Vous n'êtes pas identifié.
Pages: 1
Réponse : 0 / Vues : 1 867
El Roslino
La ministre de la Santé a recours à la loi pour imposer onze vaccins avant l'âge de 18 mois. Mais les parents récalcitrants ne seront pas sanctionnés. Dans le même temps, la ministre se refuse à imposer le vaccin antigrippal aux professionnels de santé. Sans s'expliquer sur le sujet.
«Contraindre pour convaincre» les parents de faire largement vacciner leurs enfants de moins de 2 ans. Et, en même temps, ne rien faire d'autre qu'exhorter les soignants à se faire se vacciner. Comment comprendre la politique conduite par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, dans le dossier le plus polémique de ceux qu'elle a à administrer ?
Côté pédiatrique, l'affaire est bouclée, ou presque. Le projet de loi de financement 2018 de la sécurité sociale vient d'être présenté en conseil des ministres et sera discuté à l'Assemblée nationale à partir du 24 octobre. On en connaît l'essentiel: tous les enfants qui naîtront après le 1er janvier 2018 devront recevoir onze vaccins pédiatriques: antidiphtérique, antitétanique, antipoliomyélitique (déjà obligatoires), et les vaccins jusqu'à présent recommandés, contre la coqueluche, les infections invasives à Haemophilus influenzae de type B, l'hépatite virale de type B, les infections invasives à pneumocoque et à méningocoque de sérogroupe C, la rougeole, les oreillons et la rubéole.
En pratique, à partir du 1er juin 2018, les parents devront fournir une justification de la vaccination des enfants nés en 2018 pour toute admission ou maintien en collectivité. «En contrepoint de ce principe d'exigibilité, aucune sanction supplémentaire n'est introduite; les sanctions du code de santé publique relatives au non-respect de l'obligation vaccinale sont même supprimées, car redondantes avec l'infraction générale prévue dans le Code pénal pour les titulaires de l'autorité parentale qui ne protègent pas leur enfant», résume Le Quotidien du Médecin.
Et Agnès Buzyn s'en était expliqué fin septembre, sur RMC BFM-TV :
«Ce n'était juridiquement pas tenable. Il n'y aura pas de sanction pénale. Par contre, il existe une mesure générale concernant la protection des enfants. C'est la loi: les parents sont censés protéger leurs enfants. Pénalement, légalement, un enfant pourra se retourner un jour contre ses parents parce qu'il a un handicap, parce qu'il n'a pas été vacciné, amputé par exemple à la suite d'une septicémie à pneumocoque. Et là, les parents pourront être condamnés à deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.»
«Les onze vaccins sont indispensables.»
Comment ne pas voir là une obligation en trompe l'œil qui affiche un engagement sanitaire pris par la France devant l'OMS et qui ménage les oppositions latentes ou déclarées à la vaccination? Une ambiguïté qui politique qui correspond à la formule difficilement compréhensible d'Agnès Buzyn selon laquelle «l'objectif n'est pas de sanctionner, mais de rendre la confiance dans les vaccins». Ambiguïté encore avec cette précision gouvernementale :
«Ces obligations pourront être levées lorsque les couvertures vaccinales appropriées seront atteintes et que la levée de l'obligation ne risquera pas d'entraîner une baisse des vaccinations.»
Pour l'heure, la ministre des Solidarités et de la Santé est soutenue par l'essentiel des représentations institutionnelles de la profession. Face à quelques voix généralistes qui s'élèvent contre le projet de loi, une quarantaine de sociétés savantes et de syndicats médicaux viennent de signer une pétition de soutien à l'extension de l'obligation vaccinale chez les moins de 2 ans.
Parmi les signataires figurent les Académies nationales de médecine, de pharmacie et des Sciences infirmières, l'Institut Pasteur, de très nombreuses sociétés pédiatriques, de gynéco-obstétrique, de gastro-entérologie ou d'infectiologie.
«Les sociétés signataires apportent leur appui à l'action du gouvernement en faveur de la vaccination et s'engagent à l'accompagner dans toutes les étapes de sa mise en place. Les onze vaccins de l'enfant qui deviendront obligatoires le 1er janvier 2018 sont indispensables. (...) Soixante-dix à 90% des enfants étaient déjà vaccinés, mais c'est insuffisant.»
