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Un homme de 28 ans n'est pas poursuivi pour viol après avoir eu une relation sexuelle avec une enfant de 11 ans. Le consentement de la victime est au coeur de cette affaire.
Sarah a 11 ans, son voisin 28 ans. Le 24 avril dernier à Montmagny, dans le Val-d'Oise, cette élève de 6ème et ce père de deux enfants ont eu deux relations sexuelles après que l'homme l'a abordée à plusieurs reprises dans un square. Alors que la famille de Sarah a déposé plainte pour viol, l'agresseur n'est poursuivi que pour "atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans", punissable de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende. Le procès de cette affaire, révélée par Mediapart, qui devait se tenir mardi, a été renvoyé à février 2018.
Peut-on concevoir qu'une enfant de 11 ans ait une relation sexuelle avec un homme de 17 ans son aîné, sans que celui soit poursuivi pour viol? La question fait débat. La mère de Sarah a évoqué une enfant "tétanisée" qui "n'osait pas bouger, de peur qu'il la brutalise". Le parquet a cependant estimé "qu'il n'y a eu ni violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise". Et en l'absence de traces physiques ou séquelles psychologiques, il n'a pas retenu l'absence de consentement.
Pour Carine Diebolt, l'avocate de la plaignante, tous les critères qui fondent l'agression sexuelle, sinon le viol, sont pourtant là: "La contrainte morale" (résultant de la différence d'âge), "l'effet de surprise", "la violence" ("il s'est montré agressif dans l'ascenseur") et même "la menace" ("il a menacé de ruiner sa réputation dans la cité si elle parlait").
L'avocat du prévenu, Me Marc Goudarzian, évoque lui "un consentement explicite de la jeune fille (...) La seule question qui se pose est de savoir si mon client connaissait l'âge de la plaignante." Si le prévenu reconnaît les faits, il affirme qu'il tenait la jeune fille, déjà pubère, pour plus âgée qu'elle n'en avait l'air. Du côté de la partie civile, on soutient que, quelques jours avant les faits, Sarah lui avait montré un carnet scolaire sur lequel figurait son âge.
Des affaires étudiées au cas par cas.
Le simple jeune âge de l'enfant n'a donc pas suffi pour établir le viol. Si la loi française interdit à tout adulte d'avoir des relations sexuelles avec un mineur de moins de 15 ans, elle "ne fixe pas d'âge de discernement, il appartient aux juridictions d'apprécier si le mineur était en état de consentir à la relation sexuelle en cause", rappelait le Conseil constitutionnel en février 2015. Les affaires sont donc étudiées au cas par cas et la qualification de viol n'est pas automatiquement retenue.
Depuis 2005, la Cour de cassation considère seulement que la contrainte est présumée pour les enfants en "très bas âge". "J'ai traité une affaire de tentative de pénétration sur un nourrisson, là, il est évident que le non-consentement à été retenu", explique à L'Express Jacky Coulon, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats.
Beaucoup d'affaires de viol, qui relèvent de la cour d'assise, sont donc requalifiées en "atteintes sexuelles", traitées en correctionnelle. Selon Jacky Coulon, "la procédure et l'audience y sont plus courtes, entre une et deux heures, plus simples, et surtout moins difficiles pour les victimes". Aux assises, les audiences durent, elles, entre deux et quatre jours: "La victime doit s'expliquer devant les jurés et son agresseur, des témoins et des experts viennent à la barre." Résultat, ces audiences ne sont réservées qu'aux affaires de viols les plus graves et violentes, celles dans la rue ou devant un domicile par exemple.
Manque de formation des magistrats et policiers.
Isabelle Steyer se souvient d'une de ses affaires requalifiée, elle aussi, en atteinte sexuelle: le viol de deux jumelles de 12 ans. Cette avocate au barreau de Paris estime que ces requalifications résultent d'abord d'un manque de moyen: "Aux assises, les viols, sur majeurs et mineurs, représentent 50% des affaires, à Paris, c'est 9 affaires sur 10. Pour la justice, leur traitement a donc un coût important et prend du temps. Et si l'on voulait toutes les juger aux assises, il faudrait multiplier par trois le nombre de tribunaux".
