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Message 1 Discussion postée le 19-08-2017 à 15:58:43

El Roslino
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Vinci, l'insaisissable

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Que sait-on de Léonard ? Beaucoup de choses, et presque rien. Le peintre de La Joconde et de La Cène demeure un mystère pour l'historien. "Il y a ce que l'on sait, ce que l'on ne sait pas ; dans le cas de Léonard, il y a beaucoup ce que l'on devine, que l'on suppose, que l'on imagine - que l'on met", écrit Serge Bramly, qui lui a consacré une biographie, tenue par les spécialistes comme l'une des meilleures à ce jour.

"Pour retrouver l'homme, il faut procéder par recoupements, s'imprégner du texte, tâcher de lire entre les lignes." Pourtant, comme l'a constaté non sans humour l'historien de l'art Daniel Arasse (1944-2003), "Dieu mis à part, Léonard de Vinci est sans doute l'artiste sur lequel on a le plus écrit". Et comme Dieu, il est aussi difficilement saisissable. Peut-être parce que ses dons, comme sa curiosité, l'ont amené à beaucoup embrasser et que nos pauvres esprits ont du mal à le suivre.

Peintre, musicien, mais aussi décorateur de théâtre, ingénieur et hydrolicien, aussi passionné par la botanique que par l'anatomie et la conception de la chaîne de vélo, Vinci pratique avec autant d'ardeur la dissection que la philosophie, le dessin que les blagues potaches. Alors, par où commencer ? De son vivant, déjà, il nourrit lui-même sa réputation d'original, voire de marginal. Les bourgeois de Florence regardent passer non sans effarement cet homme splendide habillé d'un court pourpoint rose, la chevelure soigneusement peignée, tombant longue sur les épaules, quand tout le monde, à l'époque, porte de longs manteaux et les cheveux courts. Il ne vit qu'entouré de beaux jeunes hommes, ce qui fait jaser, même en cette Florence férue de platonisme. Il est végétarien. Et, en prime, gaucher, ce qui le conduit à pratiquer une écriture en miroir étrangement cryptée.

Exigeant et sans concession.
Surtout, il ne joue pas le jeu des artistes de son temps, habitués à multiplier les travaux d'atelier pour vivre. Lui préfère élaborer longuement ses cartons, travailler ses fresques et ses tableaux sans fin, les laissant souvent inachevés, et ses commanditaires furibards... Cet amateur de musique est un méditatif qui passe une bonne partie de son temps à résoudre des équations mathématiques, quand il ne dessine pas pour se détendre d'étranges visages grotesques au regard grave ou souffrant. Pourquoi ces tableaux sombres aux personnages ambigus, alors que ses collègues régalent leurs clients de Vierges aux couleurs vives et d'anges aux auréoles dorées ? Léonard refuse les compositions traditionnelles, les iconographies imposées. Son Saint Jean-Baptiste, aujourd'hui au Louvre, est bien trop sexy pour l'ascète ardent qu'il est supposé être. Ne serait-ce pas plutôt un Bacchus, dont des intellectuels du temps pensent qu'il est un mythe précurseur de la Passion ? Et sa Vierge aux rochers, n'est-elle pas en contradiction avec le dogme de l'Immaculée Conception ? Quant à Judas, le traître, rien ne peut, dans La Cène de Milan, le distinguer des autres apôtres, lui que la coutume du temps dépeint toujours laid et isolé, irrémédiablement rejeté.

D'emblée, Léonard pratique son art en aristocrate, exigeant et sans concession. Pour lui, la peinture est une philosophie, fondée, écrit l'historien de l'art Carlo Pedretti, "sur le principe de l'art comme forme de connaissance créative". Il cherche, expérimente, et cherche encore. Quitte à se tromper souvent. La signature de Vinci rime avec fresques perdues et projets avortés. Mais il est celui qui a inventé le portrait de trois quarts, et la composition en pyramide, révolutionnant la peinture en y imposant la dynamique. Vinci, ou le mouvement - celui de l'eau, des éléments, de la nature, de la lumière aussi. Il la travaille comme nul autre, découvrant grâce aux jeux d'ombre et à une technique bien à lui une nouvelle manière de rendre la perspective. Mais en véritable surdoué du Concours Lépine, il ne cesse aussi de réfléchir sur les inventions des autres pour les comprendre et, si possible, les améliorer, concevant des machines étranges que l'on attendrait plus d'un mécanicien ou d'un designer que d'un peintre du Quattrocento.

Peinture cryptée ?

Ce type n'est décidément pas dans la norme. D'où le mythe qui naît de son vivant même : Léonard est un génie, et les rois sont à ses pieds. Ah Léonard ! Tu es bien le seul artiste qu'implora Isabelle d'Este, l'orgueilleuse marquise de Mantoue. Tu es le seul aussi que François Ier choya avec autant d'affection, lui qui se contentait de ta conversation et n'obtint même pas que tu fasses son portrait. Léonard, le peintre philosophe dont le XIXe siècle va faire un démiurge, esprit faustien qui aurait tout inventé, du char d'assaut à la mitrailleuse en passant par l'automobile, l'écluse et le bateau à aubes. Léonard, ce "miroir profond et sombre", écrit Baudelaire (Les Phares, 1857).

