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Il fut une époque (pas si lointaine) où la télévision accueillait encore des expériences visuelles différentes, sans doute plus tièdes que celles d'Averty, mais encore bouillonnantes. Certes elles n'étaient pas nombreuses, mais une génération qui n'allait pas tarder à découvrir les drogues de synthèse pu affranchir ses perceptions devant L'œil du Cyclone sur Canal+, à l'heure où l'on s'évadait du déjeuner dominical. C'était l'époque où le département des programmes courts de Canal avait de la substance. Depuis l'air s'est encore raréfié - même si l'on ne peut nier le caractère expérimental de certains reality shows, au sens strictement propédeutique du mot.
Cependant, un ersatz a vu le jour il y a déjà plus d'un an, et s'il est de tenue inégale il n'en demeure pas moins ce ramassis de petits films tordus parfois chers à nos cœurs.
Mensomadaire a donc le bon goût de diffuser dans le désordre des films signés Plympton, Pierre Lapolice mais aussi Madin, Segundo de Chomon, dans une joyeuse anarchie ; et finalement de se faire le reflet aux marges d'une certaine création visuelle.
Comme souvent dans ce genre de revue, le clip est le parent pauvre du film court, moins objet d'exposition et de fortune critique que média promotionnel ludiquo-jetable, faisant le grand écart entre la publicité et le cinéma primitif d'attractions. Certes le progrès des éditions DVD d'anthologies, le nombre croissant de festivals dédiés ou s'ouvrant au clip (notamment Clermont, une petite révolution) contribuent à la meilleure appréhension d'une forme qui, parce qu'impure en terme de diffusion, de mise en scène et de financements, accueille des artistes au profil parfois très atypique - parfois novateurs - et donc d'avance hors-jeu.
On aura comprit que même dans Mensomadaire la place consacrée au clip est minime, mais quand par bonheur l'un d'eux est diffusé, la surprise peut se révéler de taille, et loin de ce que déversent les robinets mollassons des chaînes spécialisées.
Dans son dernier cru, l'émission "des curiosités visuelles" présentait donc un petit bijou de narration clipesque linéaire, sur fond de chanson cynique signée Lodger. L'une des vidéos pour ce groupe finnois, composée sur le même mode, avait été présentée aux rencontres Cinésong à Paris, qui avait accueilli une rétrospective du music vidéo festival de Oulu - messe finlandaise du clip.
Réalisé dans un média permettant le pire comme le meilleur - Flash pour ne pas le nommer - l'animation intitulée I Love Death est un life-spot (très tendance en ce moment, cf. les pubs pour Axa, E.D.F., Xbox... qui vous racontent votre vie en une minute), ayant pour héros un être sommaire, dessiné en quatre traits, pourvu d'un seul œil, veule, alcoolique et malchanceux, incarnation idéale des chanson à la première personne de Lodger et personnage récurent de leurs clip, tous créés "sur un portable volé" par Hannes Häyhä.
Dès son enfance condamné à manger la tartine de m... qu'est la vie par les deux bouts l'anti-héros évolue vers une fin certaine avec ce mépris qu'ont seuls les désespérés. Chaque relation humaine charriant son lot d'humiliation le bonhomme fini très logiquement par agir lui aussi comme une ordure, fermant ainsi une boucle de cauchemar à la fois hilarant et désespéré. On se demande presque à regarder une seconde fois l'objet ce qui nous prend d'accorder autant d'humanité à un personnage en fil de fer, évoluant linéairement le long d'un scrolling (travelling ?) monacalement parsemé d'aplats de couleurs, et pourtant pas un instant l'identification ne cesse de fonctionner.
I love Death est peut-être, sur le lien courant du clip au comic-strip, ce qu'il y a de plus contemporain, ironique, urgemment exécuté à l'encre de la première personne ; de ces beautés plus fortes qu'elles sont sans vanité.