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El Roslino
600 000 euros de salaire en huit ans, c'est la Une explosive du Canard enchaîné mercredi 25 janvier. La femme de François Fillon est accusée d'avoir profité d'emplois fictifs, dernier épisode d'une succession de scandales sur un système de rémunération particulièrement opaque à la tête du pouvoir législatif en France.
Les révélations du Canard enchaîné font l'effet d'un coup de tonnerre, on ne parle que de ça et pour cause: 500 000 euros bruts touchés par Pénélope Fillon en tant que « collaborateur parlementaire » de son mari et de son suppléant pendant plus de 10 ans, une somme à laquelle s'ajoute 100 000 euros comme « conseiller littéraire » dans une prestigieuse revue appartenant à un ami de son mari. Dans les deux cas, les témoins peuvent attester de son assiduité au travail semble faire défaut. Total: 600 000 euros, obtenus grâce à ce qui semble bien être des emplois fictifs.
Comme à l'accoutumée, le dossier du Canard est particulièrement bien documenté. L'hebdomadaire satirique retrace méthodiquement les 19 dernières années du parcours professionnel de Pénélope Fillon, alias « Penny ». En partant de ses débuts, comme « collaborateur de député » de son mari, entre 1998 et 2002, ce qui n'est en soi pas un crime, les révélations deviennent accablantes à partir de juillet 2002, lorsque François Fillon part pour le ministère des Affaires sociales et du Travail et que Marc Joulaud, son suppléant, reprend, sur sa propre enveloppe parlementaire, madame Fillon en tant que collaboratrice. D'abord rémunérée 6 900 euros brut, elle ira jusqu'à toucher 7 900 euros brut selon le journal, le tout durant les cinq années (plus précisément, jusqu'au 31 août 2007), qui précèdent le départ pour Matignon des époux Fillon.
Une révélation gênante à plusieurs égards: si embaucher un proche comme collaborateur est une habitude, tant au Palais Bourbon qu'au Palais du Luxembourg, Marc Joulaud a deux autres collaborateurs qui eux « apparaissent dans les biographies et les trombinoscopes de l'Assemblée » et qui se retrouvent par conséquent en mal de deniers. D'autant plus gênant, que l'un d'eux, interrogé par le Le Canard enchaîné, n'a tout simplement aucun souvenir de Pénélope Fillon.
En juin 2012, à l'occasion de l'élection de François Fillon comme député de Paris, elle redevient collaboratrice de son mari à l'Assemblée. Ce qui gêne « Le Canard », ce n'est pas vraiment qu'elle retravaille pour son mari, mais plutôt qu'à ce moment précis, Pénélope Fillon occupe également - et ce depuis mai 2012 et la défaite aux présidentielles - le poste de « conseiller littéraire » à « La Revue des deux mondes », propriété de Marc Ladreit de Lacharrière, un ami de François Fillon, qui fut d'ailleurs élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d'honneur en 2010, par l'ex-Premier ministre.
Un passage dans l'édition qui s'avère tout aussi discret que dans les coulisses de l'Assemblée. Interrogé par « Le Canard », l'ancien directeur de « La Revue des deux mondes », qui était alors quasiment autant rémunéré par son employeur que Mme Fillon, est catégorique: pour lui, Pénélope à « bien signé deux ou peut être trois notes de lecture [...], mais à aucun moment [...] je n'ai eu la moindre trace de ce qui pourrait ressembler à un travail de conseiller littéraire. » Faisant ainsi référence à deux notes, signées sous le pseudonyme « Pauline Camille », publiées dans la revue respectivement en septembre et octobre 2012. Bilan dressé par « Le Canard » de ces 20 mois de travail: deux notes de lecture, de moins d'une page chacune, et 100 000 euros brut. De quoi faire pâlir n'importe quel critique littéraire.
Pour le politologue Guillaume Bernard, si les faits étaient avérés, la pilule pourrait mal passer, notamment auprès de l'électorat populaire, particulièrement affecté par « la paupérisation et les difficultés économiques », qui plus est de la part d'un candidat qui appelle les Français « à faire des efforts ». Un électorat populaire dont il est d'ailleurs beaucoup question depuis que François Fillon a remporté la primaire de la droite et du centre.
« S'il s'agit effectivement d'emplois fictifs, évidemment cela donnerait évidemment une mauvaise image, cela porterait atteinte à l'intégrité de l'homme politique et cela entrerait en contradiction avec le discours qu'il tient sur la nécessité que les rémunérations soient en rapport avec la réalité du travail. »
Des révélations particulièrement choquantes si elles étaient avérées, mais peut-on dire qu'elles soient si surprenantes? En effet, cela n'est pas la première fois qu'un député est mis au pilori pour avoir fait profiter ses proches des largesses du contribuable. En 2014, le Figaro soulignait notamment que 20 % des députés embauchaient un membre de leur famille. Plus précisément, les 577 députés, l'Assemblée nationale avait, cette année-là, rémunéré 52 épouses, 28 fils et 32 filles d'élus. Et il s'agit là des déclarés, car, comme le souligne l'union syndicale des parlementaires, il n'existe aucun chiffre officiel.
