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El Roslino
Marine Le Pen présidente du groupe Rassemblement national à l'Assemblée nationale, à Ollioules, près de Toulon, dans le sud-est de la France, le 6 octobre 2023
VRAI OU FAUX. Le Parlement européen a-t-il adopté un rapport qui "dépouille les Nations de leur souveraineté", comme l'affirme Marine Le Pen ?
Un projet de révision des traités européens a été approuvé par les députés européens mercredi 22 novembre. Marine Le Pen du Rassemblement national estime qu'il menace la souveraineté des États membres en augmentant les compétences de l'Union européenne.
C'est une décision qui est passée un peu inaperçue ces derniers jours, compte tenu de l'intensité de l'actualité. Adoptée par le Parlement européen mercredi 22 novembre, le même jour que le rejet d'un texte pour réduire l'usage des pesticides, que l'adoption d'un traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et qu'un vote pour sauver les boîtes de camembert qui auront finalement le droit de rester en bois.
Le Parlement européen a approuvé un rapport visant à réviser les traités européens et a adopté la résolution qui l'accompagnait. Rapport dénoncé par la cheffe de file du Rassemblement national Marine Le Pen sur France Inter, jeudi 23 novembre. Selon elle, ce rapport "dépouille en réalité les Nations de l'intégralité quasiment de leur souveraineté. Il transformerait Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, en présidente de l'Union européenne. Les commissaires ne seraient plus choisis par les États mais par ce soi-disant président. Il s'attribue les pouvoirs en matière de santé, en matière de fiscalité, en matière d'immigration et j'en passe. C'est évidemment inadmissible". Vrai ou faux ?
https://twitter.com/franceinter/status/ … 879456070?
Volonté d'élargir les compétences de l'Union européenne
Il y a du vrai et de l'interprétation dans ce que dit Marine Le Pen. Il est vrai que le projet prévoit d'amender le traité de l'Union européenne pour remplacer à trois endroits l'expression "le président de la Commission européenne" par "le président de l'Union européenne". Il est vrai aussi que le texte veut inverser le processus de nomination des commissaires européens, actuellement nommés par le Conseil européen où siègent les chefs des États membres, pour qu'ils soient nommés par le président de la Commission européenne.
Il est vrai également que le projet souhaite l'élargissement des compétences de l'Union européenne dans certains domaines. Néanmoins, mis à part l'environnement, la biodiversité et les négociations sur le changement climatique pour lesquels le rapport propose de conférer une "compétence exclusive" à l'UE, les autres élargissements de compétences ne sont pas présentés comme une attribution de ces compétences, mais comme un partage avec les États membres.
Le rapport "suggère d'établir des compétences partagées sur les questions de santé publique ainsi que de protection et d'amélioration de la santé humaine, en particulier en ce qui concerne les menaces transfrontières pour la santé, la protection civile, l'industrie et l'éducation, surtout lorsqu'il s'agit de questions transfrontières telles que la reconnaissance mutuelle des diplômes, des grades, des compétences et des qualifications".
De même, il "propose de développer davantage les compétences partagées de l'Union dans les domaines de l'énergie, des affaires étrangères, de la sécurité extérieure et de la défense, de la politique aux frontières extérieures dans l'espace de liberté, de sécurité et de justice, et des infrastructures transfrontalières".
Les souverainistes et l'extrême droite européenne inquiets
Est-ce que cela dépouillerait les Nations de leur souveraineté pour autant ? C'est une question d'interprétation et de positionnement politique. Pour les souverainistes et les partis d'extrême droite, chaque renforcement des pouvoirs de l'Union européenne est par définition une atteinte à la souveraineté des États membres.
L'inquiétude de Marine Le Pen est d'ailleurs partagée par Antonio Maria Rinaldi, député européen de la Lega, extrême droite italienne, par Carlo Fidanza, élu du parti post-fasciste Fratelli d'Italia, par le Polonais Ryszard Antoni Legutko du parti nationaliste PiS.
