ans, a été tuée par son compagnon Erik Francisco Robledo, poignardée dans le cou, démembrée, éviscérée, jetée dans un sac-poubelle.
L'homme a assassiné la jeune femme après une dispute au sujet de sa consommation d'alcool, chez eux. L'archevêque de Mexico, entre autres, a demandé aux autorités mexicaines de ne pas laisser ce crime impuni. L'assassin présumé a été arrêté et placé en détention.
Les meurtriers réduisent leurs proies à des ordures
Le 11 février, Fátima Cecilia Aldrighett, 7 ans, a été enlevée à la sortie de l'école. Ses parents étaient en retard de vingt minutes, et les enseignants l'ont laissée attendre seule dans la rue. Le 15 février, son corps sans vie a été retrouvé, dans un sac en plastique aussi, à cinq kilomètres de son école. Il portait des traces de viol et de torture. Peu après, un couple suspecté du rapt et de l'assassinat a été arrêté. Ces exemples sordides confortent la thèse de l'analyste féministe Rita Laura Segato, pour qui ces meurtriers « érotisent l'acte de tuer et réduisent leurs proies à des ordures ».
Chaque jour, dix femmes sont tuées au Mexique, souvent par leur partenaire ou leur ex-compagnon. En 2020, 3 723 femmes sont décédées de mort violente, 940 de ces cas ont fait l'objet d'une enquête en tant que féminicide. Il y a vingt ans, le phénomène, répétitif, cruel, avait été mis en lumière à Ciudad Juárez, dans le Chihuahua.
Dans 90 % des cas, un non-lieu est prononcé
Comme hier, la plupart du temps, l'impunité va de pair avec ces féminicides : 90 % des cas traduits en justice aboutissent à un non-lieu, selon les experts. Et même 94 % selon la Conavim, une commission nationale destinée à prévenir les violences contre les femmes.
Le 20 septembre, Amnesty International a publié un rapport intitulé « Juicio a la Justicia » (le procès de la justice), pour dénoncer les manquements, notamment dans l'État de Mexico. Selon ce document, « les enquêtes sur les féminicides précédés de disparition présentent de graves failles dues à la négligence des autorités. Des preuves sont perdues, toutes les pistes ne sont pas explorées, la dimension de genre n'est pas correctement appliquée ». « Il existe un système qui se répète, des failles graves et inquiétantes. Le Mexique ne remplit pas son obligation d'enquêter, il ne garantit pas l'intégrité des personnes et viole le droit à la Justice. Il porte une forte responsabilité », accuse Lola Schulmann, chargée de plaidoyer sur les droits des femmes à Amnesty.
Le président Obrador accuse les féministes d'« extrémistes nazies »
Dans la fédération mexicaine (127 millions d'habitants), des manifestations dénoncent désormais les violences faites aux femmes, leurs assassinats, et l'impunité. En février 2020, l'inscription « AMLO féminicide » est venue tacher la façade du Palais présidentiel. Des associations féministes, très actives, reprochent à Andrés Manuel López Obrador (désigné par son acronyme AMLO), le président du Mexique depuis 2018, son inaction. Lui accuse souvent les féministes d'être des « extrémistes nazies » !
Mais le rapport d'Amnesty confirme l'impunité. Il s'appuie sur quatre cas emblématiques, qui montrent que des Mexicaines, victimes de violences conjugales répétées, ont été tuées malgré des alertes auprès de la police. Dans ces faits divers là, les défaillances en matière de prévention et d'enquête sont criantes. Les experts, souvent mal formés, sont sans ressources, au point de devoir payer parfois de leur poche le matériel nécessaire !
« En cas de mort violente, la législation mexicaine impose de constater si un viol a aussi été commis. Les enquêteurs doivent détecter d'éventuelles lésions vaginales, et ne pas traiter ces cas comme des suicides, ainsi qu'ils le font », complète Lola Schulmann.
Les familles mènent l'enquête
Face à l'inertie des autorités, les familles mènent leur propre enquête. Car, lors d'une disparition, la police prétend qu'il faut attendre 72 heures avant que leur plainte soit recevable ! « Quand elles cherchent la vérité, elles sont harcelées, menacées par les autorités. C'est ce que nous appelons la re-victimisation. Le parquet général est responsable de cette situation », tranche la responsable d'Amnesty.
D'où la campagne menée par l'ONG : « Hasta ser escuchadas » : jusqu'à être écoutées. « Les insuffisances constatées font partie d'un problème plus vaste qui touche tout le pays », estime Edith Olivares Ferreto, directrice d'Amnesty international Mexique. Selon elle, le pays échoue à appliquer les traités internationaux signés. Et les décisions de la Cour interaméricaine des droits de l'homme « qui établissent un ensemble de normes et de principes visant à garantir les droits des femmes ».
La société civile se mobilise
Dès lors, la société civile est sur la brèche. Des activistes interpellent le gouvernement. Le mouvement « el Bloque negro », qualifié de féministe radical, écrit les noms des victimes sur les bâtiments publics. Des citoyennes se forment à l'autodéfense et se mettent en grève. La maire de Mexico, Claudia Sheinbaum, s'attache à donner plus de visibilité au fléau. Au cœur de la capitale, une sculpture représentant une croix en métal rose, ornée d'un poing levé, symbolise l'hécatombe meurtrière. Des sociologues stigmatisent « un contexte de permissivité sociale et d'impunité ».
L'écrivaine Fernanda Melchor consacre ses romans aux violences contre les femmes, surgies d'un désir de domination machiste. Bientôt, son roman Páradais, qui traite d'un féminicide, sera publié en France chez Grasset. Le précédent, la Saison des ouragans, était déjà consacré au fléau. Elle fait partie de celles qui dénoncent ces violences, et le ton patriarcal et condescendant d'AMLO sur le sujet. Pire, lors des élections législatives du 6 juin 2021, le président du parti de gauche (Morena) a soutenu un gouverneur, Félix Salgado Macedonio, accusé de viols sur plusieurs femmes. Un scrutin à l'issue duquel le président a conservé d'un cheveu la majorité à la Chambre des députés.
Journaliste, Frida Guerrera (un pseudonyme inspiré de la peintre Frida Kahlo et du mot « guerrière »), elle-même autrefois violentée, se consacre aux féminicides. Elle rend visite aux familles endeuillées, les écoute. « Depuis trente ans nous crions : « On nous assassine, et personne ne nous écoute », proteste Frida, 51 ans, victime de menaces de mort.
Le Mexique détient un triste record
Le matin du 14 février 2020, jour de la Saint-Valentin, elle a apostrophé le président de la république lors de sa conférence de presse matinale quotidienne, l'accusant de ne pas agir. « Il existe un parquet spécialisé dans les enlèvements. Pourquoi ne pas créer un parquet consacré exclusivement aux féminicides ? », lui a-t-elle demandé. Réponse : « Nous sommes contre le féminicide. Nous avons toujours agi pour préserver la paix et la tranquillité ». Les associations dénoncent pourtant une régression. Sous son mandat, des subventions ont été réduites.
Selon les Nations unies, le Mexique est le pays le plus dangereux d'Amérique latine pour les femmes. Il y détient maintenant le triste record du nombre de féminicides dans la région. Pourtant, en 2007, alors pionnier, le Mexique avait inscrit la violence sexiste et le féminicide dans son Code pénal. Edith Olivares Ferreto conclut : « La violence à l'égard des femmes doit constituer un sujet hautement prioritaire pour le gouvernement fédéral et les autorités locales ».
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