Comme le rappelait, pas plus tard que ce matin, Christophe Barbier sur BFMTV, « La loi, la règle, a été faite par les députés, pour les députés, pour qu'ils n'aient pas de compte à rendre sur l'activité précise de ceux qu'ils embauchent. »
Un système flou et qui profite aux édiles de tous bords politiques, à commencer par le Président de l'Assemblée nationale lui-même, Claude Bartolone. Il fut lui aussi sommé de se justifier à plusieurs reprises sur l'emploi de sa femme comme collaboratrice, ce à quoi il répondait qu'il avait « épousé sa collaboratrice plutôt qu'embauché sa femme ». Claude Bartolone, qui est par ailleurs dans le collimateur de la justice, dans le cadre d'un emploi fictif au Conseil général de Seine-Saint-Denis. En septembre 2015, le parquet de Bobigny a lancé une enquête préliminaire.
Pour en revenir aux petits arrangements familiaux, en 2013, Mediapart révélait que Bruno Le Maire, faisait travailler son épouse, Pauline, comme « artiste-peintre ». Pour Guillaume Bernard, malgré les critiques que l'on peut adresser à ce phénomène de promotion « pas forcément méritocratique », plus lié aux relations, le plus important demeure de savoir si le travail est accompli ou non.
« Franchement, que l'on utilise un proche et en l'occurrence un époux ou une épouse, pour organiser la vie quotidienne et la vie publique d'un homme politique, ce n'est pas malsain en soi [...] En revanche, toute la question c'est de savoir si le travail est réellement fait ou s'il s'agit d'un emploi fictif... S'il s'agit d'un emploi fictif, on se rend bien compte qu'il y a là une utilisation des deniers publics à des fins personnelles et c'est extrêmement choquant! »
Femmes... et enfants, frères ou cousins, sont donc régulièrement embauchés par les députés et notamment pour des CDD ponctuels. Certains députés justifient la pratique, à l'exemple de Michel Lesage (PS), qui a embauché son fils en CDD. Il déclarera à Mediapart qu'il « ne s'agit pas d'avantager sa famille. Mais il n'y a pas de raison non plus de la pénaliser quand elle a les compétences. » Pour sa part, la députée PS Estelle Grelier fait valoir le « DESS et le diplôme de Sciences Po Grenoble » de sa cousine « bilingue » et l'élu UDI Meyer Habib met en avant « la mention au bac » de son fils pour justifier un CDD à temps partiel.
Autre axe de défense pour le député UMP Franck Gilard, le « deux poids, deux mesures » en défaveur des politiques: « Si l'on nous l'interdit, alors il faut l'interdire dans les boîtes privées! »
Le sociologue rappelle que la rémunération d'un député s'élève à près de 12 000 € par mois, à laquelle s'ajoute cette fameuse enveloppe pour payer les assistants parlementaires.
« Si en plus, ces assistants parlementaires sont des conjoints, des enfants, des maîtresses ou des amants et qu'ils ne font pas réellement le travail, il est bien évident que là l'opinion publique pourrait encore plus considérer qu'il y a un décalage, une distorsion, entre la classe politique et le pays réel et cela serait un élément de plus qui contribuerait à augmenter les récriminations contre une classe politique considérée comme corrompue, » souligne Guillaume Bernard.
Et ce d'autant plus que la litanie des affaires qui touche le parlement ne s'arrête pas là. On mentionnera l'affaire sortie il y a près d'un an de 80 hauts responsables parlementaires - présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais aussi questeurs, présidents de commission ou de groupes parlementaires - qui toucheraient une rémunération supplémentaire sans aucun fondement légal.
« L'indemnité parlementaire est complétée par une indemnité dite indemnité de fonction » précisait au Point Hervé Lebreton, Président de l'Association Pour Une Démocratie Directe en avril dernier. L'association avait alors adressé une lettre aux présidents des deux chambres pour leur demander d'arrêter le versement aux députés et sénateur de « prime de fonction », qui s'ajoutent aux indemnités parlementaires. Une coquette somme d'un million d'euros mensuels aux seuls sénateurs, auxquels s'ajoutent 560 000 euros aux députés. Sans même parler des indemnités de résidence et de frais de mandat, sur le versement desquelles le Parlement ne communique pas.
Bref, le système de rémunération parlementaire est particulièrement permissif, voire incitatif... de là à franchir la ligne rouge de l'emploi fictif, il y a un pas que tout responsable politique, particulièrement quand il se voit un destin national, aurait mieux fait de ne pas franchir.
Peut-être Fillon se rassure-t-il en examinant les précédents. À long terme, l'importance de ce type de condamnations pour le destin des coupables est toute relative. Jacques Chirac sera élu président avec une condamnation à deux ans avec sursis pour ce type de délit. Si l'affaire des emplois fictifs du RPR valut à Juppé une traversée du désert, il a failli réussir son come-back. Jean Christophe Cambadélis, quant à lui, s'est fait prendre à deux reprises la main dans le sac de l'emploi fictif, respectivement en 2000 et en 2006 (affaire de la MNEF), il dirige maintenant le PS. Que dire d'Harlem désir, Président de SOS racisme, épinglé par la justice en 1987, et qui est aujourd'hui Commissaire européen.
Il n'en reste pas moins que le PenelopeGate tombe au plus mauvais moment, en pleine campagne électorale présidentielle, et que si les électeurs ont la mémoire courte, ce ne sont pas non plus des poissons rouges...
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