Au-delà des points que la députée française a cités, ils voient aussi d'un mauvais œil la volonté d'abandonner les votes à l'unanimité au sein du Conseil européen pour prendre plus de décision avec une majorité qualifiée, c'est-à-dire avec le soutien d'au moins 15 des 27 États membres à condition qu'ils représentent au moins 65% de la population de l'UE. Cela permettrait de court-circuiter les oppositions au moment de prendre des décisions. Par exemple, cela aurait pu permettre de débloquer des fonds pour l'Ukraine depuis le début de sa guerre avec la Russie, alors que la Hongrie de Victor Orban s'y opposait.
Une Union européenne "plus forte", pour ceux qui veulent réviser les traités
Au contraire, pour ceux qui sont favorables au texte, qui ont une vision plus intégrationniste de l'Europe, la levée des blocages peut être une bonne nouvelle pour une Europe plus réactive, plus coordonnée. À leurs yeux, trois ans après le début de la pandémie de Covid-19, avoir une politique de santé commune peut avoir du sens, par exemple.
Pour eux, il s'agit aussi de mieux refléter les préférences politiques des citoyens européens. Le projet propose de créer un référendum européen et de renforcer les instruments de participation des citoyens au processus décisionnel européen. Le fait de changer le processus de nomination du président de la Commission européenne pour qu'il soit nommé par le Parlement européen et non par le Conseil européen permettrait de nommer quelqu'un qui reflèterait mieux les résultats des élections européennes. Ce président de la Commission européenne qui représenterait mieux les préférences politiques des Européens choisiraient à son tour les commissaires.
"Les modifications apportées aux traités rendront la démocratie européenne plus forte et plus résiliente", assure Daniel Freund, eurodéputé allemand écologiste, qui fait partie des cinq co-rapporteurs, "les vetos nationaux représentent un risque pour la sécurité de l'Europe. Nous devons y mettre fin". "L'UE doit se concentrer davantage, être capable d'agir davantage et devenir plus responsable sur le plan démocratique", renchérit le co-rapporteur Sven Simon, eurodéputé démocrate-chrétien allemand. "Nous voulons que les voix des électeurs désignent qui devient Président de la Commission et décident de son programme. Nos propositions de réformes créent une Union de la défense grâce à des marchés publics conjoints, promeuvent l'indépendance énergétique européenne et renforcent l'État de droit."
Encore un long parcours avant une éventuelle réforme des traités européens
Le rapport a été approuvé par 305 voix pour, 276 voix contre et 29 abstentions. La résolution qui l'accompagnait a été votée par 291 voix pour, 274 contre et 44 abstentions. Une courte majorité.
Le texte fait l'unanimité dans le groupe centriste Renew, dans lequel sont représentés les partis de la majorité présidentielle française (Renaissance, MoDem, Horizons, etc), à l'extrême gauche et chez les écologistes. Il est rejeté d'un bloc par la droite nationaliste et l'extrême droite. En revanche, il divise les socialistes et la droite conservatrice.
Donald Tusk, ancien président du Conseil européen et candidat proposé au poste de Premier ministre par les forces pro-européennes en Pologne, y est opposé. L'Europe "a besoin d'être améliorée dans de nombreux domaines, mais la manière la plus insensée serait d'adopter cet enthousiasme très naïf pour l'intégration", a estimé l'ancien leader de la droite conservatrice européenne.
Mais en l'état ce rapport n'a rien de contraignant. Il reste de nombreuses étapes avant une éventuelle réforme des traités européens. La demande de révision va être transmise au Conseil de l'Union européenne, puis au Conseil européen qui devra convoquer une Convention puis une Conférence des représentants des gouvernements des États membres. Les représentants des 27 pays européens devront donc tous valider puis ratifier la révision des traités européens et ce n'est pas certain que des États dirigés par des souverainistes acceptent d'augmenter les compétences de l'Union européenne. Il arrive que seulement deux tiers des pays ratifient les révisions, dans ce cas il est possible queles amendements ne s'appliquent pas au tiers restant.
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