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El Roslino
Mais quelle idée de faire un film Super Mario. Parmi toutes les licences de l'histoire du jeu vidéo, il y a tellement de projets aux ambitions cinématographiques que, malgré la popularité légendaire du plombier en salopette, on n'aurait pas parié sur le fait qu'un jour, il y aurait une volonté quelconque de faire un film d'animation à énorme budget, avec Chris Pratt, Anya Taylor-Joy et Jack Black aux voix pour la version originale, et avec les studios Illumination (Moi, moche et méchant, Les Minions) à la baguette.
Ce qui a déclenché cette soudaine et magique volonté ? La thunasse, les ami·es. Le « petit artisan de Kyoto » est un monstre multinational avare de pognon qui trace sa route au bulldozer, méprisant les projets pour les fans et harcelant les créateurs·rices de fangames en menaçant de procès tout ce qui bouge. Le cinéma d'animation étant un milieu particulièrement rentable de nos jours, ça aurait été dommage de louper le coche.
Pourtant le défi narratif semble fou : on parle tout de même d'un jeu dont tout le sel réside dans le gameplay et dont le premier scénario était « sauveras-tu la princesse Peach ? » et le dernier « sauveras-tu la princesse Peach ? ». Mario, c'est avant tout une véritable licence vidéoludique, avec une qualité inégalée de feedbacks et de progrès historiques, que ce soit dans le passage à la 3D ou dans la gestion des temps de jeu pour console portable. Bref, un univers a priori difficilement transposable en séries ou en films (et on en veut pour preuve l'adaptation de 1993).
Pour la musique, c'est un peu la même chose. Puisque le film se devra d'être narratif, et qu'on est sur un projet très grand public, impossible d'imaginer autre chose que des formats au moins inspirés de compositions dites « narratives », et notamment la symphonie orchestrale.
Mais les musiques de Mario n'ont jamais été pensées dans cette perspective : dans les jeux, on a des niveaux, relativement rapides, dans lesquels on peut perdre fréquemment, et dans lesquels, surtout, on ne compte pas sur une évolution environnementale particulière (contrairement aux phases d'un Cuphead par exemple, permettant une évolution thématique un peu plus assurée).
Et pourtant, ces thèmes courts, répétitifs, et particulièrement intriqués dans leur relation aux machines 8-bit et 16-bit dans lesquelles ils ont été conçus, il va bien falloir qu'on les retrouve, puisque si la musique des jeux Mario n'est pas cinématographique, elle n'en est pas moins iconique.
Pour gérer le projet donc, Nintendo et Illumination ont misé sur un cheval solide : Brian Tyler, compositeur pour le cinéma, et qui crée de la bande originale à la pelle depuis les années 1990 - le garçon a déjà neuf projets au compteur depuis 2020.
Il a fait du Scream, du Marvel, du James Wong, du Expendables, mais aussi les musiques d'un épisode de Need For Speed et d'Assassin's Creed, et donc saura plus que quiconque permettre ce passage osé du jeu de plateformes au cinéma narratif.
Et clairement, Brian Tyler sait orchestrer des thèmes, mettre de l'intention, tout donner pour soutenir un film qui ose parfois le dramatique et toujours l'épique. C'est le cas par exemple sur la fin du film avec le thème «Tactical Tanooki », qui donne son relief au ton aventureux-espiègle voulu par Nintendo et Illumination.
Ce que Brian Tyler a surtout très bien fait, c'est respecter la commande évidente de « t'as intérêt à nous foutre des références aux musiques des jeux toutes les dix secondes ». Impossible de tout citer, mais c'est assez intéressant, avec ou sans l'image, d'analyser la façon dont il tente d'orchestrer des thèmes légers dans des harmonisations plus dramatiques, par exemple lors de la séquence en kart avec « Rainbow Road Rage », ou dans le passage reprenant la « warp zone » du premier Super Mario de 1985, « The Warp Pipe ».
On valide également la bonne compréhension des origines des musiques de Koji Kondo, notamment dans l'omniprésence du jazz dans la bande originale, mettant clairement en lumière la façon dont les premières compositions de Nintendo étaient inspirées par des gens comme Ryo Fukui.
Et clairement aussi, ce que Brian Tyler n'a pas fait (mais ce n'était probablement pas dans la commande), c'est donner un peu d'originalité à une bande originale qui, au vu de son histoire, aurait clairement pu en avoir. Avant Super Mario Galaxy, les musiques de Mario ont souvent tablé sur des instruments plus faciles à modéliser dans les puces sonores des années 1990, avec du banjo, du piano droit, du glockenspiel ou de la guitare.
Un aspect acoustique et presque « musique de chambre » complètement perdu dans le film, qui n'a pris aucun risque à ce niveau. C'est également le cas pour les morceaux non-originaux utilisés : dans les dix premières minutes, on s'enchaîne « No Stop Till Brooklyn » des Beastie Boys et Carmen de Bizet, dans une tentative désespérée d'avoir son effet Stranger Things avec Kate Bush ou The Last Of Us avec Depeche Mode.
Considérations purement économiques mises à part, Nintendo et Illumination ont rendu un bel hommage à un univers très important pour des générations entières, et le film est clairement au-dessus de nos attentes ; pour la musique par contre, derrière un travail hyper efficace de Brian Tyler et une checklist du fan service bien remplie, c'est une occasion manquée de rendre justice à la spécificité de la composition vidéoludique et un vrai manque de compréhension de l'importance du grain sonore limité par la technique des premiers hardwares.