Isabelle Steyer confie pourtant auprès de L'Express qu'un véritable procès s'avère souvent réparateur: "Il n'est pas plus facile pour la victime de passer entre un accident de voiture et un vol à la roulotte. Certes, la cour d'assise représente une charge émotionnelle, car la victime est bombardée de questions. Mais la qualité de ce procès est nécessaire pour qu'elle tente une réparation et que la société comprenne cette délinquance de masse".
Sarah "n'était pas effondrée".
L'avocate pointe un autre écueil: celui du manque de formation de tous les intervenants judiciaires, des magistrats aux médecins en passant par les policiers pour évaluer le préjudice de la victime. Dans l'affaire de Montmagny, pour choisir la qualification d'atteinte sexuelle, le parquet de Pontoise s'est appuyé sur le rapport de la police, arrivée très tôt sur les lieux.
Sarah "n'était pas effondrée, elle leur [aux policiers] a paru nonchalante", a expliqué sa mère. "C'est normal, elle n'a sans doute pas compris ce qu'il s'est passé, c'est une enfant", prévient Isabelle Steyer. Cet accueil par les policiers est pourtant déterminant: "Il est très rare que les victimes portent plainte et quand elles le font, elles sont choquées, sidérées, elles ne racontent pas facilement".
Chaque année, entre 50 et 100 fonctionnaires sont formés aux affaires de viol. Objectifs: apprendre à mettre en confiance les victimes et recevoir la plainte dans les meilleures conditions possibles. "Parmi les victimes que l'on suit, on entend de tout pendant le dépôt de plainte, pour certaines ça se passe très bien, pour d'autres pas du tout, ça dépend de l'agent de police qu'elles ont en face d'elles", abonde Emmanuelle Piet, médecin et présidente collectif féministe contre le viol, qui note tout de même une amélioration de la prise en charge.
Des SMS "à connotation sexuelle".
Dans leur rapport, les policiers ont fait état "d'éléments qui ne sont pas en lien avec l'agression", comme le signale Mediapart. Des SMS "à connotation sexuelle", des photos où l'on distingue sa poitrine envoyée à un garçon, ainsi que le constat, par les unités médicos-judiciaires, que "son allure laisse penser qu'elle est plus âgée". Autant d'éléments qui doivent servir "à éclairer [sa] personnalité".
"Dans ces affaires, les policiers cherchent à savoir si un comportement particulier a pu motiver l'auteur et si la victime a pu être consentante, afin de comprendre comment il a pu interpréter la situation, analyse Jacky Coulon. Ce sera à l'avocat de la victime de démontrer dans les débats que vu son jeune âge, elle ne se rendait pas compte".
En France, des voix s'élèvent pour demander une évolution de la loi. "Il faut introduire une présomption d'absence de consentement pour les actes sexuels entre un enfant de moins de 15 ans [âge de la majorité sexuelle] et un adulte", indique à L'Express Muriel Salmona, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie. "Le viol devrait être qualifié sans avoir à prouver la violence, la contrainte, la menace, ou la surprise. [...] Un enfant ne saurait avoir la capacité, ni la maturité émotionnelle et affective à consentir à un acte sexuel", explique la psychiatre.
Dans de nombreux pays, la question de la contrainte ne se pose pas pour les mineurs. Ainsi, en deçà de 15 ans au Danemark, de 14 ans en Allemagne et Belgique, de 13 ans en Angleterre, la justice estime que l'acte sexuel relève automatiquement du viol ou de l'agression sexuelle. En Espagne, tout acte de pénétration sexuelle commis sur un enfant de moins de 12 ans est qualifié de viol, soit un an de plus que Sarah.
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