Cinq siècles après sa mort, les spécialistes de son œuvre sont devenus plus circonspects. "On a démesurément exagéré l'originalité de Léonard, écrit ainsi l'historien de la Renaissance André Chastel dans Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique.

Une analyse attentive aux dates et aux faits suffit à montrer combien il appartient à son temps et vit de ses problèmes." Ainsi, la plupart des inventions qui lui ont été attribuées sont aujourd'hui reconnues comme ayant existé avant lui, même s'il est à l'origine d'avancées en médecine anatomique, en optique ou en mécanique.

Mais on n'arrête pas un mythe. Le nom de Léonard demeure associé à l'idéal de perfection. Il est le peintre de la grâce, celui qui sait entraîner le regard vers un au-delà mystérieux. En ces temps technologiques marqués par le retour en force de l'irrationnalité, le succès planétaire du Da Vinci Code de Dan Brown (2003) en fait aussi la star des amateurs d'ésotérisme : sa peinture serait cryptée et lourde de symboles. Il serait le grand initié qui connaissait la véritable nature du Christ, l'alchimiste au courant de la forfaiture fondatrice de l'Église... N'est-ce pas là trop d'honneur, ou trop d'indignité, même pour un homme réputé fort peu chrétien ? Qu'en aurait pensé l'intéressé, lui qui passa une bonne partie de sa vie dans l'observation minutieuse de la réalité ? Que les hommes devraient se montrer plus rationnels ?

"Né d'un miracle de la nature."

On doit au peintre maniériste Giorgio Vasari, au XVIe siècle, d'avoir commencé à forger la légende d'un Léonard surnaturel. Il lui consacre une vingtaine de pages délirantes d'admiration dans ses Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Vasari a huit ans quand meurt Vinci en 1519, mais il étudie la peinture à Florence dans des ateliers qui gardent sa mémoire. Plus tard, il approche certains de ses élèves, notamment Francesco Melzi, disciple favori de Léonard et son exécuteur testamentaire. Pour des générations d'amateurs de Vinci, son récit va devenir vérité d'Évangile. Or, Vasari ne trouve qu'un mot pour expliquer ses multiples talents : divino, "divin" ! "Il y a quelque chose de surnaturel dans l'accumulation débordante chez un même individu de la beauté, de la grâce et de la puissance", assure-t-il, insistant tout à la fois sur sa force prodigieuse, ses grands talents de musicien, son immense gentillesse, sa très grande générosité et, bien sûr, son intelligence hors du commun.

Trop beau pour être vrai ? Vasari utilise volontiers la loupe grossissante. Mais vers 1527, le cardinal Paul Jove (1483-1552), esprit pourtant plus impartial et qui a connu Léonard à la cour du pape Léon X (1475-1521), évoquait lui aussi dans un Éloge le charme étonnant, la générosité et l'esprit brillant de Vinci. Rédigé probablement vers 1537-1542, mais publié seulement en 1982, le récit dit de l'Anonyme Gaddiano, ou Magliabecchiano (du nom d'un manuscrit de la bibliothèque nationale de Florence), confirme ce portrait d'un homme insolemment doué : "Il fut si exceptionnel et universel qu'on peut le dire né d'un miracle de la nature." D'autres auteurs vont apporter leur écot à la biographie (et à la légende) du maître, tel le conteur Bandello (1584) ou le théoricien lombard Lomazzo (1590).

Il a tout gardé, sans rien classer ...

Mais comment atteindre la vérité historique ? En retournant aux textes d'origine ? Outre les archives historiques, multiples lettres officielles et documents diplomatiques, contrats et reçus que la postérité nous a légués, l'historien bénéficie d'un trésor inouï : les écrits de Léonard lui-même. Il reste aujourd'hui plus de six mille pages de ses codex et cahiers, soit des milliers de notes personnelles qui fourmillent d'informations sur ses recherches, ses projets et ses déplacements. Des pages où se côtoient pêle-mêle des listes de courses, les comptes du ménage, des réflexions philosophiques, de nombreuses histoires drôles et de multiples dessins. Silhouettes de Vierges, esquisses de futurs châteaux, schémas de machines volantes, dessins oscènes - que les historiens assurent être de la main de Salai, son serviteur voyou -, tout est là, griffonné ou soigneusement transcrit.

Vers l'âge de trente ans, Léonard a commencé de tout noter, espérant, semble-t-il, publier les résultats de ses recherches. Et il a tout gardé, sans rien classer. Le grand homme semble avoir singulièrement manqué d'esprit de système... Une partie de ses textes a disparu, mais de nombreux manuscrits demeurent, dispersés.

Ainsi, en théorie, nous disposons d'une mine d'informations pour suivre le cheminement de sa pensée et ses apprentissages. Pourtant, ces documents ne livrent que peu de choses de l'homme Léonard. Ils sont souvent opaques, difficiles à interpréter : ici, une phrase jetée au vol, là, un dessin sans explication. L'homme n'y parle quasiment jamais de lui, de ses sentiments ou des gens qu'il côtoie. Partout, des blancs, des zones d'ombre, des phrases sibyllines. Il faut bien s'y résoudre : le premier mystère de Vinci, c'est Léonard lui-même.