Une efficacité très inégale.
C'est dans ce contexte que vient d'être lancée la nouvelle campagne 2017-2018 d'incitation à la vaccination contre la grippe saisonnière: 12 millions de personnes à risque directement concernées -500.000 de plus que l'an dernier. Et Mme Buzyn d'insister, cette fois, sur la «nécessaire mobilisation des professionnels de santé en la matière».
«En 2016-2017, l'épidémie de grippe a été précoce (depuis début décembre jusqu'à début février), et si elle a été modérée en médecine ambulatoire (1,9 million de consultations), elle était caractérisée par le virus A H3N2, particulièrement agressif pour les personnes âgées et porteuses de maladies chroniques», résume-t-on auprès de Santé Publique France.
Au total, 40.000 passages aux urgences pour grippe -dont 6.400 hospitalisations et 1.479 cas graves. Parmi ces cas graves, 92% avaient plus de 65 ans ou souffraient d'une maladie chronique. Les décès liés à la grippe sont estimés à 14.400, dont 91% chez des plus de 75 ans.
Les autorités sanitaires reconnaissent certes que l'hiver dernier l'efficacité du vaccin n'était que de 38% (et même de 26% chez les sujets à risque), mais ajoutent aussitôt que les cas les plus graves sont aussi ceux qui ne sont pas vaccinés. Quant au nombre de vaccinés chez les plus âgés, l'Assurance maladie précise que leur taux était en légère baisse (de 0,9 point par rapport à 2015), s'élevant à 47,4%. Ces chiffres varient de 56% chez les 70 ans et plus à 36% et 37% respectivement chez les personnes atteintes de maladies chroniques et les personnes de 65 à 69 ans.
Face à de tels chiffres, Agnès Buzyn a un message qu'elle a délivré après s'être fait publiquement vacciner contre la grippe, lors des derniers «Entretiens de Bichat» :
«Je souhaite insister sur la nécessité que les professionnels de santé donnent l'exemple, notamment pour la vaccination anti-grippale afin de protéger les patients et participer à rendre la confiance. Vous êtes en première ligne au contact quotidien des patients. Vous jouez à ce titre un rôle primordial.»
Des soignants exemplaires ?
La ministre «souhaite» que les soignants, aujourd'hui rétifs mais demain exemplaires, se fassent vacciner contre la grippe? Pourquoi ne les contraint-elle pas? Le sujet avait été courageusement abordé en janvier dernier, par le Pr Benoît Vallet, Directeur Général de la Santé. Les termes de l'équation sont d'une grande simplicité: moins d'un tiers des soignants (médecins, infirmières, aides-soignantes) se font vacciner contre la grippe alors même qu'ils peuvent être, du fait de leur profession, les premiers agents contaminateurs des virus grippaux.
On peut raisonnablement en conclure que la vaccination systématique des soignants réduirait chaque année la morbidité et la mortalité chez les plus fragiles de leurs patients. Et quand bien même l'efficacité de cette mesure est parfois discutée le pouvoir exécutif pourrait toujours invoquer le principe de précaution, la déontologie et l'obligation éthique. En pratique, rien de plus simple: l'État français peut contraindre les soignants à se faire vacciner, à la fois au nom de la santé publique et dans leur propre intérêt.
Cette obligation existe déjà pour un certain nombre de vaccinations, comme celle contre l'hépatite virale de type B. Et il en allait de même pour la grippe ... jusqu'à ce qu'elle soit suspendue par le décret n° 2006-1260 du 14 octobre 2006, un décret signé par Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé et des Solidarités. Cette vaccination demeure, simplement, «fortement recommandée» pour les professionnels concernés. Pourquoi ne pas la rendre obligatoire? La ministre ne le dit pas.
Où l'on voit ainsi, d'une part, une obligation vaccinale officiellement affichée vis-à-vis des parents -mais obligation débarrassée de sanctions. Et, d'autre part, une exhortation à la vaccination des soignants alors qu'une signature ministérielle suffirait à obtenir l'obligation. On pourrait, raisonnablement, souhaiter un peu plus de cohérence et de pédagogie dans une politique de santé publique.
Réponse : 0 / Vues : 1 867
Pages: 1