Vous n'êtes pas identifié.
El Roslino
Il y a quelques jours, le fisc français se félicitait encore des excellents chiffres obtenus par ses services de recouvrement et de redressement. Plus de 21 milliards récupérés, soit 2 milliards de plus que l'an dernier, une performance qui dit s'appuyer notamment sur le renforcement de la lutte contre la fraude à la TVA et le travail dissimulé.
Dans le même temps, l'État (qui s'en défend !) n'en est pas moins en train de préparer doucement, mais surement, notre société à l'abandon progressif du cash. Avec le concours particulièrement actif des banques, cela va sans dire.
Les banques n'aiment pas le cash
En effet, les banques (à commencer par les Banques centrales) ne rêvent que d'une chose : pouvoir définitivement oublier ces bouts de papier et de métal si coûteux à fabriquer qui encombrent nos poches autant que leurs coffres. Plus de billets, plus de pièces, plus de transactions en direct entre les individus. Une économie qui serait exclusivement basée sur de la monnaie électronique serait forcément bien plus simple à gérer, et on n'aurait plus besoin de tenir compte de cette finance dite “réelle” (qui concerne les citoyens au quotidien) dont on dit qu'elle ne représente plus aujourd'hui que 3% de toutes les richesses qui circulent.
La tentation de l'État
L'État aussi y verrait un formidable intérêt, en ce sens qu'il n'aurait qu'à bouger un curseur sur un écran, appuyer sur un touche et faire varier à sa guise le niveau de nos économies à la banque pour mieux renflouer les siennes. J'en vois déjà qui s'agitent devant leur écran : “Ridicule ! Aucun État ne pourrait se permettre de jouer ainsi avec l'argent de ses administrés !”.
Sauf qu'un tel programme informatique existe déjà à Bercy, et qu'il sert parfois à “récupérer” des sommes dont le détenteur impécunieux n'aura pas eu la présence d'esprit de sortir du giron bancaire. Imaginons une crise majeure, un évènement d'une gravité extrême ou encore la venue au pouvoir de gens encore moins scrupuleux que ceux qui se sont déjà essuyé les fesses sur les sièges dorés de nos institutions. La tentation pourrait alors devenir grande d'user (et d'abuser !) de ce nouveau pouvoir technologique auquel plus personne ne pourrait se soustraire par manque d'alternative. Et piocher dans les économies des Français n'aura jamais été aussi simple.
L'utopie du no-cash
Or, c'est précisément là que s'arrête la logique qui sous-tend l'intérêt d'une économie sans cash. Fiscalement tout d'abord. En faisant disparaître les moyens de paiement directs entre individus, on les prive, c'est vrai, de la possibilité d'organiser une économie parallèle, d'interagir “discrètement” au détriment du Trésor Public. Mais justement, le manque à gagner que déplore actuellement le fisc (qui n'est rien d'autre qu'un “manque à taxer”) n'existe que parce qu'il y a précisément du cash en circulation. Le jour où il n'y aura plus de cash, cette économie souterraine qu'il imagine monumentale (et qui n'est en réalité que très marginale) cessera quasiment d'exister. Plus de ventes sans TVA, plus de travail payé “au noir”, plus de négociations sous le manteau... Le fisc ne récupèrera rien de ce qu'il aurait espéré. Quant au vulgum pecus, il trouvera toujours le moyen de contourner la difficulté en faisant muter ses échanges interpersonnels vers le troc par exemple. Ou en utilisant une autre forme de contrepartie totalement débancarisée comme l'or ou l'argent.
Les banques risquent de se marginaliser
Restent les banques, qui ont finalement dépossédé les États de leur souveraineté monétaire. Elles risquent surtout de se marginaliser avec la disparition du cash. Certes, il n'y aura peut-être plus de billets en circulation et la plupart des transactions courantes n'auront plus guère d'alternative que le transfert numérique interbancaire, que ce soit par le biais de virements automatiques, de règlements par carte ou encore de micropaiements électroniques (mobiles, puces RFID, etc.).
Mais qui peut croire que les gens ne chercheront pas de nouveaux moyens de s'affranchir de cette nouvelle restriction de leurs libertés ? Comment imaginer que tout le monde acceptera sans sourciller qu'on lui fasse les poches à chaque instant de sa vie ? À trop contraindre, on risque surtout d'amener davantage d'individus à choisir des voies détournées pour conserver un minimum d'autonomie, de liberté et de sécurité.
On le disait plus haut, l'or et les métaux précieux ont toujours eu cette valeur de monnaie d'échange, indépendamment de toute institution, qu'elle soit politique ou financière. La fin du cash pourrait donc bien sonner l'explosion de la débancarisation des individus. Et si certains doutent encore d'une telle possibilité au XXIe siècle, il leur suffit de voir comment certaines monnaies complémentaires se sont développées à travers le monde (on en compte plus de 5 000 actuellement), totalement déconnectées du système bancaire, et qui pourtant ont permis à des régions entières de renouer avec la prospérité dans le plus grand respect des libertés individuelles. Aujourd'hui, ces monnaies sont pour la plupart adossées à des devises officielles, mais rien n'interdit d'imaginer qu'elles changent un jour de base de référence...
Contrairement à ce que souhaitent les autorités, le cash (c'est à dire la monnaie d'échange à vocation socio-économique entre individus) ne disparaîtra jamais. Sa forme pourra changer, et il pourrait bien ne plus dépendre des institutions officielles, mais il perdurera. En revanche, à trop jouer avec la liberté des gens, ceux-ci risquent bien de se détourner des devises officielles qui, comme les Dieux auxquels on ne croit plus, finiront tout simplement par mourir.