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El Roslino
Le 13 novembre, un an après : «Ceux qui étaient dans l'immeuble ce soir-là ne seront plus jamais les mêmes»
Onze mètres séparent l'immeuble de Paula à la salle du Bataclan.
« Le 13 au matin, j'avais acheté des fleurs pour les disposer dans la cour de l'immeuble. J'avais choisi des fleurs violettes. Je ne sais pas pourquoi j'ai choisi cette couleur. Au Portugal, le violet c'est pour le deuil... Je n'ai pas pu les enlever, le pot est encore là ». Paula* a cinquante ans. Depuis deux ans, elle est la gardienne d'un bel immeuble en pierres de taille situé boulevard Voltaire dans le 11e arrondissement de Paris. Onze mètres séparent les appartements de l'entrée de la salle du Bataclan. Cette nuit-là, à l'intérieur de cet édifice de sept étages, des dizaines de locataires ont assisté, impuissants, au drame qui se jouait de l'autre côté du trottoir.
Ce soir du 13 novembre, Paula, arrivée en 2011 du Portugal dans l'espoir de trouver un travail, oublie de rentrer l'une des poubelles de la copropriété. « J'ai demandé à mon mari d'y aller, je faisais la vaisselle quand j'ai entendu un énorme bruit. Il était 21h40. Je suis sortie de ma loge pour aller dans le hall, j'ai vu mon époux entrer en courant, il me disait 'Rentre ! Rentre vite ! Ils tuent des gens au Bataclan' ». Puis c'est le silence avant la reprise des tirs, à l'intérieur de la salle. Les 34 mètres carrés de sa loge accentuent l'angoisse de Paula. « Une porte de ma maison donne directement sur le passage Saint-Pierre-Amelot, en face des sorties de secours du Bataclan, explique la gardienne, j'étais persuadée que les terroristes finiraient par entrer et par nous tuer ».
Rejoint par une voisine du 1er étage et son fils de 11 ans, paniqués à l'idée qu'une balle traverse les fenêtres de l'appartement, le couple tente, tant bien que mal, de répondre aux sollicitations de la police qui souhaite inspecter les lieux, sort à plusieurs reprises, aperçoit les corps sous les draps, le sang sur la chaussée, les chaussures oubliées, les vêtements éparpillés. La notion du temps se perd, la peur ne quitte plus la concierge : « Lorsque l'assaut a été donné, les murs ont vibré, la télévision a vacillé. Je n'arrivais plus à m'arrêter de trembler, j'ai tellement serré les mâchoires que je me suis cassé une dent ». Un an après l'attentat qui a causé la mort de 130 personnes à Saint-Denis et Paris, Paula mesure désormais l'impact de cette soirée sur sa vie.
Partir ou rester ?
Pendant trois mois, impossible de sortir le soir. La loge devient cocon, les sirènes semblent résonner partout, tout le temps. « A côté du lit, sur la mezzanine, j'entrepose une caisse avec des draps à repasser. Je ne pouvais plus les voir, je faisais des cauchemars, je pensais aux gens que j'avais vu allongés dans la rue », confie Paula. Le métro est devenu pénible, les balades le soir aux abords de la mairie du 11e ont perdu de leur légèreté. Les souvenirs, eux, se font plus aigus, prennent une autre dimension : « Une heure avant l'attaque, j'avais une discussion avec mon neveu, on parlait du destin. Moi, je crois que tout est écrit à l'avance, lui n'était pas d'accord. Aujourd'hui, je me dis que si mon mari était sorti 30 secondes avant pour récupérer la poubelle, il se serait retrouvé nez à nez avec les terroristes. Ils l'auraient tué. Depuis, je repense souvent à cette discussion, ça a renforcé ma conviction ».
Microcosme cabossé par l'événement, l'immeuble change, les liens entre voisins aussi. Dès le lendemain de l'attaque, après une nuit blanche, la loge devient le lieu où chacun se retrouve, se rassemble. Un petit groupe de six locataires décide de se rendre à la cellule de soutien psychologique mis en place par la mairie de l'arrondissement. Depuis un an pourtant, quatre locataires dont deux familles ont choisi de quitter l'immeuble. « Même s'ils ne m'ont pas tous expliqué pourquoi ils partaient, je crois que c'est en partie à cause de ce qu'il s'est passé, estime Paula, ceux qui étaient là cette nuit ne seront plus jamais les mêmes ». De son côté, l'éventualité d'un retour au Portugal ne s'est pas posée : « La nuit du 13, si on m'avait demandé et si j'avais pu, je serais immédiatement rentrée. Mais maintenant... Si je rentrais, qu'est-ce que je pourrais faire ? Encore des ménages ? Ce que j'ai ici, c'est un rêve pour moi ».
L'immeuble de Paula fait l'objet d'une étude menée par Antoine Lefébure, historien des médias, en partenariat avec l'Institut d'histoire du temps présent, laboratoire qui associe des chercheurs du CNRS et des enseignants de l'université Paris 8. L'intégralité des témoignages filmés sera disponible à partir du 13/11.
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