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El Roslino
Le président français, Emmanuel Macron, et l'ancien premier ministre australien Malcolm Turnbull sur le pont d'un sous-marin de la marine australienne, à Sydney.
Dans le même temps, les Etats-Unis ont annoncé un vaste partenariat de sécurité avec l'Australie et le Royaume-Uni dans la zone indo-pacifique. Paris a déploré une « décision regrettable » et un « coup dans le dos ».
Le premier ministre australien, Scott Morrison, a confirmé, jeudi 16 septembre, la rupture d'un gigantesque contrat, conclu en 2016 avec la France, pour la fourniture de sous-marins conventionnels, préférant construire des sous-marins à propulsion nucléaire à l'aide de technologies américaines et britanniques. « La décision que nous avons prise de ne pas continuer avec les sous-marins de classe Attack et de prendre un autre chemin n'est pas un changement d'avis, c'est un changement de besoins », a déclaré M. Morrison.
Dans son sillage, les Etats-Unis ont ainsi annoncé un vaste partenariat de sécurité avec l'Australie et le Royaume-Uni dans la zone indo-pacifique. « La première grande initiative de [ce nouveau pacte appelé] “Aukus” sera de livrer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire à l'Australie », a encore déclaré le premier ministre australien, apparaissant en visioconférence, tout comme son homologue britannique, Boris Johnson, lors d'un événement présidé par Joe Biden à la Maison Blanche.
Perte d'un contrat de 90 milliards de dollars australiens
La France voit ainsi ce « contrat du siècle », d'une valeur à la signature de 50 milliards de dollars australiens (31 milliards d'euros dont 8 milliards pour la partie française), échapper à son industrie navale. Le français Naval Group avait été sélectionné en 2016 par Canberra pour fournir douze sous-marins à propulsion conventionnelle (non nucléaire), dérivés des futurs sous-marins nucléaires français Barracuda. Le premier était attendu pour 2030.
La valeur de ce contrat est désormais estimé à 90 milliards de dollars australiens (56 milliards d'euros) en raison de dépassement de coûts et d'effets de change. Benoît Arrivé, maire de Cherbourg - où est installé Naval Group - a déclaré : « on a la chance d'avoir une vraie embellie pour amortir le choc. J'espère que le plan de charge de Naval Group va permettre d'amortir cette crise ». L'élu aimerait « minimiser les impacts pour les équipes » du groupe industriel de défense français.
Selon le secrétaire général du syndicat CGT de Naval Group, Vincent Hurel, 500 emplois sont actuellement occupés dans des activités liées à ce contrat, ainsi qu'une « grosse centaine d'Australiens ». Cette résiliation est toutefois « une déception modérée parce qu'on avait un enthousiasme modéré lors de la signature du contrat ». « Le risque était connu », a-t-il aussi déclaré.
Les modalités précises du contrat ne sont pas publiques ; cependant, comme dans n'importe quel contrat, des pénalités s'appliquent en cas de rupture imprévue. Un long contentieux juridique ne va pas manquer de s'ouvrir pour définir le montant de ces pénalités. Malgré des montants très importants en jeu, les Australiens semblent avoir considéré que leurs intérêts géostratégiques primaient sur le reste.
Un « coup dans le dos » pour Jean-Yves Le Drian
Les ministères français de la défense et des affaires étrangères ont aussitôt déploré, dans un communiqué, une « décision regrettable » et « contraire à la lettre et à l'esprit de la coopération qui prévalait entre la France et l'Australie ». Jeudi matin, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a ensuite dénoncé un « coup dans le dos », sur Franceinfo. « Nous avions établi avec l'Australie une relation de confiance, cette confiance est trahie », a encore dit M. Le Drian, se disant « en colère et avec beaucoup d'amertume ».
« Ce n'est pas fini, il va falloir donner des explications. Le comportement américain me préoccupe, cette décision unilatérale et brutale ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump. »
De son côté, le Sénat a fustigé « une décision grave aux conséquences lourdes » et a dit s'interroger sur « la nature exacte » de la relation entre Paris et Washington. Cela « n'a pas de précédent », ont enfin observé les sénateurs français, estimant que « les Etats-Unis et le Royaume-Uni chang[eai]ent les règles du jeu ».
Londres et Washington cherchent à rassurer, l'UE n'était pas « informée »
En réponse, Boris Johnson a assuré que cet accord « ne vis[ait] pas à s'opposer à une quelconque autre puissance », assurant que « la relation militaire » du Royaume-Uni avec la France était « extrêmement solide », collaborant notamment dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel ou à une opération de l'OTAN en Estonie.
Dans son discours de présentation hier soir à la Maison Blanche, M. Biden s'était également montré conciliant envers Paris, assurant que les Etats-Unis voulaient « travailler étroitement avec la France » dans cette zone très stratégique. Jeudi, un haut responsable de la Maison blanche a dit à l'Agence France-Presse que des échanges avaient eu lieu entre la France et les Etats-Unis sur « Aukus » avant l'annonce du président Biden, dans une tentative de tempérer les critiques suivant la surprise du revirement australien. Une affirmation rapidement démentie, auprès de l'Agence France-Presse, par l'ambassade française à Washington.
Deux des porte-parole de l'Union européenne ont fait savoir que l'UE n'avait « pas été informée » du pacte de sécurité conclu entre les Etats-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni pour la région indo-pacifique. « Nous sommes en contact pour mieux cerner cette alliance », a déclaré Peter Stano, porte-parole du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. Celui-là doit présenter jeudi après-midi la stratégie de l'UE pour la région indo-pacifique. « Une analyse de la situation et des répercussions de cette alliance va être réalisée et la prochaine réunion des ministres des affaires étrangères de l'UE, prévue le 18 octobre à Luxembourg, offre une occasion pour une discussion sur cette alliance », a-t-il ajouté.
Interrogée sur les conséquences de l'ire de la France sur les négociations en cours entre l'UE et l'Australie pour la conclusion d'un accord de libre-échange, la Commission a joué la prudence. « Il n'y aura pas d'effet immédiat sur les discussions et les relations avec l'Australie », a déclaré la porte-parole adjointe de la Commission, Dana Spinant.
« Paix et stabilité régionales » fragilisées selon Pékin
Un sous-marin, de classe Barracuda, du français Naval Group, au large de Brest, en juin 2020.
La Chine n'est pas mentionnée dans le communiqué conjoint des dirigeants australien, américain et britannique, qui évoque en revanche la « paix et la stabilité dans la région indo-pacifique ». Mais il ne fait aucun doute que la nouvelle alliance vise d'abord à faire face aux ambitions régionales de Pékin.
Le ministre de la défense britannique, Ben Wallace, a toutefois assuré qu'« il ne s'agi[ssai]t pas d'envoyer un message à la Chine ». « Il s'agit de l'Australie, qui cherche une nouvelle capacité, parce qu'elle a jugé que son programme d'acquisition actuel pour des sous-marins diesel-électriques ne lui donnerait pas la portée stratégique ou le côté indétectable nécessaire pour avoir un effet dissuasif », a-t-il ainsi expliqué sur Times Radio.
Dans la journée, la Chine a dénoncé une vente « extrêmement irresponsable » de ces sous-marins américains à propulsion nucléaire à l'Australie. « La coopération entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie en matière de sous-marins nucléaires sape gravement la paix et la stabilité régionales, intensifie la course aux armements et compromet les efforts internationaux de non-prolifération nucléaire », a ainsi déclaré le porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian.
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